Le FSM de Bahia : Relances et défis

Le Forum Social Mondial de Salvador de Bahia s’est déroulé du 13 au 17 mars 2018. Le mot d’ordre retenu était « Résister c’est créer, résister c’est transformer ». Ce forum avait trois dimensions : un forum bahianais qui a été une grande réussite, un forum brésilien déterminé par la situation au Brésil et en Amérique latine, un forum international axé sur la situation mondiale et l’avenir des forums.

Le Forum a été très suivi. Entre la marche et les activités, il y a eu suivant les estimations entre 50000 et 80000 participants. Ils venaient massivement de Bahia et du Brésil. Il y a eu des participants de 120 pays. Surtout d’Amérique Latine, avec quelques autres fortes délégations (Allemagne, Espagne, France, Maroc, Québec, Suisse). Plusieurs mouvements africains étaient représentés. Il y avait des mouvements asiatiques en petit nombre (Inde, Chine, Népal, Japon, Indonésie, …). Il y a eu près de 2000 activités, référencées autour de 19 axes thématiques.

Le FSM de Bahia s’est déroulé dans une ambiance électrique. Joyeuse et enthousiaste au départ, tragique après l’assassinat de Marielle Franco. Le Forum a été porté par l’enthousiasme des mouvements bahianais.

Trois grands mouvements ont porté le Forum : le mouvement des femmes ; le mouvement afro-brésilien ; le mouvement des peuples traditionnels. Le mouvement des femmes a pris en Amérique latine une énorme importance avec des manifestations monstres, pour le 8 mars, dans de nombreux pays et notamment en Argentine. L’Assemblée des Femmes, activité exclusive du 16 mars au matin a été un moment considérable. Le mouvement afro-brésilien a été très structurant. Il porte une revendication plus générale, celle du refus des discriminations et des racismes. Le mouvement des peuples traditionnels était très présent, portant la convergence entre les peuples autochtones et les peuples afro-brésiliens. Il y a eu aussi une très forte présence des mouvements de jeunesse et des mouvements étudiants pour la gratuité de l’Université.

L’assassinat de Marielle Franco a démontré la liaison dramatique entre les mouvements des femmes et les mouvements afro-brésiliens. Marielle, élue à Rio, militante du mouvement afro-brésilien, du mouvement des femmes et du mouvement lesbien animait une commission contre les violences policières dans les favelas à Rio. Cette favelara refusait que des policiers assassinent en toute impunité des Noirs et des enfants des favelas, pratiquement toujours des enfants noirs. Son assassinat pourrait marquer un tournant dans les affrontements sociaux et politiques au Brésil. Les manifestations de protestation à Rio, Sao Paulo, Salvador et dans tout le Brésil ont souligné l’importance de ce tournant.

La situation brésilienne et en Amérique latine

Les mouvements sociaux brésiliens étaient très présents au FSM.  Si l’accord était unanime contre Temer et l’offensive de la droite brésilienne ; la discussion était ouverte sur les élections qui auront lieu dans quelques mois. La candidature de Lula était acceptée par tout le monde mais le débat était ouvert sur l’appréciation de la politique et des propositions du PT. Lula a fait un meeting dans un stade avec une présence de participants du forum. La mobilisation a été réelle et les tensions ont été visibles entre le Parti des travailleurs (PT), le Parti communiste (PCDoB) et le Parti socialisme et liberté (PSOL). La situation au Brésil est liée à la situation en Amérique Latine ; à la montée des droites et au désarroi des mouvements de gauche. L’intervention des États-Unis est certes active, mais elle ne suffit pas à tout expliquer. Les gouvernements progressistes ont été pris en tenaille par l’offensive les droites, les conséquences de leurs alliances avec les secteurs financiers, la baisse des recettes des exportations des matières premières, la radicalisation des classes moyennes.

La dimension internationale

La dimension internationale du Forum était réelle à travers les représentants de très nombreux mouvements et la multiplicité des activités. De nombreux forums thématiques ont tenu des rencontres pendant le forum. Les réunions et les débats ont montré que les réseaux internationaux étaient vivants. La discussion a été difficile du fait des moyens limités notamment pour les traductions.

Le Forum Social Mondial reste le principal espace de rencontre des mouvements et de débat sur la situation internationale. Même si, depuis quelques années, il n’est plus le lieu central de la contestation du néolibéralisme et doit faire face à une nouvelle période de la mondialisation.

