La Suisse condamnée pour inaction climatique: une éclaircie dans l’orage

Grindelwald Mannlichen en Suisse @ allPhoto Bangkok de Pixabay

Alexis Legault

Alors que Simon Stiell, le responsable Climat de l’ONU sonne l’alarme le 10 avril dernier sur la crise climatique dans une déclaration à l’adresse du G20, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné pour la première fois un état, la Suisse, pour inaction climatique. Si les inquiétudes restent entières sur l’avenir de la planète et de l’économie mondiale, le mois d,avril passera aussi à l’histoire par ce coup de théâtre des plus réjouissants.

Deux ans pour les pays du G20

Le Secrétaire exécutif de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Simon Stiell, a fait une déclaration fracassante en affirmant que la crise climatique va « décimer les économies du G20 », si ceux-ci persistent à « reléguer le climat au second plan ». Il ne s’agit plus de préoccupations, déjà alarmantes et insoutenables, quant aux conditions de vie des populations habitant le Sud global. Il est maintenant question des pays les plus industrialisés, les plus scolarisés, les plus riches et les plus à même (théoriquement) de s’adapter aux impacts de la crise climatique et écologique en cours. Les pays du G20 portent la responsabilité historique de ces bouleversements écosociaux, et disposent de tous les leviers nécessaires pour prévenir leur accroissement.

« Protège ma planète sinon oublie ta retraite » : allusion aux pensions reçues par les politiciens qui quittent une fonction d’un exécutif en Suisse. Manifestation pour le climat à Lausanne le 9 août 2019. @ MHM55 CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

Ce nouvel appel a été lancé de pair avec un plaidoyer pour un accord financier qui permette aux États des pays « en développement » de s’engager dans un véritable virage énergétique .

Il s’agit cependant d’une énième tentative d’électrochoc pour l’ensemble de la population mondiale. Ces mots ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les nombreux avertissements lancés par le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, en 2018. Celui-ci déclarait alors, devant l’immobilisme des élites économiques mondiales et des gouvernements occidentaux, qu’il nous restait seulement deux ans pour agir afin de ne pas s’exposer à des « conséquences désastreuses ». Il a depuis ajouté que « [n]ous avançons comme des somnambules vers la catastrophe climatique » en 2022, et que « [n]ous nous précipitons vers la catastrophe, les yeux grands ouverts » en 2023.

Si les sources d’influences négationnistes et les forces d’inertie sociale et politique sont nombreuses, nous ne pourrons toutefois pas nous cacher derrière l’absence de sonnettes d’alarme, car elles résonnent à nous assourdir.

Gain historique en Suisse

À travers ce sombre portrait écosocial mondial, surgit au même moment une lueur du haut des montagnes helvètes. Un groupe initialement constitué de quelques femmes retraitées, devenu maintenant un véritable mouvement citoyen rassemblant 2500 Suissesses ayant en moyenne 73 ans, est parvenu « contre toute attente » à créer une brèche dans le barrage qui déchargeait jusqu’à présent les États du monde entier de l’obligation d’agir contre les dérèglements climatiques.

Le 9 avril dernier, la CEDH a condamné pour la première fois un état pour inaction climatique. La Suisse se voit maintenant contrainte par l’arrêt de la Cour à « veiller à ce que les actes de sa politique climatique correspondent aux objectifs fixés » . Le verdict, qui met en lumière la passivité du gouvernement, embarrasse nécessairement Viola Amherd, présidente de la Confédération en Suisse. De son côté, Lisa Mazonn, présidente des Verts suisses, se réjouit, allant jusqu’à parler d’« une victoire aussi importante que l’accord de Paris sur le climat ».

En ce qui concerne l’application du jugement, Alain Chablais, l’avocat de Berne, a indiqué qu’« [i]l faudra un certain temps pour déterminer quelles mesures seront prises » du côté du gouvernement suisse.

Nous assistons cependant à un moment incontestablement historique, car il s’agit du premier jugement juridiquement contraignant à inculper un État pour inaction climatique. Décrit plutôt par certains comme « théoriquement contraignant » en raison de l’absence de sanctions explicitement prévues, la magnitude de ce séisme ne pourra être pleinement mesurée que lorsque les verdicts tomberont sur d’autres États membres du Conseil de l’Europe. Toutefois, de l’aveu même de l’avocat de Berne, tout indique que « cet arrêt va faire jurisprudence ».