Saïd Bouamama, L’Affaire Georges Ibrahim Abdallah, Paris, Éditions Premiers matins de novembre, 2021, 210 pages (préface de Pierre Stambul et postface de Jann-Marc Rouillan).
L’acharnement continue
Votre droit n’est que la volonté de votre classe érigée en loi, une volonté dont le contenu est donné dans les conditions matérielles d’existence de votre classe (Marx et Engels, Manifeste du Parti Communiste, 1848).
Depuis la loi Bérenger du 14 août 1885 la législation française prévoit la possibilité d’un aménagement de la sentence sous la forme d’une « libération conditionnelle » à l’issue de la peine de sûreté et/ou après 15 ans d’incarcération dans le cas d’une condamnation à perpétuité. Incarcéré en 1984 sans qu’aucune peine de sûreté ne soit prononcée contre lui, Georges Ibrahim Abdallah est donc libérable sous conditions depuis 1999. Depuis cette date neuf demandes de libération conditionnelle ont été rejetée révélant ce qui ne peut s’appeler qu’un acharnement judiciaire signifiant lui-même un acharnement politique. En novembre 2003 la juridiction régionale de libération conditionnelle de la Cour de Pau accorde à Georges Ibrahim Abdallah la libération conditionnelle. Le parquet c’est-à-dire le gouvernement fait appel et obtient l’infirmation de cette décision. Pour éviter la reproduction de cette situation, le gouvernement n’hésite pas à modifier la législation. La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme décide « une compétence exclusive du juge de l’application des peines de Paris, du tribunal de l’application des peines de Paris et de la chambre de l’application des peines de Paris »[1] :
« C’est justement, explique Georges Ibrahim Abdallah, pour éviter qu’un magistrat de province se prenant au sérieux, ne vienne traiter ces dossiers sans tenir compte des enjeux politiques et autres considérations gouvernementales, qu’ils ont légiféré de sorte qu’aujourd’hui tous ces dossiers soient traités à Paris et gérés par un seul magistrat. Ce dernier fait office de juge de l’application des peines et de président du tribunal de l’application de peines. Tout naturellement il suit scrupuleusement les mesures décidées en haut lieu. D’ailleurs, c’est pourquoi on a centralisé tous ces dossiers à Paris sous la responsabilité de ce magistrat nommé à cet effet »[2].
La mobilisation internationale en faveur de la libération Georges Ibrahim Abdallah se développant, en particulier au Liban, contraint le gouvernement français à envisager une modification de sa position. Les manifestations et mobilisations se multiplient à Beyrouth et conduisent le gouvernement libanais à s’emparer de la question. Le 9 février 2012 le premier ministre libanais Najib Mikati exige la libération de Georges Ibrahim Abdallah qu’il qualifie de « prisonnier politique » lors de sa visite officielle à Paris.
La huitième demande de libération conditionnelle reçoit le 21 novembre 2012 une réponse favorable du tribunal d’application des peines de Paris, confirmée quelques semaines plus tard par la cour d’appel. La décision est cependant assortie de la condition de délivrance d’un arrêté d’expulsion par le ministère de l’intérieur. La libération de Georges Ibrahim Abdallah est en conséquence ajournée jusqu’à la délivrance de cet arrêté qui ne viendra jamais.
Entretemps en effet le gouvernement états-unien, le département d’État et de nombreux élus du congrès multiplient les déclarations publiques pour s’opposer à la libération de Georges Ibrahim Abdallah. Les pressions et ingérences du gouvernement états-unien porteront leurs fruits. Cédant aux pressions états-uniennes le gouvernement français se pourvoit en cassation. Le 4 avril 2013 la cour de cassation « déclare irrecevable la demande de libération conditionnelle ». Entre la justice et son alliance atlantiste, le gouvernement français a choisi l’allégeance à l’oncle Sam.
Sans surprise une neuvième demande de libération est de nouveau rejetée par le tribunal d’application des peines de Paris en avril 2014. Toutes ces péripéties juridiques soulignent le caractère politique de la détention de Georges Ibrahim Abdallah. L’indépendance de la justice française et la souveraineté nationale de l’État français sont foulées aux pieds sur la base d’une logique de vengeance d’États. On ne pardonne pas à Georges Ibrahim Abdallah d’être devenu le symbole de la résistance à l’impérialisme et au sionisme. On ne lui pardonne pas son refus de la repentance et ses prises de position publiques. On ne lui pardonne pas de rester un combattant révolutionnaire. Au-delà de Georges Ibrahim Abdallah c’est son combat politique qui est visé par cet acharnement judiciaire révélant un acharnement politique.