La discussion sur la situation mondiale

Il y a un accord assez général sur la caractérisation de la période comme celle d’une contre-révolution, et même celle de plusieurs contre-révolutions. Cette contre-révolution met en avant des idéologies racistes, xénophobes, sécuritaires. Elle désigne comme boucs émissaires dans tous les pays du monde les étrangers et les migrants. Elle s’appuie sur les conservatismes islamistes, hindouistes, évangélistes.

Certaines activités ont travaillé sur le moment actuel du néolibéralisme, à partir de la séquence ouverte par l’élection de Trump. L’évolution du néolibéralisme mêle austérité et autoritarisme, une catégorie politique « austéritaire ».  Plusieurs questions ont été soulevées : quelle évolution du libre-échange et des nouvelles contradictions du capitalisme ? Quelles nouvelles contradictions géopolitiques avec les guerres en cours et les risques accrus de guerre ?

Plusieurs activités, sur l’Amérique Latine notamment, ont abordé la question des limites et des contradictions des mouvements qui se réclamaient de la gauche et des gouvernements qui en sont issus. Si les politiques contre la pauvreté et les inégalités ont été reconnues, il faut en mesurer les limites, notamment sur la question des discriminations. Et mesurer aussi les limites et les dangers des alliances qui passent par l’acceptation de la direction par les oukases des entreprises multinationales et des institutions financières internationales. Les politiques productivistes, extractivistes et les économies rentières d’exportation de matières premières ont montré leurs nocivités et leurs limites.

La situation des mouvements

Le Forum social mondial reste le principal espace de rencontre des mouvements qui se reconnaissent dans l’altermondialisme. Il n’est plus le lieu central de l’alternative à la mondialisation capitaliste dans sa phase néolibérale mais il y participe. Les mouvements se sont diversifiés et se retrouvent dans des espaces différenciés. De nouveaux mouvements ont émergé, d’une part, et de nombreux mouvements se sont repliés sur des espaces nationaux, d’autre part.

Les mouvements sont confrontés à la nouvelle situation. Comment lutter dans une situation de contre-révolution en faisant face à des offensives extrêmement violentes des classes dominantes et des entreprises et institutions multinationales et à une stratégie de précarisation généralisée ? Comment aussi résister aux idéologies racistes, xénophobes et sécuritaires qui portent les vagues conservatrices ? Les résistances existent et les contradictions n’ont pas diminué. Le Forum permet de les percevoir et de voir émerger de nouvelles formes de luttes et de nouveaux fronts de résistance.

Le Forum est un espace dans lequel les mouvements discutent des questions qu’ils se posent. Les débats dans les mouvements portent sur la nécessaire définition d’une stratégie. Comment articuler la réponse à l’urgence et les résistances, avec la définition d’un projet et les alternatives. Dans les mouvements un fort débat porte sur la manière d’agir et sur les formes d’action et d’organisation. Les interrogations sont vives sur les formes État, les formes partis et les formes mouvements.

Le Forum social mondial est confronté aux interrogations de certains mouvements qui voudraient s’engager dans une politique plus offensive. De nombreux débats sont engagés, notamment sur les priorités à donner aux interventions des mouvements dans chaque pays, aux échelles nationales. Et aussi, le débat sur l’« ongéisation » des mouvements et des espaces internationaux. Il faut aussi noter les tentatives de nouveaux espaces internationaux de mouvements, comme celui qui a été engagé par le MST et La Via Campesina, qui, tout en étant présents dans les forums ont pris une certaine distance.

Une tentative a été menée avec la proposition d’une Assemblée des peuples, mouvements et territoires en résistance en partant des formes nouvelles de luttes. Il y en a de très nombreuses :  luttes des femmes, luttes sur l’urgence climatique, luttes sociales, luttes des peuples autochtones, luttes de la jeunesse au Maghreb et partout dans le monde, luttes des pipelines du Dakota, luttes contre l’extractivisme, luttes culturelles. Cette assemblée n’a pas encore trouvé la manière de rendre visible l’articulation entre la spécificité et la convergence de ces luttes et de ces mouvements. L’Agora des initiatives a permis de rendre visibles de très nombreuses actions proposées à partir du forum social mondial par des réseaux internationaux.

