Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH)
Synthèse de la présentation qui a été faire au Comité des Affaires étrangères Chambre des Représentants des Etats-Unis, 12 mars 2021
Sur l’insécurité
- La situation générale d’insécurité dans laquelle patauge le pays est, depuis quelque temps, caractérisée par des actes attentatoires aux vies et aux biens. Pour l’année 2020 seulement, plus de 1.085 personnes dont 37 policiers, ont été assassinées. En janvier et février 2021, la situation n’a pas changé avec au moins 65 personnes assassinées par balles dont 3 policiers.
- En juin 2020, les gangs armés se sont fédérés avec la bénédiction du pouvoir en place. Et, ceux qui font partie de cette fédération sont indexés dans des actes de violation des droits humains et dans des massacres et attaques armées, enregistrés dans le pays depuis 2018. Cependant, ils ne perdent rien de leur influence : ils sont entendus par les autorités au pouvoir, leurs revendications sont satisfaites immédiatement. Par exemple, ils ont nommé un directeur à la Caisse d’assistance sociale et ont exigé et obtenu la révocation du ministre des affaires sociales et du travail.
- De 2018 à 2020, au moins 10 massacres ont été perpétrés à Port-au-Prince, la ville la plus dangereuse du pays, occasionnant l’assassinat de 343 personnes, la disparition de 98 autres et le viol collectif de 32 femmes. 251 enfants sont devenus orphelins, suite à ces événements sanglants.
- De plus, depuis 2020, les cas de kidnapping ont exponentiellement augmenté. En moyenne, 4 à 5 personnes sont enlevées chaque jour. En général, les femmes et filles kidnappées sont victimes de viols collectifs et soumises à des traitements cruels, inhumains et dégradants.
- Après avoir été relâchées, de nombreuses victimes ont affirmé avoir été kidnappées par des policiers en uniforme et emmenées à leur lieu de séquestration, à bord de véhicules affectés au service de l’Etat ou portant des plaques d’immatriculation officielles. D’autres ont affirmé avoir remis les rançons à des personnes accompagnées d’agents d’unités spécialisées de la PNH. Et, dans au moins un cas de kidnapping, 2 ressortissants étrangers victimes d’enlèvement ont été libérés et emmenés jusqu’à la police judiciaire par une femme connue, membre du pouvoir.
- Les familles des victimes s’endettent pour payer de fortes rançons sans aucune garantie que leurs proches leur seront rendus en vie. Et le fait même de porter la rançon réclamée aux ravisseurs constitue en lui-même une action périlleuse car parfois, ceux qui sont chargés de cette tâche sont aussi retenus contre rançon.
- Malgré un embargo sur l’importation des armes en Haïti, celles-ci entrent librement dans le pays et permettent aux gangs armés de perpétrer leurs actions délictueuses. Ces derniers disposent en effet d’armes et de munitions en très grande quantité et souvent se vantent d’être mieux armés que l’institution policière elle-même.
Sur le dysfonctionnement des institutions étatiques clés
- Le pouvoir judiciaire haïtien, ravagé par la corruption, le trafic d’influence et des arrêts de travail successifs est complètement dysfonctionnel. Par exemple, depuis le 8 février 2021, les cours et tribunaux sont en grève, en protestation de la décision du président de facto Jovenel Moïse de mettre à la retraite, trois (3) juges de la Cour de Cassation et de nommer arbitrairement trois (3) autres, en violation des dispositions de la Constitution, consacrant l’inamovibilité des juges de cette Cour.
- Les impacts du dysfonctionnement de l’appareil judiciaire haïtien sont énormes et, ce sont les personnes en détention préventive qui en souffrent le plus. Au 3 mars 2021, 11.445 personnes sont en prison, dont 9.673, soit plus de 84 %, en attente de jugement.
- Le pouvoir exécutif use du non-renouvellement du mandat des juges comme menace et outil de marchandage. Et, les juges proches du pouvoir sont les seuls dont les mandats se renouvellent facilement.
- En outre, depuis 2017, le président de facto Jovenel Moïse a entamé un processus de démantèlement des institutions étatiques créées pour lutter contre la corruption et le blanchiment des avoirs. De même, celles qui sont dotées du pouvoir de contrôler les actions de son administration, ont été affaiblies et / ou totalement dénaturées.
Sur la répression des mouvements antigouvernementaux
- Les manifestations antigouvernementales sont systématiquement réprimées. En effet, lorsque des citoyens-nes décident d’exiger le respect de leurs droits et libertés par ceux-là qui sont appelés à les garantir et à les réaliser, les agents des unités spécialisées de la police reçoivent l’ordre formel de les attaquer, de les provoquer, de les prendre en chasse et d’attenter à leur vie dans l’objectif évident d’instaurer un climat de terreur. Les journalistes sont pour leur part, souvent l’objet d’agressions physiques de la part des policiers. Pourtant, plusieurs manifestations ont été organisées dans les rues par des membres de gangs armés proches du pouvoir. Elles n’ont jamais été dispersées. Au contraire, elles ont été sécurisées par l’institution policière.
Sur l’impossibilité d’organiser des élections en 2021
- Il n’y a pas plusieurs façons de le dire : Les élections ne peuvent avoir lieu en 2021 en Haïti. Trois (3) raisons principales peuvent être avancées :
- Sans tenir compte des irrégularités et des scandales ayant entaché le processus de recrutement de cette firme allemande appelée à distribuer les cartes d’identification aux électeurs et électrices, l’Etat haïtien est dans l’incapacité de délivrer ces cartes. Il lui a fallu 2 ans pour enregistrer 3 millions d’électeurs-trices et pour délivrer moins que 2 millions de cartes. Or, 7.5 millions de citoyens sont en âge de voter. Et, si les élections sont projetées pour novembre 2021, toutes les cartes devraient être distribuées au mois d’août 2021 soit, dans un délai de cinq (5) mois. Ce qui est difficile, sinon carrément impossible.
