« Liberté immuable ! » Sous ce mot d’ordre aussi pompeux que dérisoire, le président américain George W. Bush lance en octobre 2001 sa « guerre contre le terrorisme » en envahissant l’Afghanistan. N’avait-il pas expliqué, devant le Congrès américain :
Ils haïssent ce qu’ils voient dans cette assemblée, un gouvernement démocratiquement élu. Leurs dirigeants se désignent eux-mêmes. Ils haïssent nos libertés : notre liberté religieuse, notre liberté de parole, notre liberté de voter et de nous réunir, d’être en désaccord les uns avec les autres ?
« Ils », c’étaient « les terroristes », que le président américain s’engageait à traquer jusqu’aux confins les plus obscurs de la planète. La guerre serait longue, reconnaissait-il, et elle aurait comme terrain la terre entière, mais bientôt le Bien l’emporterait, le Mal serait éradiqué et la Liberté, avec un grand L et un accent américain, illuminerait des peuples subjugués et ravis.
La « communauté internationale » autoproclamée, en réalité réduite aux gouvernements occidentaux, ne pouvait que se rallier à de si martiaux propos. Utilisant la sidération des opinions créée par le 11-Septembre, nombre de politiques, d’éditorialistes, de « spécialistes » autoproclamés du terrorisme, d’intellectuels contribuèrent à mobiliser contre le nouvel ennemi, le terrorisme, confondu souvent avec l’islamisme, voire avec les musulmans.
REMPLACER LE 14-JUILLET PAR LE 11-SEPTEMBRE
D’autres exaltaient « une résistance » aussi indispensable que celle qui s’était dressée contre le nazisme. « Oh, je sais, s’exaltait l’écrivain Philippe Sollers,
il y a encore pas mal de travail à faire là-bas, du côté de Kaboul, de Ramallah, de Bagdad. (…) Mais enfin, le Mal sera terrassé, c’est l’évidence même. Je trouve qu’on tarde trop, d’ailleurs. Pourquoi ces atermoiements ? Ces freinages ? Ces pseudo-scrupules ? Ces onuseries qui ne trompent personne ? Il faut frapper, encore et encore. Le 11-Septembre l’exige. Le 11-Septembre est l’horizon indépassable de notre temps. Plus de 14-Juillet : 11-Septembre. Espérons que les Français, toujours un peu à la traîne de la vraie conscience historique, finiront par s’en convaincre et par s’aligner sur la nouvelle religion2.
Cette « nouvelle religion », c’est « la guerre contre le terrorisme ». Mais de quoi parlait-on exactement ? Le général prussien Carl Von Clausewitz (1780-1831) expliquait que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Et il insistait : « La première et la plus vaste question stratégique est de juger correctement du genre de guerre dans laquelle on s’engage », et de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la victoire. Mais éliminer « le terrorisme », cette forme de violence qui a marqué chaque étape de l’histoire humaine sous des visages multiples, utilisée par des acteurs aux convictions parfois antagonistes, n’a, au sens strict, aucun sens. Même les Croisades, guerres religieuses menées contre l’islam, visaient un objectif concret, « la libération du tombeau du Christ », et pas la conversion de la planète.
Un coup d’œil sur la Global Terrorism Database de l’université de Maryland illustre à sa manière le confusionnisme qui domine. Elle dresse le relevé des « attentats terroristes » à travers le monde3, avec nombre d’informations intéressantes sur les principaux terrains d’instabilité – même si on n’est pas surpris d’apprendre qu’il s’agit du Yémen, de l’Afghanistan et de l’Irak. Mais le rapport additionne une attaque de suprémacistes blancs aux États-Unis et un attentat-suicide de l’organisation de l’État islamique en Afghanistan, y rajoute une pincée d’actions des restes de guérilla en Colombie et un attentat antisémite en Europe pour produire un salmigondis indigeste.
Cette confusion — multiplication des ennemis, flou des objectifs — a contribué aux échecs répétés de « la guerre contre le terrorisme », même si le complexe militaro-industriel américain naguère dénoncé par le président Dwight D. Eisenhower en a tiré de substantiels profits. Comme l’écrivent dans leur ouvrage La Guerre de vingt ans (Robert Laffont, 2021) Marc Hecker et Élie Tenenbaum,
La définition large de la menace terroriste adoptée par l’administration Bush — incluant non seulement Al-Qaida, mais aussi un grand nombre de groupes armés et d’“États voyous”, du Hezbollah à la Corée du Nord — allait donner lieu à ce qui peut être rétrospectivement considéré comme l’une des erreurs majeures de ces premières années.