Simon Bertrand, Le Devoir, 20 juin 2019
Les élections de dimanche dernier au Guatemala ont confirmé une fois de plus les difficultés du pays à s’émanciper de l’influence d’une oligarchie bien soudée et qui en mène large dans ce pays d’Amérique centrale de 17 millions d’habitants. Sans surprise, les deux candidats qui prendront part au second tour en août prochain, Sandra Torres et Alejandro Giammattei, appartiennent à cette oligarchie corrompue et indélogeable. Signe du mécontentement qui gronde dans la population, le quotidien Prensa Libre indiquait lundi que, sur près de cinq millions de suffrages exprimés, on comptait plus de 13 % de votes blancs ou nuls. Le taux de participation était quant à lui en baisse de 10 % par rapport aux élections de 2015.
Espoirs déçus
Les élections de 2015 avaient pourtant donné l’espoir d’un renouveau en portant au pouvoir Jimmy Morales, un comédien et humoriste bien connu mais totalement étranger au monde de la politique. La précédente administration s’était achevée dans la tourmente, alors que le président Otto Pérez Molina et sa vice-présidente Roxana Baldetti avaient été accusés de détourner à leur profit des droits de douane perçus par le principal port commercial du pays. L’élection d’un outsider devait marquer une rupture avec les gouvernements entachés par la corruption qui se sont succédé depuis le processus de paix des années 1990.
Or, les quatre années du gouvernement Morales ont démontré toute l’influence des réseaux d’ex-généraux et d’une élite économique qui tirent les ficelles du pays depuis des années et qui ne sont redevables à aucun citoyen. Dès son arrivée au pouvoir, Morales a fait se succéder les décisions favorables à ce pouvoir de l’ombre en adoptant à la hâte des projets de loi afin d’assouplir les normes du travail déjà très laxistes du pays.
L’administration Morales a aussi pris les grands moyens afin de protéger la classe politique de la justice en abrogeant l’article 407 du Code pénal, en vertu duquel les membres du Congrès peuvent être poursuivis pour financement électoral illégal. Conspué par la population et la société civile qui ont descendu dans les rues pour y dénoncer un « pacte des corrompus » entre élus et entreprises, le gouvernement a réagi en faisant circuler l’armée dans les rues.
Le gouvernement s’est aussi offert un grand cadeau en janvier dernier en expulsant du pays la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG), qui oeuvrait au pays depuis 2006 sous l’autorité des Nations unies afin d’enrayer la corruption rampante et de renforcer le système judiciaire du pays. Sous des justifications confuses, le gouvernement a abruptement mis fin au mandat de la CICIG et déclaré persona non grata son président, qui enquêtait sur de nombreux élus ainsi que sur le fils du président pour une affaire de financement électoral illégal.
Corruption
Les élections de dimanche constituaient une autre occasion de briser l’influence des forces occultes qui dominent le paysage politique depuis des années, mais il semble de plus en plus probable que le statu quo prévaudra. La campagne électorale a montré une oligarchie politique prête à tout pour conserver son pouvoir à un cercle restreint et tuer dans l’oeuf tout projet de changement.
Censées garantir une plus grande intégrité des candidats à la présidence, les règles anticorruption de la Cour constitutionnelle ont plutôt servi à écarter de la course les deux candidates qui talonnaient ou dépassaient Sandra Torres, ex-première dame du pays. Dominée par des proches du parti de Torres, la Cour a ainsi rejeté en mai dernier les candidatures de Zury Ríos et de Thelma Aldana, ex-procureure générale du pays et championne de la lutte anticorruption jusque-là favorite dans les sondages. Le résultat de cette manoeuvre aura été de laisser la voie libre aux candidats du statu quo durant le premier tour, qu’il s’agisse de Sandra Torres, de Roberto Arzù, fils de l’ancien président Álvaro Arzù, ou d’Alejandro Giammattei, qui a eu plusieurs démêlés judiciaires lorsqu’il était directeur du système carcéral du pays entre 2005 et 2007.
Peu importe qui de Torres ou de Giammattei remportera le second tour, il est inutile de retenir son souffle. Les réseaux d’influence occulte ont remporté leur pari. L’élection s’est jouée avant même le premier tour et l’histoire de la présidence de Morales se répétera vraisemblablement durant les prochaines années.