Pour autant, des slogans le critiquant ont été entendus lors des manifestations, ce qui est sans précédent. « Même des figures comme Al-Sadr ou Al-Sistani, qui se dissocient du gouvernement, sont rejetées. Les manifestants ne les épargnent pas. Ils sont tenus eux aussi pour responsables : ils avaient promis le changement et des réformes qui ne sont jamais venus », commente Myriam Benraad.
Certes, le vieil ayatollah reste la grande figure de la communauté chiite, mais il commence à se dire en Irak qu’il fait partie du problème. C’est lui qui, après la chute de Saddam Hussein, en avril 2003, avec les Américains et les partis chiites, a mis sur pied l’actuel système politique, lequel a une large responsabilité dans le chaos actuel
Pour le premier ministre Adel Abdel-Mehdi, un ancien maoïste devenu un fondamentaliste chiite, dont la nomination, soutenue à la fois par Téhéran et Washington, résulte d’un compromis entre les différents partis, l’avenir s’annonce des plus incertains. Tout en prétendant que la classe politique irakienne est solidaire des manifestants – « nous ne vivons pas dans des tours d’ivoire, nous marchons parmi vous dans les rues de Bagdad », a-t-il déclaré –, c’est lui qui, dès le début des troubles, a ordonné l’usage de la force. Aujourd’hui, il pourrait servir de fusible, d’autant plus qu’il n’a pas de forces importantes derrière lui pour le soutenir.
« Il y a chez les protestataires une demande très forte de citoyenneté. C’est très important pour eux d’être des citoyens à part entière. Or, ils s’estiment trahis par toutes ces bonnes gens de la politique qui, depuis 2003, se sont succédé au pouvoir et qui n’ont rien fait. Actuellement, on est dans une semi-démocratie, certes avec des élections, mais sans que la population soit pour autant représentée. Et il faut se souvenir que c’est la répression sévère de 2008 [contre la population de certaines villes sunnites qui s’était révoltée – ndlr] qui avait amené les djihadistes. Là, pour la première fois, nous avons une jeunesse chiite qui se révolte contre un pouvoir chiite. Et on doit se demander : qu’est-ce que cela va provoquer ? », s’interroge la chercheuse.