Faux prétextes
Les neuf passages devant les juridictions d’application des peines ont été l’objet de la répétition permanente des mêmes argumentaires pour exiger le maintien en détention de Georges Ibrahim Abdallah. Les différents procureurs comme les représentants de la partie civile états-unienne n’ont fait que ressasser les mêmes faux prétextes laissant cependant dans leurs argumentations entrevoir les véritables raisons de l’acharnement contre Georges Ibrahim Abdallah.
« Vous vous rendez compte, un communiste »
L’arrêt de la cour de Pau du 19 novembre 2003 accordant la libération conditionnelle à Georges Ibrahim Abdallah, mérite d’être connue. Il passe en effet en revue tous les arguments qui ont été utilisés jusque-là et qui seront utilisés ensuite pour maintenir Georges Ibrahim Abdallah en prison : dangerosité et risque de récidive, équilibre mental, indemnisation des victimes, effort et projet de réinsertion, comportement en prison :
- Attendu que Mr Georges, Ibrahim ABDALLAH a toujours montré durant son incarcération un excellent comportement notamment avec le personnel pénitentiaire, intervenant même, à une occasion pour protéger l’intégrité physique d’un surveillant menacé;
- attendu qu’aux termes de l’expertise psychiatrique, acceptée par le condamné qui dans un premier temps s’y était refusé par principe, il apparaît que Mr Georges, Ibrahim ABDALLAH ne présente aucune pathologie mentale ni d’organisation perverse de sa personnalité ;
- attendu que cette expertise a mis en exergue une évolution des convictions de Mr Georges, Ibrahim ABDALLAH liée à sa maturation et à son analyse actuelle de la situation de son pays qui exclut « en tant qu’adulte tout comportement armé » ;
- attendu, en outre que Mr Georges, Ibrahim ABDALLAH qui, du fait de son incarcération, mais aussi de son refus de principe, n’a indemnisé que de façon dérisoire par le biais du prélèvement obligatoire les parties civiles, admet actuellement devoir procéder à cette indemnisation et s’est engagé, à l’audience, à ne rien faire pour s’y opposer ;
- attendu que Mr Georges, Ibrahim ABDALLAH présente un projet cohérent comportant des garanties d’hébergement et un emploi d’enseignant dans son pays, le Liban, revenu à une situation politique stable ;
- attendu qu’il résulte de ce qui précède que, nonobstant tout reniement par Mr Georges, Ibrahim ABDALLAH de ses convictions politiques, son comportement en détention, mais surtout l’évolution de sa personnalité et son désir de retrouver la paix civile manifestent les efforts sérieux de réinsertion sociale requis par l’article 729 du Code de Procédure pénale et excluent le risque d’une récidive ;
qu’il y a donc lieu d’octroyer à Mr Georges, Ibrahim ABDALLAH le bénéfice de la libération conditionnelle sous réserve de mise à exécution de la décision d’interdiction du territoire français prononcée à son encontre par le Tribunal correctionnel de Lyon le 17 juillet 1986[3].
La raison réelle du maintien en détention de Georges Ibrahim Abdallah figure dans ces attendus explicitement : Georges Ibrahim Abdallah refuse de se renier. La cour d’appel de Pau estime à juste titre que ce refus de reniement (« nonobstant tout reniement ») ne s’oppose pas à sa libération et ne saurait signifier l’existence d’un risque de récidive. Tout au long des neuf jugements d’application des peines, le procureur comme la partie civile états-unienne invoquent eux ce refus comme significatif d’un danger de récidive. Intervenant lors de la demande de libération de juillet 2005, le procureur précise le « crime » de Georges Ibrahim Abdallah : « Abdallah est un communiste révolutionnaire, il l’avoue lui-même. Vous vous rendez compte, un communiste… Il fait même des grèves de la faim en soutien aux prisonniers palestiniens, il va jusqu’à proclamer que l’intifada vivra… Et après vingt-deux ans de prison, s’il rentre à Beyrouth, pour la population des quartiers pauvres, il sera un martyr… C’est insupportable ! C’est ce que nous reprocheront les Américains et les Israéliens, voilà pourquoi, monsieur le Président, votre décision est politique… »[4]. Ce sont donc les idées politiques de Georges Ibrahim Abdallah qui sont punies par le biais de son maintien en prison. Il est coupable d’être communiste, d’être révolutionnaire, de faire des grèves de la faim de solidarité, de soutenir l’Intifada, d’être devenu un symbole de résistance pour les Libanais. Cette culpabilité-là, Georges Ibrahim Abdallah la revendique. Le procureur a cependant oublié de lui imputer un autre « crime ». Ce n’est pas seulement « la population des quartiers pauvres » de Beyrouth qui voit, en effet, en Georges Ibrahim Abdallah un symbole de la résistance, mais des militants sur l’ensemble de la planète et de très nombreux habitants des quartiers populaires en France même.
