Par Amira Hass
En Israël, la coalition au pouvoir, pouvant être qualifiée d’extrême droite selon de nombreuses organisations et observateurs, accélère la colonisation et renforce les pouvoirs de l’appareil d’État afin de légitimer et justifier le vol de territoires aux Palestiniens à l’aide de la violence, tout en attaquant la démocratie du pays. Voici un texte originellement publié dans le quotidien Ha’Aretz et traduit par la rédaction de À l’encontre.
Bien que la Knesset ait adopté lundi soir, 20 mars 2023 [après une première lecture le 13 mars], un amendement à la Loi sur le Désengagement [opéré en 2005] autorisant les Israéliens 1 à retourner dans quatre colonies de Cisjordanie précédemment démantelées – Kadim, Ganim, Sa-Nur et Homesh –, ces dernières n’avaient jamais été retirées de la liste des colonies existantes sur le site en hébreu du Conseil des colonies [Yesha, selon l’acronyme en hébreu: il s’agit du Conseil des municipalités des colonies de la Cisjordanie et, antérieurement, de Gaza].
La liste du site de Yesha comprend également toutes les colonies de la bande de Gaza qui ont été démantelées lors du désengagement de 2005. Il est pour l’instant difficile (en insistant sur «pour l’instant») de voir les représentants de la Judée et de la Samarie à la Knesset – les députés hyperactifs du parti du Sionisme religieux et leurs émules du Likoud – forcer Israël et Tsahal de ramener les Juifs dans la bande de Gaza, qui manque d’eau et de terres.
Mais il est facile d’imaginer des organismes de colonisation quasi privés et semi-officiels comme Amana [mouvement pour la colonisation, fondé en 1976 par le Gush Emunim], Nachala [mouvement visant à établir des colonies formées de «jeunes couples» dans «l’Israël historique», «biblique»] et le Conseil régional de Shomron financer la résidence d’Israéliens dans les quatre sites du nord de la Cisjordanie. Une telle installation nécessite des mobil-homes et des tentes, de l’eau, des générateurs, des soldats comme vigiles qui n’hésiteront pas à tirer, blesser ou tuer des manifestants palestiniens, des juges militaires pour envoyer les manifestants palestiniens en prison, des entrepreneurs pour réparer les routes d’accès, des membres de la Knesset pour visiter ces colonies, y danser et mettre en place des bureaux fictifs de parlementaires.
Tout cela était à la disposition des colons avant même l’adoption de l’amendement; et tout cela le sera désormais dix fois plus.
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A première vue, le récent amendement montre la détermination exceptionnelle du mouvement des colons, qui a contourné toutes les lois et tous les accords diplomatiques pour occuper le cœur de la plupart des Israéliens. Un moment très festif – c’est ainsi que la ministre des Missions nationales, Orit Strock, qui détient également le portefeuille des colonies – a décrit l’amendement adopté par la Knesset lors de l’émission matinale de la radio Reshet Bet, alors que son interlocutrice peinait à réfréner son discours enthousiaste sur la Terre d’Israël et la justesse des propos du ministre des Finances Bezalel Smotrich (qui a déclaré «qu’il n’y a pas de peuple palestinien»).
Mais en fait, l’adoption de l’amendement reflète la montée du monstre contre son créateur. Israël n’est pas seulement un Etat qui construit des colonies, mais une entreprise de colonisation, un projet colonial doté d’une Knesset et d’un Etat.
Le coup d’Etat actuel contre le système de gouvernement israélien se déroule, sous nos yeux, à la vitesse de l’éclair, avec les mêmes méthodes qui ont permis le processus de colonisation: planification en secret, mensonge sans sourciller, tromperie financière, déformation des faits, altération des lois, violation du droit international, attitude tolérante à l’égard de la violence des colons par la police, par l’armée, les procureurs et des tribunaux, violation de la poignée d’arrêts de la Haute Cour de justice concernant une infime partie des terres palestiniennes qui ont été volées. Et en tête de liste? Un refus de prendre en compte les opinions et les besoins de la majorité en excluant les Palestiniens de toute considération. C’est le racisme pur auquel nous nous sommes habitués, sous le prétexte de calculs statistiques justes.