- L’organe électoral mis en place le 22 septembre 2020 par le président de facto Jovenel Moïse n’est pas issu d’un consensus politique, ce qui lui aurait donné toute légitimité nécessaire pour effectivement organiser les élections. Et, les membres de cet organe électoral n’ont pas prêté serment par devant la Cour de Cassation, un acte sacramentel, incontournable pour le montage ultérieur des tribunaux électoraux appelés à connaitre du contentieux électoral. Il n’est pas en effet superflu de rappeler que ces tribunaux sont formés de membres du Conseil électoral, de juges et d’avocats. De plus, le conseil électoral est doté d’un mandat inconstitutionnel d’organiser un référendum, ce qui est prohibé, selon l’article 284-3 de la Constitution en vigueur.
- la situation d’insécurité qui sévit dans le pays n’est pas de nature à permettre aux candidats et aux candidates de mener campagnes dans des circonscriptions importantes, contrôlées par des bandits armés. De leur côté, les électeurs et électrices ne pourront voter sans contrainte le jour du scrutin. A ce stade, prenons le temps de souligner que les départements de l’Ouest et de l’Artibonite représentent 60 % de l’électorat haïtien. Ils sont tous deux contrôlés par des bandits armés à la solde du pouvoir.
- Le président de facto Jovenel Moïse aurait dû organiser les élections depuis 2017. Il ne les a jamais réalisées parce qu’il tenait à instaurer ce climat de chaos et d’instabilité dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui. Car, justement, depuis le 14 janvier 2020, la République d’Haïti est gouvernée par un seul homme, qui s’est octroyé les attributions des pouvoirs législatif et judiciaire en plus des attributions du pouvoir exécutif. Et, s’il a passé tout ce temps au pouvoir sans avoir organisé les élections, ce n’est pas maintenant, alors que son mandat a pris fin depuis le 7 février 2021, que le pays attendra de lui, le respect de cette responsabilité constitutionnelle qui lui incombait.
- Et, quand c’est un président de facto, accroché désespérément au pouvoir, qui vient de créer son agence personnelle d’intelligence, qui déclare péremptoirement gagner à tous les coups les élections, peu importe la date de leur organisation et qui profère des menaces à peine voilées en direction des personnes de l’opposition, nous, de la société civile, avons de bonnes raisons d’avoir peur car, il s’agit là tout simplement de velléités dictatoriales.
Conclusion et demandes
- Depuis 2017, les organisations haïtiennes de droits humains n’ont pas cessé de dénoncer les agissements de Jovenel MOÏSE car la voie empruntée par lui dès le début de son mandat a toujours été celle du pouvoir totalitaire et de la pensée unique.
- Mais, en dépit de ces dénonciations, l’administration américaine en particulier, la communauté internationale en général de même que l’OEA et l’ONU ont toujours accordé leur appui inconditionnel à l’ancien président Jovenel MOÏSE, tout en cautionnant toutes les dérives du pouvoir au détriment du peuple haïtien dont les revendications sont pourtant claires, simples et justes : le respect et la réalisation de ses droits.
- Aujourd’hui, malgré la fin de son mandat, Jovenel MOÏSE refuse de partir et la situation des droits humains empire avec des persécutions politiques et des arrestations illégales et arbitraires. Entre temps, il contrôle seul le pays avec :
- Son agence personnelle d’intelligence ;
- Sa coalition de gangs armés ;
- Son armée, remobilisée par son prédécesseur, et qui s’est donné pour mission de tirer à hauteur d’homme, en direction des manifestants-tes antigouvernementaux ;
- Une Brigade créée pour surveiller les aires protégées mais transformée depuis un certain temps en milice armée menaçant d’intervenir sur le terrain pour mater les manifestations antigouvernementales ;
- Une unité spécialisée de l’institution policière affectée en temps normal, à la sécurité des présidents et anciens présidents, mais qui a été rendue opérationnelle sur le terrain, et impliquée dans de nombreux cas de violation de droits humains.
- Une police affaiblie, politisée acquise pour sa grande majorité, à la cause du président de facto Jovenel Moïse et qui a oublié sa mission qui consiste à protéger et servir la population haïtienne.
Sur la base de ce que nous venons de présenter, nous demandons à l’administration Biden de :
- Se mettre à l’écoute de la société civile, au lieu de supporter un gouvernement totalitaire impliqué dans la corruption et dans des violations de droits humains ;
- Mettre fin au support d’un processus électoral vicié à la base qui débouchera à coup sûr sur une crise post-électorale et une grande instabilité politique ;
- Supporter au contraire des élections libres, honnêtes, démocratiques et transparentes avec un Conseil électoral légitime, issu d’un accord politique et inspirant confiance ;
- Se démarquer du processus devant aboutir au référendum inconstitutionnel planifié par ce pouvoir totalitaire ;
- Poursuivre tous ceux qui, dans ce régime, sont impliqués dans la violation des droits humains, la corruption et le blanchiment des avoirs sur le territoire américain ;
- Enquêter sur les armes illégales en provenance des Etats-Unis d’Amérique qui entrent facilement en contrebande sur le territoire haïtien.