Haïti : Insécurité sismique – Un maillon de la chaîne de l’insécurité globale et systémique

Chantal Ismé

 

Ma ville à genoux

Souvenirs balayés

Lumière et Espoir

Pour nos Morts

Pour les Survivant.e.s

Force et Lutte!

 

Le 14 août 2021, journée historique de la célèbre cérémonie du Bois Caïman, point de départ du mouvement révolutionnaire qui mènera à la victoire la révolte des esclaves noir.e.s à Saint Domingue, la terre a tremblé une fois encore en Ayiti !

Cette fois-ci le Grand Sud, relativement épargné le 12 janvier 2010, est durement touché par un séisme de magnitude 7.2 avec plus de 500 répliques à date. Selon les chiffres officiels en date du 18 août, plus de 2 100 décès,  12 268 blessé.e.s, environ 77 000 maisons endommagées, 52 953 maisons détruites, 135 000 familles sinistrées, 600 000 familles en état de vulnérabilité. Ce bilan est très conservateur étant donné qu’il y a des zones encore totalement inaccessibles suite aux éboulements qui ont coupé les routes et ne possédant pas de terrain d’aviation.

Les condoléances aux familles éprouvées. La solidarité au peuple Haïtien qui traverse encore une fois un carrefour difficile. Un salut au courage et à la détermination de ce fier peuple.

Cette tragédie aussi grande soit-elle, risquant d’ailleurs de tourner en  une crise humanitaire, ne doit pas faire oublier la crise politique sous-jacente. En effet, avant cet événement, le pays vivait l’une des pires crises de son histoire après dix années de règne du régime néo-duvaliériste PHTK. Trois ans de contestation continue d’un gouvernement illégitime et illégal. Assassinat d’un président, même illégal, tout bonnement à l’intérieur de sa maison et plus d’un mois après l’enquête se poursuit sans l’ombre d’un indice sur les vrais assassins.

Point besoin de mentionner la longue liste des victimes d’exécution sommaire ou de massacres dont l’étudiante Évelyne Sincère, le bâtonnier de l’ordre des avocats Me Dorval Montferrier, plus récemment l’activiste féministe Antoinette Duclaire, à titre illustratif, etc., qui attendent toujours que la lumière soit faite sur leur assassinat. Cette incapacité de faire aboutir des enquêtes traduit la vassalité du système judiciaire inféodé au pouvoir en place.

Ce déni de justice parle aussi de la crise institutionnelle qui secoue le pays depuis quelques années. Toutes les institutions de l’État ont été démantelées par feu le président de facto Jovenel  Moïse dans sa velléité de garder le pouvoir à tout prix avec la complicité du Core Group. Le parlement a été disloqué, la Cour supérieure des comptes démantelée, des juges de la Cour de Cassation révoqué.e.s. À la mort de Monsieur Moïse, même le poste de Premier ministre était dans un imbroglio avec un sortant et un nommé non installé.

Ce séisme suivi d’un cyclone frappe le pays dans une période où la souveraineté d’Ayiti déjà mis à mal par tous les gouvernements depuis des décennies, est encore plus en jeu. En effet, le même Core Group qui a contribué à maintenir le régime PHTK au pouvoir à travers Jovenel Moïse, faisant fi des désidératas du peuple haïtien d’avancer vers une transition dite de rupture avec l’impunité, la corruption et la gabegie administrative, imposa un premier ministre de la continuité du règne de Moïse. En effet, Monsieur Henry a été nommé par ce dernier quelques jours avant son décès.

Cette mise en contexte a pour objectif de mettre en exergue que la vulnérabilité plus aigüe d’Ayiti aux catastrophes naturelles n’est pas une fatalité. C’est le résultat de politiques néolibérales imposées par la communauté internationale et appliquée par ses laquais locaux. C’est la résultante de la cooptation des richesses du pays par une classe dominante insouciante et gloutonne dont la rapacité est sans fin. C’est le fruit de l’irresponsabilité criminelle de dirigeant.e.s corrompu.e.s et véreux/véreuses.