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Prenons l’exemple de Homesh parmi tant d’autres. En 1978, un arrêté militaire a permis la saisie des terres agricoles appartenant aux habitants des deux villages palestiniens de Burka et Silat al-Dhahr. Un avant-poste militaire y a été établi qui, plus tard, en avril 1980, s’est transformé en une collectivité civile: Homesh.
Le site web de Kerem Navot, un groupe à but non lucratif qui enquête et documente la politique israélienne de vol de terres, montre un document militaire interne datant de ce mois et concernant la nouvelle colonie. Le document explique: «L’objectif est de communautariser l’avant-poste [militaire], tout en évitant autant que possible d’en rendre compte, aussi bien aux habitants qu’aux médias».
L’ordre de confiscation n’a pas été annulé immédiatement après le désengagement, mais seulement après une bataille juridique menée par les propriétaires légitimes du terrain. Mais les colons, avec l’aide de l’Etat, de l’armée (IDF) et de la police, ont empêché les Palestiniens de retourner sur leurs terres en recourant à diverses méthodes violentes. Tout est là: un manque de reconnaissance des droits et des besoins des Palestiniens, le dénigrement du droit international, des stratagèmes pour se soustraire à la loi, un manque de respect pour la Haute Cour de Justice et une complaisance à l’égard de la violence juive.
Depuis plus de 50 ans, l’Etat d’Israël utilise les colonies pour empêcher la création d’un Etat palestinien dans la zone conquise en 1967. Il a brisé l’espace et créé des enclaves déconnectées de l’autonomie palestinienne affaiblie, avec un accès limité à la terre et à l’eau.
Il s’est toujours agi d’un véritable ballet: l’Etat légifère, planifie, vole les terres palestiniennes et s’installe. Les colons font quelques pas plus loin, outrepassant ostensiblement le plan officiel, et se plaignent de leurs difficultés. L’Etat pardonne, approuve rétroactivement, prends de nouvelles mesures tandis que les colons élaborent les leurs, volent davantage de terres palestiniennes et se plaignent de leurs propres manques. L’Etat a pitié d’eux, approuve et ainsi de suite.
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La ferveur religieuse et nationale n’explique pas à elle seule le phénomène. Le ballet/tango que le gouvernement et ses institutions dansent avec les colons a construit leur énorme pouvoir politique. Il a été renforcé par des subventions, des avantages et des promesses de progrès socio-économique aux colons «idéologiques» et «non idéologiques» – Haredim [ultra-orthodoxe], Haredim sionistes et colons non religieux.
En outre, l’indifférence générale des Israéliens à l’égard de ce qui se passe au-delà de la ligne verte, ainsi que le soutien des pays occidentaux à Israël, malgré leur opposition officielle aux colonies, ont joué un rôle crucial dans le renforcement de la mainmise des colons sur le pouvoir.
Le désengagement unilatéral organisé Ariel Sharon [Premier ministre de mars 2001 à janvier 2006] en 2005 était fondé sur une analyse coûts-avantages militaire et économique: trop de troupes étaient nécessaires pour protéger les colonies de la bande de Gaza et les colonies isolées du nord de la Cisjordanie. Le plan de désengagement était en fait conforme à l’agenda israélien, depuis 1991 (en violation des accords d’Oslo), qui consistait à séparer les Palestiniens les uns des autres depuis 1991 , en séparant effectivement la population de la bande de Gaza de celle de la Cisjordanie. Il s’agit là du principal moyen pour faire échouer la création d’un État palestinien.
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Certains ont cru naïvement que le désengagement était le précurseur d’autres retraits. Si tel avait été le cas, Israël aurait unilatéralement modifié la classification illogique et artificielle des sites de colonisation démantelés, les faisant passer de la zone C, sous contrôle sécuritaire et administratif israélien total, à la zone A ou B, sous autorité civile et administrative palestinienne.
