Manifestations à la place de la Constitution à Guatemala en soutien à Bernardo Arevalo. @ JdA-PA

Celia Sales, correspondante et stagiaire.

Il était temps. Après plus de 40 ans de conservatisme politique, voilà que depuis le 20 août dernier, Bernardo Arevalo, un social-démocrate, et son parti Semilla ont été élus par le peuple guatémaltèque pour quatre ans avec plus de 60 % des voix. Dès lors, un gouvernement de transition s’organise pour faciliter l’arrivée du nouveau président élu, le 14 janvier prochain. L’opposition, qui refuse d’accepter cette victoire, utilise les canaux légaux pour mettre en place un coup d’État. Depuis maintenant plus de cinq mois, fatigué par une corruption qui ne se cache même pas, le peuple guatémaltèque se mobilise massivement pour assurer que son vote soit respecté.

Un leader antisystème émergeant

Bernardo Arévalo. Crédit photo : Gouvernement du Guatemala, CC0 via Wikimedia Commons.

Fils du premier président guatémaltèque élu en 1944, Bernardo Arévalo grandit en Uruguay après que sa famille ait fui le coup d’État de 1954. La dictature militaire qui en a résulté a plongé le pays dans une guerre civile, dont les massacres et les exils hantent toujours les mémoires. Le peuple guatémaltèque est aujourd’hui laissé à l’abandon par ses élites politiques, toutes et tous accusé.es de fraude fiscale, blanchiment d’argent, participation dans les réseaux du narcotrafic et bien d’autres.

Le parti Semilla est le fruit de cet agacement populaire face aux scandales de corruption et s’est formé durant les manifestations de 2015. Il cherche à créer un nouveau printemps démocratique, lavé de toute corruption pour permettre au peuple de reprendre le pouvoir. L’arrivée d’un réformiste ambitieux dérange cette élite politique qui souhaite conserver le statu quo au Guatemala. Le président actuel, Alejandro Giammattei, ne fait pas exception et a fait en sorte de perpétuer la tradition d’un gouvernement répressif et ultralibéral.

Le jeu des corrompus

Ces dernières années, des figures politiques d’opposition et des journalistes critiques ont fui le pays pour éviter la prison. Les candidat.es, telle que la représentante Maya lma Cabrera (de gauche), Roberto Arzú (de droite), ou encore Carlos Piñeada (alors favoris des sondages), se sont vus obligé.es par la cour constitutionnelle de renoncer à la présidentielle. Accusé.es de corruption et de ne pas respecter la procédure de candidature, cette «décision arbitraire» est surtout un bon moyen d’assurer la victoire du gouvernement en place. Cela a également permis à Semilla de gagner en popularité, jusqu’à obtenir le plus grand nombre de voix au premier tour le 25 juin dernier, au côté de l’ancienne première dame Sandra Torres.

L’extrême droite, s’étant vue définitivement écartée de la présidence, souhaite rendre illégitime la participation du parti: accusé d’avoir rassemblé des signatures de parrainages invalides, le juge Fredy Orellana ordonne le 12 juillet la suspension de la candidature de Semilla, sur demande du responsable du Parquet spécial contre l’impunité (FECI), Rafael Curriche. Prévoyant qu’un parti ne peut pas être suspendu en pleine campagne électorale, la demande est finalement refusée par les tribunaux.

L’accusation sera remise sur pied en août, juste après sa victoire. Le ministère public saisit les registres électoraux du Tribunal Supremo Electoral (TSE) le 30 août et met la main sur les bulletins de vote. Ainsi, le 12 septembre, Arévalo se retire du gouvernement de transition et appelle à la grève nationale pour obliger la démission des trois personnalités corrompues.

Guatemala ya votó, ya decidió1

Fatiguées de voir un nouveau scandale antidémocratique éclater, les organisations sociales apportent leur soutien au nouveau président élu et appellent à la mobilisation générale.

Étudiant.es, travailleuses et travailleurs, paysan.nes, journalistes s’organisent massivement pour s’assurer que leur voix soit respectée. Dans la foulée, les figures populaires légitimes dont les organisations des 48 cantons de Totonicapán et les Communautés des peuples en résistance (CPR) réussissent à mobiliser pacifiquement la population autochtone, en grande majorité analphabète et concentrée dans les zones rurales du nord.

Unis devant le bâtiment du ministère public, toutes et tous exigent l’appui des institutions pour soutenir la démission de la procureure générale, Consuelo Porras, ainsi que celle de Rafael Curriche et de Fredy Orellana. L’obtention de ces démissions serait une victoire anticorruption et porterait un message d’espoir d’un réel changement. Le peuple demande également aux puissances étrangères de faire pression sur le gouvernement et assurer le respect à l’état de droit.

Malgré le fait que les États-Unis ait profité du gouvernement en place, le gouvernement de Joe Biden a rapidement offert son soutien envers les manifestant.es, notamment en bloquant l’émission des visas aux personnes soutenant le coup d’État, dont celui de la procureure générale. Par ailleurs, l’Union européenne, l’Organisation des États d’Amérique (OEA) et le Mexique ont apporté leur soutien aux demandes populaires, mais le Canada ne semble pas très préoccupé par la situation.

Un espoir limité qui ne s’éteindra pas

À ce jour, les figures corrompues ne sont pas prêtes à démissionner. Giammatei continue de les soutenir. Selon lui les procédures enclenchées envers Semilla respectent les règles judiciaires du pays. La procureure générale, quant à elle, a condamné l’élan populaire et ordonné l’utilisation de la force policière. Les manifestations s’estompent, mais toutes et tous restent vigilants en attendant le déroulement de la passation de pouvoir en janvier prochain.

Depuis le 2 novembre, le TSE a finalement affirmé la suspension du mouvement Semilla tout en assurant la validité des résultats électoraux, permettant à Arévalo de prendre ses fonctions en janvier prochain. En revanche, la dissolution du parti empêche des membres élus d’occuper des sièges au parlement. Semilla reste minoritaire à côté des partis de droite et d’extrême droite qui dominent encore les institutions politiques, limitant clairement les futures actions du social-démocrate.

Notes et références

Bernard Duterme, 2023. Guatemala : un espoir de changement ? Centre Triontinental, 27 juillet 2023.

Daniel Judt 2023. La victoria de Bernardo Arévalo trae a Guatemala otra primavera democrática, Rebelion, 4 septembre 2023.

Wikipedia.2023.Election présidentielle guatémaltèques de 2023, 31 octobre 2023.

 

  1. Slogans inscrits sur les pancartes des manifestations «Guatemala a déjà voté, a déjà décidé!» []

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