Touché de plein fouet par les sanctions économiques imposés par les EUA, pris dans les tensions géopolitiques qui se sont aggravées depuis l’assassinat du général Soleimani et traversé par un mécontentement social grandissant, le régime iranien doit maintenant faire face à la crise du coronavirus. La mauvaise gestion et la crise sanitaire se font palpables, juste après des élections donnant une victoire à la Pyrrhus au parti lié à l’ayatollah Khamenei.
Pepe Balanyà, Révolution permanente, 4 mars 2020 0
Ce 21 février se tenaient les élections législatives en Iran. Les élections dans la République Islamique se tenaient dans un contexte d’usure profonde du régime et étaient envisagées par le pouvoir comme un moyen de prendre la température du pays et d’essayer de renforcer sa légitimité. La République faisait face aux sanctions économiques de l’impérialisme américain, après la sortie de Trump de l’accord nucléaire en 2018 ; aux tensions géopolitiques avec les États-Unis et leurs alliés dans le Golfe, qui se sont aggravées à partir de Qasim Soleimani ; et enfin aux milliers de jeunes et d’ouvriers qui sont descendus dans la rue contre l’augmentation du prix du carburant, le chômage et la crise provoquée par l’abattage de l’avion ukrainien. La répression lors des mobilisations de janvier a fait entre 350 et 1500 morts et 7000 emprisonnés.
Avec les élections, le régime cherchait donc à resserrer les rangs derrière le chef suprême Ali Khamenei, en approfondissant les politiques répressives pour faire face à des perspectives économiques instables, toujours menacées de nouvelles sanctions des EUA, et à la colère grandissant de la jeunesse et de la classe ouvrière.
L’ayatollah Khamenei exprimait cet enjeu en soulignant que « la participation aux élections est un sceau de soutien aux méthodes du régime et mènera donc à la sécurité de tous face à nos ennemis ».
Ignorer la crise sanitaire pour tenter de sauver le régime
Devant cet enjeu politique, nombre de voix accusent le régime d’avoir sous-estimé les risques du coronavirus afin de ne pas perturber la tenue des élections qui s’annonçaient déjà peu suivies à cause du fort mécontentement. En effet, même s’ils ont limité les dégâts en interdisant la participation de nombreux candidats réformistes, les conservateurs liés à Khamenei ont remporté une victoire à la Pyrrhus avec le plus faible taux de participation depuis 1979 : 42,5 % contre 62% en 2016.
Alors que les chiffres reflétaient sans ambiguïté la crise de confiance vis à vis du régime, le gouvernement a été forcé de changer le ton autour de l’émergence de la crise sanitaire depuis que 20 hauts fonctionnaires ont été touchés par le coronavirus. Ce lundi, un membre du conseil du chef suprême iranien est même décédé après avoir été contaminé par le coronavirus, comme l’a rapporté la radio d’Etat. Mohammed Mirmohammad est ainsi devenu le premier membre du gouvernement à succomber au virus.
De même ce lundi, le ministère de la santé annonçait que 66 personnes étaient mortes et que le nombre de personnes infectées avait atteint 1 501, soit une augmentation de 50 % en 24 heures. Ce mardi, 11 morts de plus et 835 nouveaux cas venaient s’ajouter à la liste. Avec ces chiffres, l’Iran devenait le pays subissant le plus grand nombre de décès en dehors de la Chine continentale, avec un taux de mortalité d’environ 5,5% (la moyenne se situe entre 1 et 2%).
Le tournant forcé qu’a dû prendre le gouvernent face à cette situation, une fois les élections passées et le gouvernement atteint par le virus, a mis en lumière, non seulement la responsabilité du pouvoir dans la propagation du virus, mais aussi les limites d’un régime incapable de faire face aux enjeux qui pose l’épidémie et auxquels il n’a su répondre que par des méthodes de plus en plus répressives.
Des mesures autoritaires face aux limites du régime et à la dégradation économique du pays
Après avoir nié la gravité de la situation, deux semaines après que l’épidémie ait été portée à la connaissance du public, les autorités ont intensifié leurs mesures. Les écoles ont été fermées, les rassemblements et les prières collectives annulées (pour la première fois depuis la révolution de 1979). Les horaires de travail des fonctionnaires ont également été restreints et de nombreuses entreprises privées ont choisi de réduire leurs heures d’ouverture ou de fonctionner par le télétravail. Même les « Gardiens de la Révolution islamique » sont descendus dans les rues en utilisant des canons à eau pour pulvériser du désinfectant sur le mobilier urbain.