L’avenir des forums

Les forums ne résument pas le mouvement altermondialiste. Ils n’en restent pas moins une forme importante. Le mouvement altermondialiste est né de la contestation de la mondialisation néolibérale à la fin des années 1970. Sa première phase a été marquée par les luttes contre la dette et les programmes d’ajustement structurel. Sa deuxième phase, après la chute du mur de Berlin, a été marquée par le refus d’un système institutionnel mondial qui subordonne le droit international au droit des affaires à travers l’OMC, la Banque Mondiale et le FMI. La troisième phase, après Seattle, a été celle des forums sociaux mondiaux qui a culminé avec le forum de Belém en 2009. Nous entrons dans une nouvelle phase dont il faut inventer les formes.

Dans cette nouvelle phase, les FSM vont se poursuivre et restent très utiles. Régulièrement certains viennent dire que les FSM ne sont plus centraux et qu’il vaut mieux les arrêter pour que quelque chose d’autre puisse naître. Et pourtant, les FSM ne veulent pas mourir et tout aussi régulièrement, d’autres viennent s’en saisir et veulent les renouveler. Les FSM sont pour l’instant nécessaires, même s’ils sont très insuffisants. Ils ont une spécificité, c’est pour l’instant le seul espace où les mouvements confrontent leur stratégie à l’échelle internationale et s’interrogent sur la dimension internationale de leur stratégie.

Le Conseil International s’est réuni après le Forum. Il a félicité les organisateurs brésiliens pour la réussite de ce Forum. Il a décidé de mettre en œuvre la décision antérieure d’élargir le Conseil aux organisateurs des forums thématiques et régionaux. Il a aussi décidé de se réunir en novembre, à Mexico, à l’occasion du Forum Social Mondial des Migrations, ou au Maghreb.

Des propositions d‘évolution du Forum Social Mondial ont été proposées. Elles convergent vers la nécessité de donner la priorité au processus du forum social mondial par rapport au centrage sur un événement unique tous les deux ou trois ans. Il s’agit de définir, de diversifier, de renforcer et de rendre visible ce processus des forums sociaux mondiaux.

De nombreux évènements, tous mondiaux, sont déjà lancés. Citons : le Forum Social mondial contre l’extractivisme en Afrique du Sud, en août 2018 ; le Forum Social Mondial des Migrations, à Mexico en novembre 2018, avec cinq caravanes continentales pour le préparer, dont la caravane des pays côtiers en Afrique de l’Ouest ; les actions contre le G20, à Buenos Aires en décembre 2018 ; le FSM sur les économies alternatives à Barcelone, en avril 2019 ; le Forum sur la Santé et la Sécurité sociale, à Bogota, en juin 2019 ; le Forum social Panamazonien, en Colombie en octobre 2019 ; la marche mondiale Jai Jagat, de septembre 2019 à septembre 2020, qui partira de New Delhi, traversera 17 pays, pour soumettre un mémorandum à Genève aux Nations Unies ; le Forum Mondial pour la Paix à Genève, à l’arrivée de Jai Jagat en septembre 2020.

Il a été proposé d’organiser un événement chaque année, en réponse au Forum Économique Mondial de Davos. Le prochain serait organisé à Genève en mars 2019. Le renforcement du secrétariat international, au Maghreb, est une condition nécessaire et indispensable, pour faciliter et rendre visible les évènements du processus du forum social mondial.

28 mars 2018

 

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Gustave Massiah
Gustave Massiah est un militant et intellectuel français, figure de proue de l'atlermondialisme, fervent défenseur de l'écologie et de la justice sociale. Sur le plan des droits humain, il intervient surtout dans les domaines de la solidarité internationale. Il a participé à la création du CEDETIM, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale, de IPAM, Initiatives pour un autre monde, et du CICP, Centre international des cultures populaires qui est une maison d’associations qui regroupe 85 associations de solidarité internationale. Il a soutenu, dès les années 1950, les luttes de libération au Vietnam, en Algérie, en Afrique du Sud, dans les colonies portugaises. Il a été secrétaire général des comités Chili. président du Centre de recherche et d'information sur le développement (CRID) de 2002 à 2009 et vice-président d’Attac de 2001 à 2006. Membre du Conseil international du Forum Social Mondial depuis 2000, secrétaire général de la Ligue Internationale pour les droits et la Libération des Peuples, membre du Tribunal Permanent des Peuples ; rapporteur à la session sur la dette à Berlin en 1988, membre du jury au Mexique sur les assassinats de journalistes, en 2012 ; membre du jury du Tribunal Russell sur la Palestine de 2010 à 2013, à Barcelone, Londres, Le Cap, New York et Bruxelles.

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