Il reste le cri indigné du procureur : « vous vous rendez compte, un communiste ». Il rappelle que nous sommes bien devant d’un délit d’opinion. Il souligne que ce ne sont pas des faits objectifs qui sont jugés, mais des idées politiques. Il n’est pas sans rappeler les premières lignes du manifeste du parti communiste de Marx et Engels de 1848 : « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme ; toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une sainte Alliance pour traquer ce spectre »[5].
Le procureur de 2005 n’est pas le seul à condamner Georges Ibrahim Abdallah pour son refus du reniement. Un an plus tôt, le 16 janvier 2004, la cour d’appel de Paris cassait la décision d’accorder la libération conditionnelle à Georges Ibrahim Abdallah prise en première instance au motif que les juges n’avaient « voulu tenir aucun compte de l’impact susceptible d’être provoqué en France, aux États- Unis et en Israël par la libération de ce condamné et ce alors même que la situation au Proche Orient est particulièrement tendue ». Quatre ans plus tard, le 5 mai 2009 l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui rejette une nouvelle demande de libération conditionnelle le qualifie « d’activiste résolu et implacable ». Un des considérants justifiant le refus de libération énonce :
« Considérant que lors de ses différentes auditions que le condamné a clairement revendiqué le caractère politique de son action et ses convictions anti-impérialistes. »
La cour d’appel de Paris ne faisait dans cet arrêt que suivre elle-même l’avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté de Paris du 22 janvier 2009 :
« Il [Georges Ibrahim Abdallah] revendique ses actes et les justifie par son engagement politique ; il se présente comme un « résistant » qui, à l’époque, luttait par la violence contre l’occupation du Liban par Israël, avec la complicité des États-Unis […]. La commission constate que Georges Ibrahim Abdallah n’a aucunement renoncé à la lutte armée et à l’action terroriste, y compris en France. Sa dangerosité est démontrée par son indifférence pour le sort des victimes et la force intacte de ses convictions qui peuvent à nouveau, si le contexte politique s’y prêtait, le pousser à se comporter 109 en activiste résolu et implacable. La commission émet un avis défavorable à la demande de libération conditionnelle de Georges Ibrahim Abdallah »[6].
Le département d’État états-unien joue la même symphonie et chante la même chanson. Georges Ibrahim Abdallah ayant déposé le 6 février 2007 sa septième demande de libération conditionnelle, le département d’État réagit en déclarant le 9 mars 2007 :
« Le contexte politique et sécuritaire du Liban joue un rôle important. Monsieur Abdallah était un personnage clé d’une organisation terroriste basée au Liban et bénéficiant du soutien de la Syrie, désireuse de commettre des assassinats politiques contre des officiels européens et américains. Avec les assassinats récents de Pierre Gemayel et de bien d’autres figures politiques qui croyaient en un Liban libre et débarrassé de toute domination syrienne, il est tout à fait possible qu’un Abdallah sans remords s’engage une nouvelle fois dans des activités terroristes pour défendre sa cause »[7].
Quinze jours plus tard, le 26 mars 2007, un rapport de la DST reprend à la lettre l’argumentaire états-unien :
« Dans un contexte politique déjà très tendu, une telle libération serait un élément déstabilisateur supplémentaire sur la scène libanaise »[8].
Toutes ces déclarations et décisions qui conduisent à maintenir Georges Ibrahim Abdallah en prison sont sur un mode conditionnel : « si », « il est tout à fait possible », « serait », etc. Nous sommes bien loin d’une justice qui statuerait sur la base de faits objectifs et de preuves. Comme le souligne maître Vergès nous sommes à l’évidence dans un mauvais western : « Retirez le conditionnel à leurs supputations, leurs «si», leurs «peut-être», l’épouvantail terroriste se volatilise. C’est un fantôme. Probablement doit-on aussi lyncher les fantômes dans les mauvais westerns »[9].
