Photo de manifestant.es lors de la grève nationale de 2023 - crédit photo Candy Sotomayor CC BY SA

Par Célia Sales, correspondante

Cela fait maintenant un mois que les grèves s’enchainent au Pérou pour réclamer des mesures concrètes contre les extorsions et le crime organisé toujours plus meurtrier. Les syndicats des transporteurs se sont mobilisés à travers le pays. Au fur et à mesure, les syndicats des commerçant.es, taxis, universitaires, se sont ajoutés auprès des travailleur.ses du sexe et de la communauté LGBTQIA+. Toutes et tous demandent la réforme ou l’annulation de la loi 32108, le classement de la loi sur le terrorisme urbain, la remise en effet de la loi 30077 et une restructuration complète du cabinet ministériel.

Quand la vie vaut sept soles.

Une grande partie du territoire est sous l’autorité des organisations criminelles. Celles-ci extorquent les commerces et services en échange de leur sécurité. Chauffeur⸱es, prostitué⸱es, commerçant⸱es, entreprises du bâtiment, tous⸱tes doivent accepter de se soumettre à les payer pour espérer continuer leur activité. Au Pérou plus de 70 % de l’économie fonctionne à travers le marché informel. Ces commerces sont vulnérables à l’extorsion, notamment parce que la majorité des paiements sont faits en effectifs.

Mais payer ne garantit pas qu’ils ne se fassent pas attaquer. «Ils nous tuent pour sept soles (moins de deux dollars)» s’indignent les péruviens et péruviennes. Quinze entreprises de transport à Lima seraient sous la menace des gangs, neuf chauffeurs ont été abattus depuis le début de l’année dont trois seulement dans le mois de septembre. Des milliers de commerçant⸱es sont obligé⸱es de mettre la clé sous la porte et cinq dirigeants de la construction civile ont étaient assassinés en 2024.

La loi 32108 : la porte ouverte au crime organisé

L’adoption de la loi 32108 en juillet dernier a été critiquée dès le début. En redéfinissant le crime organisé, elle limite son application à des crimes de plus de six ans en excluant d’autres, tels que les extorsions, le trafique d’organes ou encore (et surtout) la corruption. Le gouvernement a aussi modifié la loi 30077 qui définit les règles et conditions de jugements et d’arrestations face au crime organisé, rendant toujours plus obscures les actions pour lutter contre ces organisations.

Le 20 octobre, le congrès a finalement accepté de corriger son texte en présentant des solutions abstraites. La proposition de loi sur le terrorisme urbain 1 n’est qu’une mesure superficielle qui laisse une large marge d’interprétation. En criminalisant le trouble public, cette loi peut être utilisée pour criminaliser les protestations. Ajouté au décret 1589 voté en décembre dernier, où le blocage de route devient passible d’emprisonnement, le gouvernement s’est évité toutes contestations populaires.

Alors que la plupart des victimes restent dans le silence, l’État a ouvert un service d’écoute pour dénoncer les extorsions. Un service qui n’a pas gagné la confiance de la population péruvienne comme l’explique le professeur-avocat Heber Joel Campos : «Les personnes ne dénoncent plus parce qu’elles ont perdu confiance dans les institutions policières». En cherchant à tout prix à maintenir le pouvoir, ce gouvernement propose des lois déconnectées de la réalité renforçant le manque de confiance de la population ce qui permet aux organisations criminelles de grappiller de plus en plus d’influence à travers le territoire.

Envoyer les tanks comme signe de solidarité

Dès la première grève, l’armée a été mobilisée pour assurer l’ordre des manifestations et l’état d’urgence a été déclaré dans plusieurs districts de Lima. Alors que la présidente se montrait toujours indifférente, le 24 octobre elle a affirmé son soutien solidaire avec celles et ceux qui réclament des changements concrets. Quelques heures plus tard, des tanks militaires sont déployés dans les rues de Lima. À se demander contre qui le gouvernement fait la guerre. Lundi encore, de fortes répressions ont eu lieu à Libertad faisant plusieurs blessés.

Dans une de ses déclarations, la présidente n’hésite pas à faire l’amalgame entre siccarios, manifestants, et corrompus qui cherchent à lui voler le pouvoir. Bref, tout opposant politique est criminel. En faisant le parallèle avec les grèves de 2022-2023, elle maintient son attitude sourde et autoritaire.

Cette attitude s’accompagne par le banal discours xénophobe, rejetant notamment la faute sur les déplacés vénézuéliens en exagérant leur présence au sein des bandes criminelles. Malgré cela, les syndicats ont déjà annoncé leur mobilisation en mi-novembre alors que se déroulera la réunion de l’APEC, espérant que leur voix puisse être entendue à l’internationale.

Pour en savoir plus : 

  1. une mesure proposée depuis des années déjà[]