En 2018 et 2019, les soulèvements populaires qui ont abouti à la destitution d’Omar al-Bachir, au pouvoir pendant 30 ans, avaient ouvert la voie à une transformation démocratique porteuse d’espoir. Avant la guerre, l’introduction de modèles décentralisés d’organisation, comme les comités de quartier, avait mobilisé différentes franges de la population qui ont participé activement à la reconstruction. Mais la guerre déclenchée le 15 avril 2023 a plongé le pays dans la pire crise humanitaire enregistrée de l’histoire, comme en témoigne Liemia Aljaili, journaliste soudanaise réfugiée en Ouganda.
Accueillant jadis une société vibrante et engagée, Khartoum est désormais une ville fantôme. Pour celles et ceux qui avaient été aux premières lignes de la révolution, la situation est invivable.
Depuis le début de la guerre civile au Soudan, qui oppose les forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR), une milice auxiliaire paramilitaire, la société civile est directement attaquée par les partis belligérants qui ne respectent pas le droit international et multiplient les stratégies d’intimidation et les restrictions à la libre association et au droit d’expression.
Dès les premières heures du conflit en 2023, des bureaux d’associations soudanaises ont été perquisitionnés, et leurs outils de travail détruits, pillés ou volés. Depuis, les menaces, les arrestations, la persécution et la torture sont chose courante. Par conséquent, plusieurs personnes ont été forcées de fuir à l’intérieur ou à l’extérieur du pays au péril de leur vie. Des premiers postes de contrôle jusqu’à l’arrivée à la frontière, leurs ordinateurs et leurs téléphones sont fouillés, les réseaux sociaux et les conversations épiés. Si un certain nombre d’ONG ont repris le travail avec des ressources limitées dans les pays voisins, surtout en Ouganda et au Kenya, les personnes déplacées vivent souvent dans une grande précarité.
Qui plus est, les défenseuses et défenseurs des droits de la personne et les journalistes qui n’ont pas les moyens de quitter le pays font face à une pauvreté extrême, sans accès à des services de base et à des moyens de communication. Avec la guerre qui gagne du terrain, les risques d’assassinat, de détention et de disparition forcée sont de plus en plus importants. La situation des femmes est d’autant plus préoccupante ; les viols et les agressions physiques sont utilisés systématiquement pour les réduire au silence. De plus, avec la fermeture d’un grand nombre d’organisations et d’agences de presse, plusieurs ont perdu leurs moyens de subsistance et n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins, alors que le conflit et les pénuries ont fait grimper l’inflation.
La violence, la crise humanitaire et l’absence de sécurité rendent le travail de la société civile presque impossible, créant un climat propice à la manipulation et à la propagande de guerre sans personne pour assurer une surveillance contre les abus et les violations.
Selon l’Organisation des Nations Unies, la guerre civile a fait jusqu’ici plus de 20 000 victimes et 12 millions de personnes déplacées, dont 3,2 millions dans les pays voisins. En décembre dernier, plus de 24,6 millions de Soudanais·es, soit la moitié de la population, se trouvaient dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë.
L’histoire impériale dans la région, les ratés de la diplomatie internationale, l’effondrement de l’économie traditionnelle au profit de l’industrie aurifère et l’interminable crise socioéconomique ont contribué à cette guerre sanglante qui continue d’être alimentée par des forces régionales et internationales.