Face aux changements climatiques et à l’augmentation des prix, la souveraineté alimentaire est un enjeu pour une transition vers un monde plus juste et respectueux de la planète. Pour Outcha Akoua Enyoam de l’équipe togolaise de l’Institut africain pour le développement économique et social, le droit des peuples à définir un système d’alimentation sain et durable exige de prioriser la santé, l’équité et la justice sociale, mais également les savoirs traditionnels, plutôt que le profit. Ainsi, il s’agit aussi d’un enjeu culturel.
Madame Enyonam était l’invitée principale de la grande conférence « Cultivons nos droits à la souveraineté alimentaire », organisée par l’AQOCI 1 dans le cadre des Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI), le 8 novembre à Québec. Elle a fait son intervention par vidéo, faute de réponse à sa demande de visa ! Elle était toutefois représentée par Fernande Abarouna. Parmi les autres panélistes, on retrouvait André D. Beaudoin, conseiller stratégique à l’Union des producteurs agricoles – Développement international (UPA DI) et président du Fonds d’investissement solidaire du Québec, ainsi que Pulchérie Nomo Zibi, conseillère en égalité des genres à la Société de coopération pour le développement international (SOCODEVI).
Absence de valorisation des produits et savoirs locaux
Madame Enyonam est confrontée à une faible valorisation des produits et des savoirs locaux dans la majorité des pays où elle intervient. Une forte importation de denrées alimentaires réduit l’accès des producteur·rice·s aux marchés et accentue les inégalités femme-homme. Au Togo, les populations consomment surtout des produits qui viennent de l’extérieur, ce qui sape l’agriculture locale.
Madame Nomo Zibi ajoute que la souveraineté alimentaire concerne aussi nos modes de production et les échanges internationaux d’aujourd’hui. Plusieurs États ont des systèmes alimentaires fragiles que divers chocs économiques (guerres, catastrophes naturelles, déplacement de population, etc.) contribuent à déstabiliser. La souveraineté alimentaire est donc un objectif lointain pour de nombreux pays qui font face à diverses pressions socio-économiques, dont les femmes sont souvent les premières victimes.
Selon André Beaudoin, cette inégalité entre le Sud Global et le Nord est due à la volonté capitaliste de créer un système de surconsommation. Pour qu’un tel système soit possible, il faut que les produits de première nécessité soit le moins cher possibles. Aujourd’hui, les consommateurs n’achètent plus un aliment, mais un prix, ce qui contribuent à creuser les inégalités entre les pays.
Le rôle crucial des femmes
Les quatre panélistes ont largement insisté sur le rôle essentiel que jouent les femmes dans la mise en place de systèmes alimentaires. Néanmoins, leur travail est encore trop souvent négligé. Mme Enyonam rappelle qu’au Togo, les femmes représentent 54 % des actifs agricoles, mais détiennent seulement 40 % des droits de propriété. C’est pourquoi il faut favoriser des projets qui incluent les femmes à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, de la production à la commercialisation.
Dans beaucoup de communautés, ce sont les femmes qui détiennent les savoirs locaux. Mme Abarouna donne l’exemple de groupes de femmes au Sénégal et au Togo qui réussissent à cultiver des terres arides et à produire de quoi se nourrir. Il existe des connaissances locales qui soignent la terre. Face aux changements climatiques, nous avons tout intérêt à réinvestir dans ces savoirs, plutôt que dans des systèmes alimentaires oppressifs qui reposent encore trop souvent sur des pesticides chimiques et sur la dépendance à des produits qui viennent de l’extérieur.
« Vivres de souveraineté », économie circulaire et partenariat
Il faut mettre l’accent sur la promotion des « vivres de souveraineté » affirme Mme Enyonam. Ce sont des aliments à fortes valeurs nutritives, thérapeutiques, et culturelles, là où ils sont produits, tels que le mil, le fonio et le haricot en Afrique de l’Ouest. Elle propose aussi de renforcer le financement de projets qui intègrent l’agroécologie et qui respectent les écosystèmes naturels. Elle rappelle que l’alimentation est un droit et que la transition vers une souveraineté alimentaire pour toutes et tous repose sur nos choix au quotidien. Voter pour une alimentation saine, c’est aussi voter pour les conditions de sa culture.
M. Beaudoin quant à lui pense que la véritable souveraineté alimentaire passe par la création de dynamique d’économie circulaire. Il donne l’exemple du président brésilien Lula qui a sorti 20 millions de petit·e·s producteur·ice·s de la pauvreté lors de son premier mandat. Il a exigé que les repas institutionnels dans les écoles, les hôpitaux, les centres d’aides aux personnes âgées, etc. soient composés de produits locaux fournis par des petites fermes familiales. Ainsi, M. Beaudoin est convaincu que l’on peut répéter ce modèle avec la collaboration de toutes et tous.
Enfin, Mme Nomo Zibi conclut la conférence en énumérant quelques bonnes pratiques qui contribuent à une transition vers la souveraineté alimentaire. Pour elle, il faut travailler au niveau familial et communautaire, mais également au niveau étatique et privé. Les pouvoirs publics et les entreprises privés jouent un rôle essentiel dans la durabilité des systèmes alimentaires équitables et la protection de ce qui produisent.
- Association québécoise des organisme de coopération[↩]