Lou-Eve Popper et Pierre Larrieu (Reporterre)
À Glasgow, des entreprises profitent de l’évènement mondial qu’est la COP26 pour couvrir de vert leurs activités nuisibles aux écosystèmes et au climat. Un écoblanchiment (greenwashing) sans vergogne qui ne fait pas illusion.
« La COP26 est la plus excluante des COP jamais conçues. Ce n’est plus une conférence sur le climat, c’est le festival du greenwashing des pays du Nord. Deux semaines de business as usual et de bla bla bla », a twitté jeudi 4 novembre la militante environnementale Greta Thunberg.
Difficile de la contredire. À leur arrivée dans la « zone bleue », le cœur de la COP26, là où se déroulent les négociations, tous les participants munis d’un badge ont reçu une ribambelle de produits dérivés à l’utilité discutable : du masque en tissu à la gourde estampillée COP26 en passant par l’énième petite bouteille de désinfectant pour les mains. Covid oblige, dans certaines toilettes du Scottish Event Campus, des employés nettoient après chaque passage, remplissant ainsi d’énormes sacs de lingettes à usage unique.
Du côté de la « zone verte » qui accueille le grand public dans le Glasgow Science Centre, c’est pire. On y découvre que la COP26 a pour partenaires, entre autres, la multinationale agroalimentaire Unilever (les marques Amora, Lipton, Knorr) ainsi que l’une des plus grandes chaînes de supermarchés britanniques, Sainsbury’s. La première a été classée en 2021 par l’ONG Break Free From Plastic comme le troisième plus grand pollueur de plastique au monde, derrière Coca-Cola et Pepsico. Quant à Sainsbury’s, il suffit de se rendre dans n’importe lequel de ses supermarchés au Royaume-Uni pour réaliser que chaque denrée alimentaire a droit à son emballage plastique, des bananes du Panama en passant par les mangues d’Israël prédécoupées en morceaux. Ses rayons regorgent davantage de plats préparés et autres chips au vinaigre que de légumes locaux. Pour autant, le stand de la chaîne, au beau milieu de la zone verte, n’hésite pas à affirmer que « manger une nourriture équilibrée peut avoir un effet positif sur notre santé et la planète ».
« Les gens veulent avoir un effet positif sur la planète, ils ne savent juste pas comment faire »
Son voisin direct, le stand de la multinationale Reckitt, fabricant de produits d’entretien et pharmaceutiques, insiste sur les bénéfices des petits gestes individuels pour sauver la planète. Ainsi, le jeune homme présent sur les lieux nous propose un petit jeu. Sur deux écrans géants apparaissent des robinets, l’un symbolisant l’eau chaude, l’autre l’eau froide. « Avec lequel d’entre eux faut-il se laver les mains pour être le plus hygiénique possible », demande-t-il, visiblement très fier de lui. Évidemment, la réponse est la suivante : cela n’a pas d’importance, seul le savon fait la différence. « Les gens veulent avoir un effet positif sur la planète, ils ne savent juste pas comment faire », commente l’employé de la marque. En 2016, l’entreprise a reconnu avoir vendu un désinfectant toxique ayant provoqué la mort de 100 personnes en Corée du Sud. Trois ans plus tard, en 2019, le propriétaire de Durex et d’AirWick était allé chercher son nouveau directeur commercial chez… Pepsi.
- Côté alimentation, le bilan n’est pas beaucoup plus glorieux. Au café de la zone verte (comme dans presque tous les restaurants de la zone bleue), on propose, certes, des paninis avec du fromage végane et même du haggis végétarien. Problème, le reste des plats sont emballés dans du plastique à usage unique, y compris les boissons sucrées. Alors que l’on s’apprête à les photographier, le serveur nous précise tout de suite : « Ils sont compostables. » Problème, ce plastique ne peut se décomposer que dans des centres industriels spécialisés, encore très peu nombreux au Royaume-Uni. En Écosse, la plupart finissent donc à la décharge ou servent comme énergie à l’incinération d’autres déchets.
« Les machines conduisent mieux que les humains, elles prennent des routes plus courtes »
À l’extérieur du Glasgow Science Center, le festival d’écoblanchiment continue. Une hôtesse nous présente la dernière voiture électrique de Mustang, un énorme véhicule propulsé par une batterie de 600 kg en lithium, un matériau qui provoque une désastreuse pollution minière. Quant à l’origine de la production d’électricité, la jeune femme ne sait pas nous répondre : « Impossible de savoir lorsque vous rechargez sur une borne d’autoroute », se justifie-t-elle. Le discours n’est pas plus franc du côté de Rolls-Royce, qui profite de la COP26 pour présenter « l’avion électrique le plus rapide du monde ». Le but du constructeur automobile est de permettre d’électrifier des hélicoptères d’ici 2025 et même des petits avions allant jusqu’à 19 sièges d’ici 2040. Et la pollution due à la production de batteries ? « Nous sommes très attentifs à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement », élude la présentatrice. Seul l’hôte qui nous accueille dans le bus électrique à double étage de la société Swift est un peu plus transparent et reconnait que l’électricité du véhicule provient à seulement 35 % d’énergies renouvelables.
- L’Oscar de l’écoblanchiment revient cependant à la voiture électrique autonome conçue par Renault et la société de téléphonie mobile 02. Le véhicule se conduit tout seul grâce à la 5G et d’après l’hôtesse, est moins énergivore « car les machines conduisent mieux que les humains, elles prennent des routes plus courtes ». En décembre 2020, un rapport du Haut Conseil pour le climat avait pourtant rappelé que l’empreinte carbone de la 5G n’était pas neutre. Son déploiement, alertait l’autorité indépendante, risque en effet d’augmenter « significativement » les gaz à effet de serre du numérique et la consommation d’électricité en France.
Vendredi 5 novembre, des milliers de jeunes ont manifesté dans les rues de Glasgow pour pousser les gouvernements à agir alors que la première semaine de la COP26 touchait à sa fin. Greta Thunberg, l’égérie de ces marches hebdomadaires de la jeunesse, était présente et a prévenu que l’histoire jugerait sévèrement les dirigeants coupables d’inaction.