Guatemala: l’installation périlleuse du nouveau président

Inauguration présidentielle de Bernardo Arevalo. CC by: Presidencia Colombia (Juan Diego Cano) https://www.flickr.com/photos/197399771@N06/53465365554/
Inauguration présidentielle de Bernardo Arevalo. CC by: Presidencia Colombia (Juan Diego Cano) https://www.flickr.com/photos/197399771@N06/53465365554/

Par Célia Sales

Depuis sa victoire aux élections en août dernier, Bernardo Arévalo n’était pas au bout de ses peines. Il a finalement réussi à prendre ses fonctions comme 52e président de la République guatémaltèque le 14 janvier dernier, après des tentatives de coup d’État institutionnalisées répétées.

Une installation perturbée!

Son arrivée à la présidence n’était pas gagnée. Peu de temps après sa victoire électorale, l’opposition en place s’est démenée pour empêcher la prise du pouvoir du social-démocrate. Entre tentatives d’assassinat, remises en cause des bulletins de vote et délégitimation de son parti politique Sémilla, les mouvements Valor, Vamos et Todos, partis de droite et extrême droite guatémaltèques, ont tout fait pour empêcher son arrivée. D’autant plus que le vainqueur des élections a fait campagne contre la corruption, n’arrangeant pas les affaires du personnel politique installé au sein des institutions guatémaltèques.

Arrivé en janvier, Bernardo Arévalo s’est retrouvé sans parti politique légal, puisque le 2 novembre le Tribunal suprême électoral a suspendu son parti, le Mouvement Semilla. Accompagné par la vice-présidente Karin Herrera, Bernardo Arévalo s’est mobilisé pour obtenir des appuis au niveau international.

Ainsi, au cours des derniers mois, l’Organisation des États d’Amérique (OEA), l’Union européenne lancée par l’Espagne, les États-Unis, le Chili, le Mexique et le Paraguay ont fait pression sur les institutions guatémaltèques pour assurer la reconnaissance des règles démocratiques. Or, l’ancien président Alejandro Giammatei, qui a refusé la destitution des personnalités corrompues, a dénoncé ces pressions comme des atteintes faites à la «souveraineté nationale». Néanmoins, il a concédé que la passation de pouvoir se déroulera normalement.

Obstruction jusqu’au bout

Alors que la cérémonie devait se dérouler à 15 h, voilà qu’une nouvelle machination bloqua son investiture. Le Congrès devait former le matin même la nouvelle junte directive, qui dirigera les sessions de l’instance parlementaire la première année. À la présidence de cette junte, qui a comme devoir institutionnel l’intronisation officielle du nouveau président, trois candidats s’opposaient : Samuel Pérez Álvarez, député de Sémilla élu et deux têtes de l’extrême droite Sandra Jovel et Allan Rodriguez. Or, quelques jours plus tôt, la commission permanente avait réaffirmé l’illégitimité de Semilla, empêchant ainsi les député.es élu.es de ce parti d’accéder au congrès en tant que membres indépendants.

Les député.es de Sémilla n’ont pas tardé à dénoncer ce blocage démocratique sur les réseaux sociaux. Voyant que la session s’étendait de plus en plus, c’est le peuple guatémaltèque qui s’est mobilisé pour faire pression sur les institutions. En fin d’après-midi, devant le Congrès, des manifestant.es étaient rassemblé.es pour demander le respect à l’État de droit. Par ailleurs, des délégations internationales à Guatemala, rassemblées autour du président de l’OEA Luis Almagro, ont communiqué leur soutien au président et à la vice-présidente élu.es en appelant au respect de l’expression populaire.

Après plus de neuf heures de retard, Samuel Pérez Álvarez est finalement désigné comme président du nouveau corps législatif au Congrès1. Peu après minuit, le lundi 15 janvier, celui-ci couvrit Bernardo Arévalo de l’écharpe présidentielle. Du haut du balcon du palais national, le social-démocrate s’est exprimé au peuple guatémaltèque en tant que nouveau président.

Une victoire fragile

Toutes ces manipulations juridiques de l’opposition prouvent que le nouveau président n’a pas l’appui des autres membres du gouvernement, les élites corrompues ayant conservé leurs fonctions. Bien qu’au départ, Bernardo Arévalo n’était pas le favori, le brin de nostalgie de la lignée Arévalo2rappelle ces moments d’avant la guerre civile, lorsque le projet d’une République unie se construisait, ce qui lui a donné une certaine légitimité populaire.

Aujourd’hui le Guatemala est divisé. Les groupes indigènes, qui représentent la majorité de la population, sont concentrés dans les zones abandonnées du nord. Le pays est un des plus pauvres au monde, entraînant une vague massive d’immigration vers le Nord global.

La lutte contre la pauvreté et la dépendance aux intérêts étrangers

Bernardo Arévalo s’est engagé à lutter contre la pauvreté structurelle. Cependant, certains redoutent son incapacité à lutter contre les influences étrangères, aussi bien implantées que la corruption interne. Bien qu’il ait trouvé des alliés, le Guatemala reste dépendant de l’exploitation étrangère. Il est certes facile de soutenir la démocratie guatémaltèque, tant que celle-ci n’entrave pas les affaires commerciales et stratégiques. Pourtant, l’exploitation minière et des latifundios sont des enjeux majeurs pour les populations locales.

L’arrivée du socialisme dans ce pays d’Amérique centrale est symbolique, car la dynamique régionale et internationale limite la souveraineté du pays et de sa population. Le social-démocrate a réussi à avoir la confiance de sa population contrairement à ses prédécesseurs. Espérons maintenant que la mobilisation populaire guide et renforce les actions de ce nouveau gouvernement.

Pour en savoir plus

  1. Trois jours plus tard, le 17 janvier, la Cour constitutionnelle a ordonné la tenue de nouvelles élections, ne reconnaissant pas la victoire de Samuel Pérez Álvarez! Cela n’a pas empêché la nouvelle junte directive de mettre en place les sessions ordinaires au Congrès []
  2. Bernardo Arévalo est le fils du premier président guatémaltèque élu en 1944 : voir Sales, C. (novembre 2023). Guatemala : l’espoir d’un peuple en lutte, Journal des Alternatives – Une plateforme altermondialiste []