Alors que 4 milliards de dollars des fonds Petro caribe ont été dilapidés par des gouvernements successifs, alors que le régime PHTK a gaspillé des millions dans une reconstruction cosmétique pendant dix ans : des tronçons de routes qui n’ont pas pu supporter une averse, des abris provisoires devenus définitifs, etc., aucune mesure de prévention n’a été prise pour parer une hécatombe à chaque catastrophe. Des abris antisismiques et anticycloniques ne sont pas prévus.

11 ans après le séisme ravageur du 12 janvier, 5 ans après le passage de l’ouragan Mathew,  des villes se retrouvent  encore sans aucun matériel lourd pour le déblaiement des décombres laissant aux seules mains nues d’une population courageuse et solidaire d’entreprendre les opérations de recherche et de sauvetage. 11 ans après, il n’existe pas d’infrastructure sanitaire adéquate, certaines sections communales n’ont même pas un centre de santé, voire un hôpital. 11 ans après, la population haïtienne doit entendre impuissante l’appel des secours du tréfonds des décombres.

Et pourtant, d’après le sismologue Claude Preptit, des efforts techniques ont été faits pour doter le pays d’un réseau pour surveiller la sismicité locale et donner l’alerte en cas de Tsunami. Toujours d’après lui des Plans de contingence ont été élaborés pour planifier la réponse et limiter la vulnérabilité en cas de séisme. Des guides sont rédigés pour les réparations des édifices endommagées, des formations sont données aux maçons. Le code national du bâti haïtien a été revisité et mis à jour.

Toutefois, ces informations se heurtent au mur de l’absence d’une vision et d’objectifs stratégiques. La léthargie des dirigeant.e.s haitien.ne.s ne concrétisent pas les informations colligées en actions pour des réponses adéquates aux catastrophes sismiques ou autres. Le bien-être du peuple haïtien ne constitue pas la priorité de ces gouvernements apatrides et intéressés que par leurs intérêts personnels et de classe, trop occupés à piller les caisses de l’État.

Pendant que nous apportons notre aide plus que nécessaire à la population du Grand Sud, il ne faut pas oublier la crise politique non résolue qui perdure. Si une démonstration était nécessaire, citons à titre d’exemple ces deux faits qui parlent d’eux-mêmes.

Le premier ministre actuel a négocié un couloir humanitaire avec les gangs armés du G9 et l’accord parle de ‘’laisser passer ‘’sans crainte’’ 2 convois humanitaires par jour dans la zone’’ (selon une agence de l’ONU rapporté par rezonodwes.com le 17 août 2021). Rappelons que le chef du G9, Barbecue, avait proposé à feu Monsieur Moïse de nommer Monsieur Henry comme Premier Ministre.

Les États-Unis ont annoncé que les élections n’auront plus lieu comme prévu à la fin de l’année. À noter que ce n’est pas le gouvernement fantoche d’Ayiti qui en a fait l’annonce mais les vrais organisateurs de cette élection.

Aujourd’hui plus que jamais nous devons continuer à défendre les initiatives progressistes et de la société civile pour une solution haïtienne à la crise qui ne disparaitra pas avec les catastrophes naturelles. Aujourd’hui plus que jamais nous devons nous battre pour reprendre notre destin en main et pour l’autodétermination du peuple haïtien.

Aujourd’hui plus que jamais nos réflexions doivent nous amener à reconsidérer notre modèle de développement. Aujourd’hui plus que jamais notre vision de la vie, de la nature, de notre cohabitation doit être revue pour correspondre à notre environnement et à nos valeurs ancestrales. Aujourd’hui plus que jamais, la mobilisation doit être maintenue sur les deux plans : politique et solidarité.

Nous lançons un vibrant appel à la solidarité respectueuse de la dignité et à la hauteur de la tragédie.

Vive Ayiti Libre !

Vive la solidarité entre les peuples !

Chantal Ismé, militante féministe et communautaire.