Entrevue de Gregorio Mirabal par Santiago Piedra Silvia / AFP / TV5 Monde
Des millions d’autochtones du bassin amazonien mènent une bataille contre le temps pour sauver l’immense forêt tropicale et empêcher une “apocalypse” mondiale. “Trop, c’est trop !” lance leur leader, le Vénézuélien Gregorio Mirabal.
Dans un entretien exclusif à l’AFP, dans le village de la jungle équatorienne d’Union Base (centre), à cinq heures de route de Quito, le chef de l’Organe de coordination des organisations autochtones du bassin de l’Amazone (Coica) appelle les pays développés présents à la COP26, la prochaine conférence sur le climat à Glasgow (Écosse), à collaborer avec les peuples autochtones pour sauvegarder les 8,4 millions de km2 de l’Amazonie.
Près d’une rivière, au milieu du gazouillis des oiseaux, Gregorio Mirabal, 54 ans, le représentant des 3,5 millions d’indigènes d’Amazonie vivant dans neuf pays ou territoires (Brésil, Bolivie, Pérou, Équateur, Colombie, Venezuela, Guyana, Surinam et Guyane française), s’alarme des menaces qui pèsent sur les populations de quelque cinq cents grandes tribus, gardiennes de la forêt qui, de ce fait, sont attaquées et tuées. Ce membre du peuple Wakuenai Kurripaco rappelle que 17% de la forêt a déjà été anéantie par l’exploitation du pétrole et des minerais, la pollution et la déforestation pour l’agriculture et l’élevage.
Comment voyez-vous l’avenir de l’Amazonie ?
Il y a deux scénarios. (L’un est l’) apocalypse, sans retour. Les gens vont manquer d’oxygène, la planète va se réchauffer dans cinquante ans, de deux ou même trois degrés. La vie sur cette planète ne sera pas possible si l’Amazonie disparaît. L’autre scénario (est) que nos enfants puissent se baigner dans cette rivière, apprendre à connaître ce qui existe ici, voir les arbres, la biodiversité, voir cet ara voler. C’est le scénario que nous proposons au monde s’il nous aide à protéger 80% de l’Amazonie.
Les dommages sont-ils réversibles ?
La déforestation de l’Amazonie a atteint 17% (de sa surface totale). Si cela atteint 20%, il sera très difficile de revenir en arrière. La même désertification, le même manque d’eau, les mêmes incendies vont dévaster l’Amazonie. Nous sommes à un tournant. L’Amazonie est assassinée, on s’empare de son pétrole, de ses ressources naturelles, et on ne veut pas laisser la forêt en vie, on veut la raser. C’est un cri de la forêt, nous disons que ça suffit !
Pourquoi est-il important de la protéger ?
C’est l’une des plus grandes réserves d’eau douce de la planète. Elle possède la plus grande biodiversité du monde, ce qui garantit l’équilibre du climat. Chaque arbre génère de l’air pur et ramasse les déchets qui proviennent d’autres pays, de la pollution, mais pour cela nous ne recevons rien. Qu’ils (les dirigeants mondiaux) ne dépensent pas pour un missile mais en Amazonie, cela nous va. Mais ce financement doit être global, réparti équitablement entre les neuf pays. Or il n’y a pas de financement clair aujourd’hui dans ce sens. On ne sait pas combien d’argent a été investi en Amazonie, s’il arrive jusqu’ici et où. Le vaccin contre le Covid-19 n’est toujours pas arrivé dans les communautés et cela fait déjà deux ans que la pandémie a éclaté. Si nous dépendions des gouvernements, nous serions déjà morts. (…)