Aujourd’hui, un président duvaliériste qui devait quitter ses fonctions prolonge son mandat contre la volonté de la plupart des haïtiens et des constitutionnalistes. Au cours de son mandat, Jovenel Moïse a restauré de nombreux aspects du régime brutal hérité de la dictature duvaliériste. Moïse a réprimé les manifestations populaires et a orchesté une alliance des gangs pour semer la peur dans les bidonvilles. Il a statué par décret et criminalisé les manifestations comme du « terrorisme » tout en plongeant le pays dans une crise constitutionnelle.
Peu de temps après la dissolution du Parlement parce que Moïse n’a pas tenu d’élections fin 2019, le président a sélectionné des personnes pour réécrire la constitution en violation flagrante de la loi. En novembre 2020, Moïse a décrété unilatéralement la création d’une nouvelle Agence nationale de renseignement avec des officiers anonymes et juridiquement intouchables qui, note le journaliste Kim Ives, «ont le pouvoir non seulement d’espionner et d’infiltrer, mais d’arrêter toute personne engagée dans des «actes ou [ceux] menaçant la« sécurité de l’État ». L’Agence rappelle les « Volontaires de la Sécurité Nationale » redoutés de Duvalier, une force paramilitaire violente dont les effectifs se sont gonflés à quelque 15 000 hommes au milieu des années 80.
Moïse est le successeur trié sur le volet de Michel Martelly. Partisan des coups d’État de 1991 et 2004 contre le président élu Jean-Bertrand Aristide, Martelly était membre des Tonton Macoutes. En tant que président, Martelly s’est entouré d’anciens duvaliéristes et de chefs d’escadrons de la mort qui avaient été arrêtés pour viol, meurtre, enlèvement et trafic de drogue. Lorsque Jean-Claude Duvalier est revenu en Haïti après 25 ans, Martelly a déclaré au New York Times que personne ne voulait qu’il soit poursuivi à l’exception de « certaines institutions et gouvernements » à l’étranger.
En fait, le pouvoir Martelly a été mis en place peu de temps après que le tremblement de terre meurtrier de 2010 ait coûté la vie à plus de 250 000 Haïtiens. Lors des élections de cette année-là, Washington et Ottawa sont intervenus pour aider l’élection de Martelly, qui avait reçu avec environ 16% des voix lors dans un exercice électoral par ailleurs largement boycottée). Pour sa part, le Canada a investi 6 millions de dollars pour des élections qui ont exclu Fanmi Lavalas, un parti politique social-démocrate populaire. Après le premier tour, les représentants canadiens d’une mission de l’Organisation des États américains ont aidé à forcer Jude Célestin, un candidat que le conseil électoral avait en deuxième place, à sortir du second tour.
Depuis, le Canada a fourni un soutien quasi incontesté à Moïse. Ottawa a également investi des dizaines de millions de dollars dans la police et le système carcéral haïtiens ces dernières années, tout en faisant la promotion d’une force de police qui réprimait violemment les manifestations anti-Moïse.
La triste histoire des relations Canada-Haïti
Il faut se souvenir que le Canada a été l’un des principaux contributeurs financiers à Haïti tout au long des 15 ans de la dictature de «Baby Doc» Duvalier. Dans une étude de l’Institut Nord-Sud en 1984, l’auteur Phillip English expliquait que l’aide canadienne offert par l’Agence canadienne de développement international (ACDI) servait à légitimer le régime en démontrant une approbation internationale et en générant des projets et des emplois associés au régime. Dans Spy Wars: Espionnage et Canada de Gouzenko à Glasnost, les historiens David Stafford et Jack Granatstein affirment que l’une des personnes à la tête du programme de l’ACDI, Hugh Hambleton, vivait dans le luxe à Port-au-Prince, travaillant en étroite collaboration avec les responsables du gouvernement notoirement corrompu et brutal de Baby Doc. Trois jours avant l’exil forcé du dictateur, Robert Bourassa et Brian Mulroney hésitaient à demander l’exclusion du dictateur d’un prochain Sommet de la Francophonie.
Au cours des quatre années qui ont suivi la fuite de Duvalier (avec l’aide des États-Unis), le Canada a fourni une aide importante à des régimes dirigés par l’armée. En novembre 1986, la ministre des Relations extérieures, Monique Landry, s’est rendue en Haïti pour rencontrer le chef du gouvernement, le général Henri Namphy. Le Canada a annoncé une aide de 80 millions de dollars sur cinq ans et Landry a également invité Namphy au Sommet de la Francophonie à Québec l’année prochaine. Alors que la nature violente et antidémocratique du régime militaire devenait indéniable, Ottawa a résisté aux critiques de la communauté haïtienne et de la gauche québécoise. Le gouvernement canadien a largement maintenu ses diverses formes de soutien aux régimes militaires.
35 ans plus tard, peu de choses ont changé. Après avoir expulsé Duvalier, les Haïtiens qui luttent pour une société juste et démocratique font face à une situation similaire. Ils doivent non seulement lutter contre le pouvoir de leur propre élite dirigeante, mais ils sont également confrontés au Canada et aux États-Unis.