En outre, Israël n’aurait pas empêché l’Autorité palestinienne (aussi docile et soumise que l’espéraient ses avocats israéliens) d’utiliser ces terres dans la région de Jénine (publiques ou privées, peu importe), pour établir des villages de villégiature, rénover la mosquée de Sa-Nur et protéger les agriculteurs.
Au moment où tous les gouvernements israéliens, depuis Ariel Sharon, ont agi de la sorte, ils ont indiqué aux colons qu’ils pouvaient continuer à utiliser leurs machinations bien pourvues pour exiger à nouveau la propriété de terres volées. Par conséquent, l’amendement à la loi sur le désengagement a été mis en œuvre, dans une large mesure, bien avant qu’il ne soit officiellement proposé.
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Vous recherchez l’Etat profond? On le rencontre bien vivant dans l’Organisation sioniste mondiale, le Fonds national juif, le Conseil de Judée et de Samarie, les conseils locaux des colonies et les institutions de droite financées par des millionnaires et des milliardaires juifs américains. Il est également présent au sein de l’Autorité foncière israélienne, ainsi que dans la Coordination des activités gouvernementales dans les territoires liée au ministère de la Défense et de l’Administration civile, et de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs comme du bureau du procureur de l’Etat qui a légalisé tous les vols.
Les factions les plus puissantes de l’Etat profond ont conçu les «réformes juridiques» du gouvernement [actuellement mises en œuvre par le nouveau gouvernement] pour perpétuer la domination des colons de droite, marginaliser et soumettre davantage les Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte, et imposer un plan qui épouvante de larges secteurs de la société juive israélienne.
Les méthodes qu’Israël et les colons ont employées avec succès contre les Palestiniens sont maintenant utilisées pour fragiliser une grande partie de la société juive israélienne.
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Ce qui fait problème, c’est que les [militaires] réservistes qui annoncent qu’ils refuseront de servir [sous ce nouveau gouvernement] – ainsi les salarié·e·s du secteur de la haute technologie qui protestent – soutiennent depuis des années la politique de vol des terres, fondée sur une distorsion du droit et de la justice. La grande majorité des universitaires, des juristes, des enseignant·e·s, des économistes et des journalistes ne se sont pas prononcés en grand nombre contre le régime dystopique qu’Israël a instauré au-delà de la ligne verte. Ils ne font pas le lien avec le coup d’Etat imminent contre lequel ils protestent aujourd’hui. En outre, les principaux dirigeants de l’opposition à la Knesset ont continué à soutenir les lois contre les Palestiniens, même s’ils s’opposent avec véhémence au gouvernement actuel.
L’esprit de l’amendement à la loi sur le Désengagement a précédé le blitz législatif [sur le statut de la Cour suprême et de son rôle de contrôle judiciaire ainsi que de sa capacité à se prononcer sur les lois approuvées par la Knesset]. Or, l’amendement est une partie inséparable de ce blitz. Car le coup d’Etat contre le système de gouvernement israélien est la récompense incongrue mais attendue que l’entreprise de colonisation – qui dispose d’une Knesset – accorde à l’Etat d’Israël et à sa société pour des années de «tango serré» joue contre joue.
(Article publié dans Haaretz en date du 22 mars 2023; traduction par la rédaction de A l’Encontre).
NOTES ET RÉFÉRENCES
- Selon The Times of Israël, en date du 14 mars 2023, l’introduction à l’amendement adopté souligne qu’«il n’y a plus aucune justification au fait d’empêcher les Israéliens d’entrer et de rester dans les territoires évacués du nord de la Samarie et il est proposé, en conséquence, d’établir clairement que ces sections [de la loi sur le Désengagement] ne s’appliqueront plus aux territoires évacués». Le texte «utilise le nom biblique pour désigner le nord de la Cisjordanie». (Réd. A l’Encontre[↩]