Adnan Abu Amer, Chronique de Palestine, 19 juillet 2018
Les organisateurs dans la bande de Gaza de la Campagne « Lever les sanctions sur Gaza » affirment que le mouvement prend de l’ampleur sur la scène internationale.
Cela fait 11 ans qu’Israël a imposé son blocus à Gaza et un an depuis que l’Autorité Palestinienne (PA) a imposé des sanctions sur le même territoire. Fin mai, une campagne de masse a commencé dans les territoires palestiniens demandant à l’AP d’annuler ses mesures punitives sur la bande de Gaza. Ces mesures touchent les salaires, les dépenses de fonctionnement, les transferts de médicaments. Elles ont consisté en mises anticipées à la retraite, généré des coupures de courant et supprimé des allocations pour les familles des Palestiniens tués ou détenus en Israël.
Depuis début juin, des dizaines de militants, écrivains, artistes, journalistes et citoyens organisent des manifestations pacifiques en Cisjordanie pour demander la levée des sanctions. Les 10 et 13 juin, des manifestants se sont rassemblés sur la place Al-Manara à Ramallah, en Cisjordanie. Toujours le 13 juin, des manifestants ont organisé des grèves de solidarité dans le village d’Abu Dis à Jérusalem et sur la place des Martyrs à Naplouse. Les forces de sécurité palestiniennes ont réprimé les rassemblements et arrêté plusieurs manifestants.
Hekmat Zeid, conseiller du président palestinien Mahmoud Abbas pour les affaires provinciales, a annoncé le 13 juin que l’Autorité Palestinienne interdisait les manifestations en Cisjordanie, affirmant que les manifestations « perturbaient le déplacement des citoyens et les dérangeaient ». Malgré cela, les manifestants ont manifesté le 20 juin à Bethléem, en Cisjordanie occupée.
Toujours le 20 juin, la Campagne a organisé des manifestations devant les ambassades palestiniennes et les missions diplomatiques dans les capitales arabes et occidentales, principalement à Amman, en Jordanie, à Beyrouth, au Liban et à New York. Le 21 juin, une manifestation similaire a été organisée à Athènes, en Grèce. La Campagne a organisé des manifestations les 23 et 24 juin dans les villes européennes pour montrer sa solidarité avec Gaza : à Montpellier, en France, à Milan, en Italie, à Amsterdam et devant le Parlement européen à Bruxelles.
La participante à la Campagne, Rita Abu Ghosh, a déclaré à Al-Monitor: « Nous essayons de faire pression sur l’Autorité palestinienne pour lever les sanctions contre Gaza. Nos initiatives prennent de l’ampleur dans l’espace, grâce à notre contact avec la diaspora palestinienne à travers le monde. Bien que nous représentions un large éventail de Palestiniens, nous ne cherchons pas à obtenir une représentation partisane. Notre ligne de conduite consiste à prendre des décisions démocratiquement. La campagne restera sans leadership et sans cadre politique. Elle se terminera lorsque les sanctions sur Gaza seront levées. Nous n’avons ni soutien financier ni programme politique, contrairement aux accusations de l’AP. Nous sommes des bénévoles. Nous avons créé une page Facebook et nous dénonçons l’oppression de l’AP qui a peur des manifestations et veut nous faire taire. »
Les organisateurs ont lancé une série de tweets sur les réseaux sociaux dans lesquels ont participé des centaines d’utilisateurs et d’activistes de Twitter sous le hashtag « Lift the Sanctions on Gaza ». Le slogan « Un peuple, un objectif, un ennemi » était également en pointe.
Ramy Abdu, qui vit à Genève et est le fondateur et ancien président de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, a déclaré par téléphone à Al-Monitor: « Le mouvement public prend de l’ampleur parce qu’il est plus humanitaire que politique. Les Palestiniens à l’étranger s’engagent de plus en plus dans les manifestations à travers les initiatives dans les États arabes et européens et devant les ambassades palestiniennes. Peut-être que les protestations augmentent en raison du comportement de l’Autorité palestinienne qui tend à les réprimer, car de nombreux militants ont des liens à l’étranger. Le mouvement montre aux pays donateurs que l’argent qu’ils donnent à l’AP est utilisé pour violer les droits de l’homme. »
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a déclaré le 15 juin sur sa page Facebook qu’il était « profondément préoccupé par l’interdiction des manifestations et par la probable force excessive utilisée contre les manifestants pacifiques par les forces de sécurité palestiniennes [13 juin] à Ramallah. » Le message disait aussi: « Le HCDH a supervisé les manifestations et constaté la présence de nombreuses forces de sécurité palestiniennes en uniforme, de policiers en civil et d’autres travaillant de manière coordonnée. Les manifestants pacifiques ont été dispersés avec des grenades explosives, du gaz poivré et des gaz lacrymogènes. Le HCDH a été témoin d’arrestations brutales et de passages à tabac de manifestants … Quelque 56 personnes ont été arrêtées puis relâchées à l’aube du [14 juin] … Les journalistes et les militants ont été menacés et interdits d’informer sur la répression des manifestations par la police. »
Un responsable palestinien proche d’Abbas a exprimé un point de vue différent sur les manifestations. Il a déclaré à Al-Monitor sous couvert d’anonymat : « La Campagne ‘Levez les sanctions’ coïncide avec la pression israélienne et américaine sur l’AP, ce qui signifie qu’elle contribue à l’instabilité sécuritaire dans les territoires palestiniens, même si cela se produit sous prétexte de faire connaître la situation humanitaire difficile à Gaza. Le but de la Campagne est de déformer la vérité. »
Selon certains médias palestiniens, le Fatah accuse la campagne de tenter de façon « systématique » avec l’aide d’Israël, de provoquer des conflits entre les Palestiniens.
L’impression générale concernant les organisateurs de la Campagne, est que ce sont des militants de gauche et des journalistes indépendants. La présence du Hamas parmi eux est faible, pour plusieurs raisons : le Hamas craint la répression de l’AP, il lui manque une structure organisationnelle forte en Cisjordanie et/ou la Campagne essaie de garder ses distances avec la politique.
Un but politique donnerait à l’AP une excuse pour attaquer la Campagne et la priver de l’audience international nécessaire.
Un participant à la campagne, Iyad Refai, a déclaré à Al-Monitor: « Le fait que les protestations se propagent en dehors des territoires palestiniens, en particulier en Europe, n’implique pas que nous comptons sur la position européenne – l’Europe n’a pas dit un mot toutes ces années sur le blocus de Gaza. Le soutien de l’Union européenne à la police et aux forces répressives palestiniennes sert à opprimer les manifestants pacifiques qui demandent la fin des sanctions. Bien que l’AP tente de diaboliser la campagne et de l’accuser de [recevoir] des fonds de l’étranger et de vouloir déstabiliser la situation dans les territoires occupés, ses actions sont purement [à la base] et n’ont aucun lien direct avec l’étranger. »
Cela ne fait que quelques semaines que la campagne anti-sanctions a commencé, et elle a déjà suscité un engouement à l’intérieur et à l’extérieur des territoires palestiniens. Une plus grande mobilisation publique et officielle contre les mesures de l’AP est attendue. Dans le même temps, cette campagne pourrait entraîner une confrontation palestinienne interne entre l’AP, de jeunes militants et des groupes influents de la société civile, plutôt qu’un nouveau conflit avec le Hamas.