Avec Frei Betto (traduction par Yves Laneuville)
« L’idéologie de la consommation est propre au capitalisme, elle est égocentrique, l’individu ne pense pas aux autres. De fait, plusieurs militants de nos organisations, à mesure qu’ils entrent dans le gouvernement ils ne sont plus les mêmes. Ils s’éloignent de la base ». Voilà la réflexion du théologien brésilien Frei Betto lors d’une des conférences les plus concourues de la deuxième journée de la IV Conférence internationale pour l’Équilibre du monde, de La Havane.
Il a signalé cette attitude en se rappelant « des camarades au Brésil, originaires des favelas, qui, devenus fonctionnaires fédéraux, aimaient se faire appeler excellence, docteur, même s’ils n’avaient aucun titre universitaire. Cette perte de contact avec la base », a dit l’écrivain brésilien, « a créé un vide, un espace que les forces de la droite se sont empressées d’occuper. »
Un facteur que la gauche n’a pas su travailler correctement en Amérique latine c’est la religion, cet espace a été occupé par les églises évangéliques conservatrices (non progressistes), ce qui a mené à l’offensive contre la théologie de la libération. Ce sont ces forces de droite qui ont appuyé Bolsonaro au Brésil.
« La politique -a-t-il reconnu- exige des alliances et souvent nous ne savons pas choisir nos alliés. Nous ne pouvons pas le faire contre les mouvements syndicaux, sociaux, environnementaux ».
Cette crise « n’exclut aucun pays progressiste. Pourquoi n’avons-nous pas pu éviter les erreurs qui nous ont fait passer d’un extrême à l’autre? Un parti d’extrême droite a gagné les élections au Brésil avec 57 millions de votes. Il a réussi à créer une culture anti Parti des travailleurs (PET) avec une morale conservatrice. Ils ont su profiter de la corruption dans la gauche ».
C’est ainsi a-t-il affirmé que nous n’avons pas fait un travail de formation politique à la base. Pourquoi tant de monde va à ces églises évangéliques conservatrices? Nous ne pouvons pas avancer dans le processus si nous n’avons pas des liens bien étroits, affectifs avec les pauvres, les marginalisés. Il nous faut récupérer le sens de l’histoire ».
« Si aujourd’hui nous parlons de Marti, ce n’est pas par nostalgie, mais c’est que nous devons regarder le futur avec les lunettes de Marti, de Fidel, du Che, de Raoul…Ce qui est peut-être l’un des plus graves problèmes d’aujourd’hui c’est la « déhistorisation »: faire croire aux gens que rien ne peut changer, qu’on ne peut pas faire de projet, de chercher un sens ».
Quand on dit que « c’est la fin de l’histoire », c’est dangereux. C’est comme s’il n’y avait rien à faire : le capitalisme est éternel. Dans le capitalisme, la gauche doit établir des stratégies à long terme et des microstructures socialistes dans cette structure capitaliste, comme l’économie solidaire, le coopérativisme, les mouvements sociaux et des minorités; souvent, ils ne sont pas assez valorisés comme mouvement de base pour créer des projets politiques à long terme ».