La mondialisation au temps du Covid-19

 

Par le biais du Covid-19 se donne à voir l’état du monde et des inégalités. L’un des défis que pose le confinement actuel est de ne pas céder au repli, et d’être à la hauteur d’une réelle solidarité internationale.

Au 23 mars, il y avait près de 340 000 cas confirmés de personnes atteintes du Covid-19 de par le monde. Après la Chine, l’Europe et l’Iran sont les plus touchés. Ces derniers jours, Haïti et Gaza ont enregistré leurs premiers cas. Encore s’agit-il là d’un panorama largement sous-estimé, puisque peu ou pas de tests n’ont été faits. À ce jour, 186 pays et territoires sont affectés. Et le virus continue à s’étendre.

La pandémie du coronavirus donne à voir le pire et le meilleur de la mondialisation : depuis les explosions de racisme envers le virus « étranger », jusqu’au « cadeau » de millions de masques d’Alibaba, en passant par la tentative de Donald Trump d’acheter l’exclusivité d’un futur vaccin à un laboratoire allemand, et l’aide des médecins cubains à l’Italie. Elle offre surtout un état des lieux des politiques étatiques et des inégalités mondiales au prisme de l’accès à la santé.

Un révélateur

La solennité des discours, la rhétorique guerrière d’un Emmanuel Macron, le volontarisme partout affiché ne peuvent occulter le fait que le Covid-19 est d’abord le résultat d’une faillite collective, et le révélateur de choix dont nous payons aujourd’hui le prix. L’absence de conditions sanitaires dans un marché local en Chine, combinée à une accélération des échanges, éclatés sur des chaînes de production mondialisées, dans un contexte de non-prise en compte des aspects socio-environnementaux, constitua le terreau favorable.

Dans un premier temps, le Covid-19 a été « confiné » à un problème local de pays lointain, insuffisamment civilisé, dans les esprits occidentaux rassasiés d’un complexe de supériorité. Ensuite, sa nécessaire prise en charge a été subordonnée à des enjeux économiques et politiques, voire électoralistes. Enfin, au moment de répondre à la pandémie, les gouvernements « découvrent » le délabrement d’un secteur public de la santé, bousillé par plusieurs décennies de mesures néolibérales.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au moins la moitié de la population n’a pas accès aux services de santé essentiels. Si, comme elle l’affirme, les dépenses publiques sont au cœur de la couverture de santé universelle, celles-ci n’ont eu de cesse de buter contre les règles d’austérité, la privatisation et l’esprit managérial qui justifient et exacerbent les inégalités. Il y a, en France ou en Belgique, trois fois plus de lits d’hôpital (pour 10 000 habitants), qu’au Chili, neuf fois plus qu’en Haïti ou en Angola, vingt-et-une fois plus qu’au Népal… Mais, entre 2002 et 2013/14, le nombre de lits a diminué en France de près d’un quart, passant de 85 à 65, et de 17% en Belgique, passant de 76 à 63.

Près d’un milliard de personnes étaient confinées ce dimanche. Cela n’en reste pas moins un luxe, tant, au niveau mondial, la majorité de la population n’a pas les moyens du confinement. Ainsi, 60% des travailleurs dans le monde (85% en Afrique) sont actifs dans le secteur informel, n’ayant d’autres ressources que de continuer à travailler. Une personne sur quatre vit dans des bidonvilles et des quartiers informels, et 40% ne disposent pas d’équipements de base pour se laver les mains à la maison. Sans compter plus de 25 millions de réfugiés et tous les prisonniers. Sans compter non plus la charge inégale du confinement entre hommes et femmes.

Des leçons tirées ?

À l’heure de l’état d’urgence, où les droits sont mis en suspens, plutôt que de se reposer sur une prétendue gouvernance technique fondée sur l’expertise scientifique, il nous faut demeurer vigilants. Demain – aussi éloigné que soit ce demain –, nous aurons canalisé les risques du Covid-19. Mais au prix peut-être d’un plus grand contrôle sur nos vies et d’un accroissement du pouvoir d’un système qui a démontré son irresponsabilité. Comme l’affirmait une pancarte de la dernière manifestation du Hirak à Alger : « Avec le corona, on a 97% de chances de s’en sortir. Avec vous, on n’en a aucune ».

Espérer que les leçons de cette expérience seront tirées est pour le moins naïf. D’abord, parce que ces leçons, loin d’être consensuelles, correspondront à des positionnements distincts, des analyses divergentes, et, en fin de compte, à des choix de société antagonistes. Ensuite, parce que l’événement tend à se dissoudre dans le flux des échanges marchands. Enfin, parce que, comme l’écrivait Walter Benjamin, « le cours de l’expérience a chuté ». Mieux vaut dès lors prendre exemple sur l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), qui, en annonçant la fermeture de son territoire, en appelait « à ne pas abandonner la lutte » et « à ne pas perdre le contact humain, mais à changer temporairement nos façons de faire pour nous reconnaître ».

J’écris ces lignes depuis chez moi. Je n’habite pas Kinshasa, Idlib, Port-au-Prince ou les bidonvilles de Dhaka. Je vis dans un pays riche où le secteur de la santé n’a pas (encore) été (entièrement) démantelé par les mesures néolibérales. Mon contrat et mes conditions de travail me permettent (pour l’instant) de faire front. Je ne suis pas une marchande informelle de Dessalines, un travailleur de township, une ouvrière de la sous-traitance textile de la banlieue de Phnom Penh, une femme seule de n’importe quelle mégalopole du monde. Mais j’écris ces lignes en pensant à vous. Et, à 20h, tous les soirs, à ma fenêtre, pour remercier et encourager le personnel de santé de mon pays, c’est aussi vous que j’applaudis.