Inde : mise en place d’un État policier

 

Vinod Mubayi, Bulletin INSAF, août 2020

Chaque jour, l’Inde s’enfonce dans un État policier où les libertés garanties par la Constitution dont la liberté d’expression, la liberté d’exprimer des opinions contre les politiques du gouvernement, sont de plus en plus violées.

Dans la capitale Delhi, la police agit avec brutalité contre les citoyens qui manifestent contre la loi d’amendement de la citoyenneté (CAA) par le biais de manifestations pacifiques, non violentes et de masse en plein air. Les manifestations sont dirigées par de jeunes femmes musulmanes soutenues par des étudiants, des militants des droits civiques et des personnes de tous âges et de tous horizons. Ces manifestations se sont poursuivies en décembre, janvier et presque tout le mois de février, lorsque des violences ont éclaté dans le nord-est de Delhi après que les politiciens au pouvoir du BJP aient prononcé des discours très provocants exhortant leur public à «tirer sur les traîtres», c’est-à-dire les manifestants. La police a tué 53 personnes, majoritairement des musulmans. Selon Amnesty International, la police de Delhi a commis des actes de torture et de graves violations des droits.

Un autre cas bien connu concerne l’Affaire dite Bhima-Koregaon. Un groupe d’avocats, d’universitaires, de poètes et de militants des droits de l’homme, ont été arrêtés sous des accusations fantaisistes pour un présumé complot visant à assassiner le Premier ministre Modi. Les membres de ce groupe sont incarcérés dans des prisons surpeuplées dans des conditions inhumaines. L’un d’eux, le poète Varavara Rao, âgé de 80 ans, a attrapé le coronavirus. Les juridictions leur ont refusé à plusieurs reprises une libération sous caution.

Ces actions arbitraires de la branche exécutive de l’État ne sont certes pas propres au seul régime actuel du BJP, au pouvoir depuis 2014. Malgré la constitution libérale-démocratique adoptée après son indépendance, le gouvernement indien a conservé une partie des les lois antidémocratiques héritées du régime colonial britannique, notamment la loi contre la sédition. Incidemment, la loi sur la sédition a été utilisée à plusieurs reprises en Inde ces derniers mois pour emprisonner des personnes, en particulier des musulmans appartenant à des minorités, qui critiquaient les actions ou les politiques du gouvernement. Entretemps, la Cour suprême est devenue un instrument du gouvernement.

Avec les organes législatifs en suspens depuis l’émergence de la pandémie de coronavirus et les tribunaux se prosternant simplement devant les souhaits du gouvernement, la descente de l’Inde dans un État policier semble irrésistible pour le moment. Mais dans un pays vaste et diversifié, les braises de la lutte contre un régime autoritaire continuent de brûler. Comme le dit le poète: « chale chalo ke voh manzil abhi nahi aayi » (continuez, nous ne sommes pas encore arrivés à destination).