Les deux rivaux de l’Asie du Sud entretiennent des relations bien différentes avec l’Afghanistan. Si l’Inde s’est rangée du côté du gouvernement soutenu par les États-Unis et a massivement investi dans le pays, le Pakistan se considère comme l’allié des talibans, un mouvement qui a vu le jour sur son sol.
Le retour des talibans à Kaboul marque-t-il une redistribution des cartes entre le Pakistan et l’Inde, deux grands rivaux de l’Asie du Sud ? “Les événements tragiques” à Kaboul le week-end du 14 août ont “choqué une Inde qui semblait peu préparée, comme la plupart des pays du monde, à une chute rapide du gouvernement d’Ashraf Ghani”, explique The Indian Express. Ces dernières semaines, les autorités indiennes avaient réaffirmé leur opposition aux talibans et accentué leur soutien à Kaboul. L’accueil chaleureux du peuple afghan et un engagement sincère indien pour leur bien-être ont sans doute contribué à “aveugler l’Inde, incapable de reconnaître la faiblesse du gouvernement” afghan, poursuit le quotidien. New Delhi a peut-être aussi surestimé la manière dont l’administration Biden gérerait le départ de ses troupes.
L’Inde, acteur de la reconstruction
Pour le quotidien pakistanais Daily Times, le départ américain se passe “de la façon la plus humiliante possible, tant tout ce que les [Américains] avaient créé s’est volatilisé face à l’avancée des talibans”. Pourtant, des trillions de dollars ont été déversés dans cette guerre. Le “lustre de l’empire américain” devrait en souffrir. “Les autres ‘amis’ qui ont joué un rôle sont également profondément déçus parce que leurs investissements se révèlent un échec. Ils vont devoir réfléchir à la position à adopter pour conserver une influence dans la région”, poursuit le journal, visant ainsi directement l’implication de l’Inde en Afghanistan.
Comme le rappelle The Indian Express dans un autre article, l’Inde a massivement investi depuis vingt ans dans la reconstruction afghane, “car l’Afghanistan est vital pour les intérêts stratégiques [indiens] dans la région”. Routes, barrages, réseaux électriques, écoles et hôpitaux ont été construits pour un montant estimé à plus de 3 milliards de dollars. Manière pour New Delhi de s’assurer le soutien d’un allié à l’ouest de son ennemi pakistanais.
Un soutien inconditionnel du Pakistan ?
Mais si “le Pakistan célèbre ouvertement le triomphe” des talibans, reste à savoir le type de régime que ces derniers vont mettre en place à Kaboul. Si “l’on revient aux années 1990, des jours sombres sont à venir”, alerte le quotidien indien The Hindu.
Soutenus par le Pakistan depuis leur création à Kandahar en 1994, les talibans jouissent toujours de la complaisance des autorités pakistanaises.
The Daily Times estime d’ailleurs qu’Islamabad “a fait ce qu’il fallait” en soulignant auprès de la délégation des talibans qui s’est rendue au Pakistan dès la prise de Kaboul, le 15 août au soir, que “seule une solution politique complète et inclusive serait viable pour ramener un peu de normalité dans le pays et la région”.
La menace terroriste
Néanmoins, les journaux des deux pays partagent une inquiétude commune quant au risque d’une recrudescence du terrorisme régional. The Indian Express appelle à la vigilance de New Delhi face à la résurgence d’un “terrorisme transnational qui pourrait déstabiliser le Cachemire et conduire à une escalade d’un conflit entre l’Inde et le Pakistan”.
Avec “le triomphalisme croissant d’Islamabad à la suite du succès des talibans” et “des groupes djihadistes installés au Pakistan tournant leur attention vers le Cachemire”, “les tensions ne peuvent que monter à la frontière occidentale”, poursuit le titre. Pakistan et Inde se partagent la province du Cachemire depuis l’indépendance des deux pays en 1947 qui a suivi la partition de l’ancien Empire britannique des Indes.
Côté pakistanais, Dawn alerte sur les liens entre les nouveaux maîtres de Kaboul et le mouvement des talibans du Pakistan, Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP). “De la manière dont [les nouveaux responsables à Kaboul] agiront avec ce groupe dépendra leurs relations futures avec leurs soutiens” pakistanais, conclut Dawn.
Créé en 2007, le TTP vise la prise du pouvoir au Pakistan. Les attentats terroristes sur le sol pakistanais se sont multipliés ces derniers mois, notamment contre les intérêts chinois. Les États-Unis ayant quitté la scène, qui désormais aidera les autorités pakistanaises contre ces militants bien armés et nombreux ? s’interroge sur le site indien The Quint une journaliste pakistanaise.