Le délit de fréquentation
À l’appui de la thèse d’une dangerosité de Georges Ibrahim Abdallah empêchant d’envisager sa libération est avancé l’argument de ses fréquentations au sein de la prison. Le rapport de la DST ci-dessus cité reproche à Georges Ibrahim Abdallah d’entretenir des rapports avec des « détenus d’extrême gauche et des éléments radicaux maghrébins ». Maître Vergès ironise à juste titre à propos de cette « information » :
Que ne l’a-t-on dit plus tôt à l’Administration pénitentiaire ? C’est elle en effet qui a regroupé ces prisonniers dans un même quartier. Soit elle est fautive, auquel cas il faut s’adresser directement à elle. Soit, plus vraisemblablement, l’administration estime qu’il n’y a là rien de condamnable. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à Georges Ibrahim Abdallah de parler à la promenade avec les codétenus. L’argument est stupide et médiocre. Il faudrait d’ailleurs savoir à la fin où la partie civile veut en venir. Si elle considère que G. I. Abdallah est dangereux en prison par ses mauvaises fréquentations, on ne peut que l’inviter à réexaminer sous un jour plus favorable la demande de liberté qu’il a déposée[10].
Georges Ibrahim Abdallah est en effet détenu au centre pénitentiaire de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées. Construite en 1987 cette prison de haute-sécurité « héberge des condamnés à de très longues peines, purgeant des condamnations pour des faits souvent liés à la délinquance organisée, au grand banditisme ou au terrorisme »[11]. Selon les périodes on y trouve ainsi des prisonniers politiques basques ou corses, Jann-Marc Rouillan d’Action directe jusqu’à sa libération en 2011, ou encore des détenus « islamistes ». À moins de choisir la solitude complète, Georges Ibrahim Abdallah, est de fait en rapport inévitable avec ces prisonniers. De surcroît son engagement anti-impérialiste l’amène à s’intéresser aux analyses politiques de ses codétenus. Dans sa déclaration aux manifestants venus devant sa prison exiger sa libération, il aborde le combat des prisonniers politiques basques :
« À mes côtés ici, de valeureux camarades basques résistent toujours, et depuis tant d’années. L’aménagement des peines ainsi que la “suspension de peine pour raison médicale” leur sont systématiquement refusés. En appel on vient de refuser la demande de libération conditionnelle au Camarade Xistor, après plus de 30 ans d’incarcération ! Papon a profité de la suspension de peine pour raison médicale. Par contre le Camarade Ibon Fernandez est toujours en prison en dépit de son état de santé et de l’avis de plusieurs experts médicaux… »[12]
En militant, il se mobilise également pour l’amélioration des conditions de détention. Ainsi le 2 avril 2013, il entame une grève de la faim avec des prisonniers politiques basques pour dénoncer les conditions de détention et de soin qui ont entraîné la mort de Xabier Lopez Pena, décédé le 30 mars à l’hôpital salpêtrière à Paris. Lors de la conférence de presse de l’association Herrira qui milite pour le rapprochement des prisonniers basques, ces conditions sont décrites comme suit :
« En prison, les longues peines, les conditions indignes et les mesures d’exception provoquent ou aggravent des maladies. Et le prisonnier, une fois malade, ne peut pas se soigner comme il le faudrait en raison des conditions, des mesures d’exception et de l’ensemble des obstacles mis par la prison. Il doit subir, de plus, une énorme pression de la part des fonctionnaires à chaque minute de chaque journée. Pour cette raison, nous demandons depuis très longtemps le respect des droits des prisonniers — parmi lesquels celui d’avoir un suivi médical sérieux — et la libération immédiate des prisonniers gravement malades »[13].
Les luttes contre les conditions de détention en prison sont fréquentes et prennent des formes variées : stagnation dans les couloirs, refus de promenade, refus de réintégra-tion des cellules, grèves d’atelier, refus des plateaux-repas, grèves de la faim. Georges Ibrahim Abdallah est de tous ces combats. On le retrouve en février 2004 en grève de la faim de trois jours en solidarité avec Nathalie Ménigon :
En solidarité avec notre camarade Nathalie MÉNIGON, nous avons fait une grève du plateau pour trois jours, du mardi 24 février jusqu’au 26 inclus. Notre camarade s’était mise en grève de la faim afin que cessent les provocations permanentes et les mauvais traitements dont elle fait l’objet tout particulièrement au niveau des soins médicaux. Par ce geste solidaire, nous tenons à faire savoir au garde des Sceaux que les mesures arbitraires qui frappent de plus en plus aussi bien les prisonniers politiques que les prisonniers sociaux ne nous laissent pas indifférents. Que mille initiatives fleurissent pour apporter soutien et solidarité à Nathalie ! Son combat est le nôtre et ensemble nous vaincrons[14].
