Par Alexis Legault est participant à la délégation jeune à L’UÉMSS
Pour Frédéric Thomas du CETRI « Les Haïtiens et les Haïtiennes ont fait plus que leur part de boulot pour la liberté, à nous de payer notre dette. » lors de l’atelier qui s’est tenu sur Haïti à l’UÉMSS.
Cet article est tiré de l’atelier Haïti : souffrances, résistances, espoir présenté France Amérique Latine (FAL), le Collectif Haïti de France, la Plateforme française de solidarité avec Haïti, le Centre tricontinental (CETRI), Journal des Alternatives – une Plateforme Altermondialiste et le Centre de Recherche et d’Informations pour le Développement (CRID), dans le cadre de l’Université des mouvements sociaux et des solidarités à Bobigny.
Les enjeux auxquels est confrontée la population d’Haïti, tout comme le rôle des puissances occidentales dans ceux-ci, devraient interroger sérieusement chacun de nous. Pour Frédéric Thomas 1 du CETRI, « Les Haïtiens et les Haïtiennes ont fait plus que leur part de boulot pour la liberté, à nous de payer notre dette. » lors de l’atelier qui s’est tenu sur Haïti à l’UÉMSS.
Les présentations ont commencé par un exposé de Sabine L’Amour 2 qui est remontée aux conséquences du tremblement de terre en 2010 en Haïti. Pour elle, c’est « le début de la mise au ban de la société civile haïtienne ». Les médias internationaux se sont emparés du contexte post-séisme pour dénigrer la population et plusieurs pays occidentaux se sont ingérés dans les affaires internes du pays. Ça s’est exprimé entre autres par la disqualification du mouvement féministe haïtien, décrit comme « mort », puisque certaines de ses représentantes ont péri dans le séisme.
Depuis 2010, les dérives des gouvernements successifs et la tolérance vis-à-vis des actions de la pègre sont devenues monnaie courante. Durant ce temps, les mobilisations sociales, particulièrement celles des femmes, ont été réprimées dans la violence et la terreur. Des déportements ont été réalisés. Les kidnappings et les viols collectifs sont devenus des « outils de terreur » politiques.
Le marquage du territoire par la violence faite aux femmes
Ces actions, qui demeurent le plus souvent impunies, représentent des messages. Ils indiquent notamment le contrôle d’un territoire. Le corps des femmes devient alors « un champ de bataille », et ces actes d’extrême violence empêchent les femmes d’unir la population haïtienne. Sabine L’Amour constate une alliance, plus ou moins tacite, entre ceux qui détiennent le pouvoir local, le gouvernement et les gangs en Haïti. L’absence d’intervention du gouvernement a mené à la formation de groupes citoyens qui, en opposition à ces actes de violence envers les femmes, en viennent à se faire justice eux-mêmes, en retrouvant et en lynchant les agresseurs.
En ce qui concerne les organisations non gouvernementales (ONG) qui financent le gouvernement d’Haïti, certains affirment qu’elles contribuent à perpétrer, plus ou moins directement, ces violences menées sur le peuple haïtien, livré à lui-même. Comme l’aide humanitaire ne permet pas au peuple haïtien de former un cadre souverain, Haïti semble aujourd’hui bloqué dans une double domination, prise en étaux entre l’oligarchie nationale et les intervenants internationaux. C’est pourquoi il importe que le discours médiatique international doit cesser de réduire la population haïtienne au rôle de figurante et d’enfant des États occidentaux.
Le biais de la politique impérialiste
Pour Frederic Thomas, Il existe aussi un biais diplomatique au niveau des institutions européennes. Du point de vue des intérêts politiques, on fait le silence sur la critique de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et Washington à la faveur d’un argumentaire selon lequel l’État haïtien est faible, impuissant et sans moyens de contrôle social (ex. corps policier), puisqu’ayant perdu des territoires aux mains des bandes armées. Ceci « obligerait » les pays occidentaux à « aider » Haïti en intervenant par l’aide humanitaire et à maintenir le déploiement possible d’une force armée internationale. S’ajoute à ce discours, le mythe du pays maudit et d’un peuple chaotique, ingouvernable et en manque de civilité. L’ordre ne pourrait alors venir que de l’extérieur.
Aux yeux des organismes et des personnes haïtiennes progressistes et alliées d’Haïti, on met sous emprise un peuple pour des intérêts qui ne sont pas les siens. Haïti souffrirait non pas de l’abandon international, mais plutôt de l’ingérence internationale répétée et constante depuis les débuts de la prise de pouvoir de l’État d’Haïti par la population haïtienne.
Ariel Henry, actuel Premier ministre d’Haïti, ne se serait pas hissé au pouvoir sans le soutien international, et spécialement des États-Unis, soutient M. Thomas. Ces appuis sont décrits comme essentiels pour soutenir « à bout de bras » le gouvernement d’Ariel Henry. La population « n’a pas élu, rejette et ne veut pas » de ce gouvernement. La communauté internationale se refuse toutefois à « une transition de rupture » souhaitée par la population haïtienne qui, dans toute sa diversité, aspire à une véritable autodétermination.
« Il faut rendre la honte plus honteuse, le scandale plus scandaleux et la responsabilité [des gouvernements internationaux] plus visible. »
Il apparaît douteux de confier à un gouvernement dont la légitimité est mise en cause aussi largement l’organisation d’élections crédibles. Il est tout aussi difficile de voir comment l’envoi de corps policiers ou militaires internationaux qui ne parleraient pas la langue de la population parviendrait à instaurer un climat de confiance et de sécurité favorisant le développement du tissu social haïtien. L’Union européenne se doit alors de refuser, malgré l’inconfort que cela lui impose en sa position d’allégeance vis-à-vis des États-Unis, la politique impériale de Washington à l’endroit d’Haïti.
Le portrait dépeint est certes sombre, mais les efforts déployés par la société civile internationale en soutien au peuple haïtien ne doivent pas être perçus comme vains. Le rassemblement de la diaspora haitienne qui s’est tenu à Montréal en même temps que l’UÉMSS exprime cette volonté du peuple haïtien d’agir de manière indépendante.
Pour plusieurs, la pression des mouvements sociaux aux États-Unis et ailleurs serait fort responsable du fait que les États-Unis n’est pas encore intervenu militairement. Les organismes internationaux ne peuvent agir de manière apolitique et se contenter d’envoyer des ressources ou de créer des guides d’accompagnement. Il est temps d’appuyer le peuple haïtien dans sa lutte pour l’autodétermination, et cela ne se fera pas sans s’opposer politiquement aux plans néocoloniaux imposés par de puissants acteurs internationaux.
- On trouvera la version écrite de son intervention ici [↩]
- professeure à l’Université d’État d’Haïti et coordonnatrice générale de Solidarité Fanm Ayisyèn[↩]