
Claire Comeliau, correspondante en stage
Aujourd’hui en Haïti, 48% de la population fait face à une insécurité alimentaire aigüe, selon le centre national de la sécurité alimentaire. Le pays ne s’est jamais remis du terrible tremblement de terre qui l’a frappé en 2010 : déficit de la scolarisation, criminalité en hausse et instabilité politique ébranlent la société. Force est de constater que depuis 2018, les inégalités sont à leur paroxysme. Mais alors, comment soutenir la société civile dans ses efforts pour une solution à la crise ?
C’est le cœur de l’atelier que l’ONG Alternatives a tenu dans le cadre de la conférence internationale de La Grande Transition consacrée aux “solidarités post-capitalistes”. Animée par Marc-Edouard Joubert, président du conseil régional du Montréal (FTQ) et co-président d’Alternatives, l’atelier a réuni Jean-Claude Icart, sociologue et professeur à l’UQAM ainsi que Chantal Ismé, ingénieure en électromécanique et sociologue urbaine, tous deux d’origine haïtienne.
L’héritage du néocolonialisme en Haïti
Pour Jean-Claude Icart, il importe de saisir l’impact du néocolonialisme sur l’histoire et la trajectoire du pays. Il s’appuie sur les propos de Dominique de Villepin, ancien Premier Ministre français, sur le contexte mondial en mutation, notamment concernant la culture morbide du déclin qui plane, le fanatisme hégémonique des nouvelles technologies et le retournement de la mondialisation qui sont des bonnes bases pour comprendre la dynamique de domination persistante.
Le poids de la dette !
Parmi les exemples de ce passif de l’histoire, rappelons qu’en 1825, la France a exigé une rançon de 21 milliards de dollars à Haïti en guise de compensation pour son indépendance. Le pays sera étranglé par la dette, mettant plus d’un siècle à la rembourser. La situation actuelle ne peut être comprise en omettant cette exigence néocoloniale, initiée par la France certes, mais réalisée avec l’accord tacite des autres pays occidentaux.
En 2003, lors de la commémoration des deux cents ans d’indépendance en Haïti, le président de l’époque, Jean-Bertrand Aristide, réclamait la restitution de cette dette. Ainsi, le 17 décembre 2003, Dominique de Villepin réunissait un comité de réflexion avec pour mission de formuler des propositions pour améliorer les relations de la France avec Haiti. Sans surprise, le rapport du comité n’appelle pas explicitement à une restitution de la dette, même s’il reconnaît son caractère injuste et ses conséquences néfastes.
L’essor des gangs, signe de l’absence de l’Etat
Chantal Ismé va droit au but : “Je suis venue parler d’un peuple en résistance, pas d’un État en faillite” affirme-t-elle fièrement. Depuis 2018, on assiste à l’écrasement de tout pouvoir légitime en Haïti. Ce n’est pas simplement une crise de gouvernance, mais bien une crise systématique à laquelle le pays est confronté.
Cet effondrement remonte à près de quatre décennies, avec la série de coups d’état et les premiers germes du banditisme social qui explosera dans les années 2000. L’essor de ces gangs alimente depuis lors une spirale infernale de violence : Haïti est le pays avec le plus grand nombre de personnes déplacées dans le monde en raison de la criminalité. Près d’un million de personne se sont vues contraintes de se réfugier.
L’avancée inexorable des gangs est notamment permise par l’absence totale de l’Etat et de volonté politique de contenir la crise. Face à l’incapacité de l’Etat à défier ces contre-pouvoirs, c’est la population qui se fait réprimer par les forces de l’ordre lors des manifestations. La voix du peuple est exclue des processus de décision.
La crise multidimensionnelle que traverse Haïti est le résultat d’un projet néocolonial composé d’ingérence, de missions dites de paix, de gouvernances corrompues et d’élites locales ayant trahi leur peuple.
La solution se trouve dans un peuple debout qui continue à se battre
Pour Chantal Ismé, les solutions apportées ont rendu l’Etat inefficace et témoigne de l’échec de l’impérialisme et des élites locales. La solution durable est populaire et souveraine. Elle est dans la force d’un peuple courageux qui se bat et qui résiste, malgré une situation économique très difficile.
Une solution durable passerait par une refondation démocratique utilisant les mécanismes issus d’une démocratie participative populaire. Une assemblée constituante issue des mouvements sociaux dans le but de redonner du pouvoir aux structures locales, tout en leur donnant des moyens réels.
Le travail de justice est également fondamental et précieux pour préserver et guérir la mémoire du peuple haïtien. La sociologue urbaine propose une justice communautaire, enracinée dans la culture traditionnelle haïtienne et s’opposant à une nouvelle dynamique néocoloniale.
Appel à la solidarité internationale
La crise de confiance est profonde en Haïti. Un travail de reconstruction est nécessaire, mais sa réalisation dépend en partie de la solidarité internationale qui respecte la dignité du peuple Haïtien. Chantal et Jean-Claude luttent pour porter cette voix qui soutient la résistance d’un peuple qui se bat pour vivre librement, indépendamment et dans la paix.