Ces mesures n’ont cependant pas freiné l’épidémie qui se déroule dans un pays dont les infrastructures et l’ économie sont fortement dégradées. En effet, si le pays traversait déjà des difficultés avec des millions de jeunes subissant le chômage et la pénurie des biens basiques, il a été encore plus fortement frappé par les sanctions des États-Unis, qui ont gravement touché l’économie nationale, et le secteur de la santé en particulier.
Devant de ces limites relevant de l’incompétence du régime sur le plan démocratique et social, le gouvernement a répondu par l’intensification de méthodes autoritaires et répressives sur le peuple. Ce dimanche, le procureur général iranien Mohammad Jafar Montazeri annonçait la possibilité de condamner à mort ceux qui mettraient en difficultés les efforts sanitaires visant à contenir le coronavirus. Cette menace visait notamment les stockeurs de matériel médical qui sont à la base d’un marché noir répondant aux besoins que l’Etat est incapable d’assumer. Même le personnel de la santé, comme l’a soulevé le ministre de la santé Saeed Namaki, a dû, à cinq reprises, avoir recours au marché noir pour obtenir des masques. Dans cette même ligne autoritaire du procureur général, le clergé de la République Islamique a aussi menacé d’amende toute personne qui transmettrait la maladie.
Cette réaction du clergé est d’autant plus détestable que la responsabilité de ce secteur du régime dans la propagation du virus a été centrale. Comme le soulevait Le Monde : « Des médecins iraniens estiment également que la situation actuelle est le fruit du refus des autorités de mettre en quarantaine Qom, épicentre de l’épidémie dans le pays. C’est dans la ville sainte, qui abrite le sanctuaire chiite de Fatima Masoumeh, que sont apparus les premiers cas. Une telle mesure serait entrée en contradiction avec les intérêts du clergé dont certains représentants, parmi les plus fondamentalistes, rejettent toute mesure de restriction d’accès sur la base d’arguments religieux. Le mausolée de Fatima Masoumeh, à Qom, est un lieu de pèlerinage où de nombreux fidèles chiites iraniens et étrangers se pressent chaque jour, touchant ou embrassant les uns après les autres le moucharabieh qui enclot sa tombe. L’accès des fidèles a été encadré, mais il reste ouvert, et la mise en quarantaine de Qom reste exclue. »
Des voix se lèvent contre la gestion de la crise
Dans ce même article, un
étudiant en médecine avouait qu’alors même que les cas suspects se
multipliaient, le message des autorités était clair : « pas de coronavirus avant les élections ».
Il ajoutait : « En refusant de
reconnaître pendant plus de dix jours que c’était bien le Covid-19 qui
arrivait, les autorités ont fait des soignants des vecteurs de transmission,
estime l’interne de Téhéran. Nous étions exposés, puis nous retournions dans
nos familles, auprès de nos amis. Nous avons pu contaminer des dizaines de
personnes. »
Les chiffres officiels donnés par le gouvernement semblent aussi douteux. Comme
on pouvait le lire dans un
article de The Guardian. Le Dr Abdolreza Fazel, chef de
l’autorité sanitaire de la province du Golestan, a indiqué que 594 patients
avaient été diagnostiqués avec le virus et que la capitale provinciale était
débordée. Gholam Ali Jafarzadeh Emenabadi, membre du Parlement de Rasht, a
aussi averti que les hôpitaux étaient pleins de victimes du coronavirus et ne
pouvaient pas recevoir de nouveaux patients. A l’hôpital Shahid Beheshti de
Gashan, les médecins ont parlé d’une crise hors de contrôle.
Encore à Ispahan, le chirurgien général Behrouz Kalidari a averti que jusqu’à 12 000 personnes étaient probablement porteuses du virus et ne le savaient pas. Il a ajouté : « Malheureusement, un désastre absolu a eu lieu à Qom et le cas est hors de contrôle. Malheureusement, les fonctionnaires continuent de cacher le problème en raison des conséquences politiques et économiques. Nous pouvons gérer le problème à Hamedan, Zanjan, Arak, Qazvin, Mashhad et même ici à Ispahan si nous agissons rapidement ».
Dans cette situation de discrédit et de débordement, de crise économique et sociale, le régime se sait en difficulté et prépare son « aile dure » en conséquence pour faire face à un impérialisme américain des plus agressifs, mais aussi à la multiplication des grèves et des révoltes d’étudiants et d’ouvriers qui ont remis en cause la République islamique depuis janvier.