Il est également au rendez-vous de la solidarité lorsque des prisonniers musulmans entre en grève de la faim. Cohérent avec ses convictions politiques, il ne choisit pas d’entrer en solidarité en fonction de l’origine, de la nationalité ou de la foi des personnes. Son seul critère est la justesse et la légitimité des revendications. Cet acte de solidarité sera avancé pour s’opposer à sa libération en l’interprétant comme étant une preuve de sa conversion à l’Islam : « Ces relations avec la population carcérale d’origine maghrébine et/ou l’évolution et l’islamisation du combat anti-impérialiste et antisioniste sont probablement les raisons qui ont poussé le détenu, ancien chrétien marxiste, à se convertir à l’islam »[15] explique le rapport de la DST ci-dessus cité.
L’hypothèse n’est pas nouvelle. Elle est avancée pour arguer de la transformation en prison de Georges Ibrahim Abdallah en un dangereux « islamiste ». Yves Bonnet relate comme suit une rencontre avec des magistrats à la fin de la décennie 1990 :
« J’ai été reçu par quatre magistrats qui m’ont prêté une oreille attentive avant de m’éconduire poliment, regrette-t-il. Ils m’ont expliqué qu’une prétendue conversion à l’islam de Georges Ibrahim Abdallah avait fait de ce chrétien un dangereux propagandiste islamiste, ce qui rendait sa libération impossible »[16].
L’affirmation n’est pas non plus étonnante dans une société française où se sont multipliées depuis plus de trois décennies des déclarations publiques islamophobes. Les amalgames entre « musulman », « islamiste » et terroriste portés par cette vague islamophobe permettent ainsi de conclure à la dangerosité de Georges Ibrahim Abdallah et de la nécessité de lui refuser la libération conditionnelle. Maître Vergès a raison de qualifier de « raciste » ce pseudo-argument :
Si on n’avait pas déjà trop souvent ressenti dans ce dossier l’américano-centrisme effarant de la DST, on aurait de quoi être surpris de constater qu’un service de la police française en vienne à se mêler des opinions religieuses des gens et à fonder ses analyses sur les mensonges du State Department. Nous avons déjà accusé la DST de mensonge. Elle n’a pas tenté de se justifier en avançant des éléments à l’appui de ses affirmations. On a peine à lui rappeler qu’à la différence des États-Unis, la France n’est pas une République confessionnelle, fondamentaliste ou créationniste, mais laïque. À vrai dire, on n’est surpris qu’à moitié, tant est grande la tentation en Occident d’assimiler tout musulman à un criminel. L’imputation de terrorisme faite à l’islam est insultante. Elle est malheureusement courante. C’est cela que le rapport de la DST suggère, dans un racisme qui ne prend même plus la peine de se voiler[17].
Il suffit de lire les témoignages et comptes-rendus des nombreuses personnes qui lui ont rendu visite en prison pour se rendre compte du caractère délirant de la pseudo-explication de la DST. Citons-en un parmi de nombreux autres :
Mes visites régulières au centre pénitentiaire de Lannemezan pour visiter Georges Ibrahim Abdallah m’ont permis de découvrir une personnalité érudite tant en matières scientifiques, historiques et politiques. Il est particulièrement ouvert sur l’actualité des résistances dans le Monde, en particulier le monde arabo-musulman, mais pas seulement. Il suit avec intérêt la résistance kurde et tout récemment les mouvements populaires au Soudan, car ce pays est à la croisée de plusieurs mondes : Afrique noire et Afrique blanche, mondes musulman, chrétien et animiste, mondes agricole et urbain, etc. Il a été intéressé par le fait que les mobilisations sociales contre la dictature islamique aient regroupé des Soudanais de toutes origines sur des bases de classes plutôt que communautaires. Il a participé aux mobilisations des prisonniers pour améliorer la vie quotidienne des prisonniers et les conditions des visites des proches (parloirs séparés, …), il participe aussi à distance à la mobilisation des prisonniers palestiniens détenus en Israël en particulier par des grèves de la faim dans lesquelles il arrive à solidariser d’autres détenus. Il suit avec grand intérêt les mobilisations sociales en France, luttes ouvrières syndicales comme gilets jaunes ou ZAD. C’est d’ailleurs pour lui le meilleur moyen de le soutenir que de participer aux mouvements sociaux. C’est aussi quelqu’un de fier dans ses convictions qui n’est pas prêt à les renier alors qu’il a déjà subi 35 années de prison. En particulier, il se refuse à multiplier les demandes de libération provisoire, tant il est sûr du résultat négatif[18].
[…] L’affaire Georges Ibrahim Abdallah […]