Déclaration adoptée par le conseil d’administration d’ATTAC-Québec, le 4 avril 2020
Au moment où nous écrivons ces lignes, la crise sanitaire n’est pas terminée, loin de là, et nous savons que nous en subirons longtemps les dures conséquences. Cette crise, qui s’accompagne aussi d’une sévère crise économique causée par la mise à l’arrêt de l’économie, est toutefois une occasion de repenser notre mode de vie.
Beaucoup croient, à gauche comme à droite, que demain ne ressemblera pas au monde dans lequel nous avons vécu. Mais ce monde n’est pas encore défini et pour agir en vue de cet autre monde, nous devons soulever une question fondamentale dans le contexte de la présente crise : comment l’urgence climatique s’inscrit-elle dans la perspective de sortie de la crise du coronavirus et de ses conséquences sanitaires, économiques, financières, sociales et démocratiques ?
Nous aurons certainement l’occasion de réfléchir plus à fond, a posteriori, sur le manque de compréhension des puissants devant la nature de la pandémie. Leur désir de sauver leurs profits aux dépens de vies humaines s’est manifesté par un retard aux conséquences mortelles dans la lutte contre l’épidémie. Leur indécision, devant le dilemme entre sauver des vies ou l’économie, a contribué à la lenteur des décisions prises et à des conséquences sanitaires tragiques qui se conjuguent aux mesures d’austérité budgétaire ayant déjà mis en danger le système de santé dans l’ensemble des pays occidentaux depuis des années, sans compter les coupes dans les budgets reliés à la recherche — particulièrement au niveau de la recherche fondamentale — après que la crise du SRAS se soit estompée.
Au moment où nous constatons que, face à une crise majeure, la plupart des responsables politiques peuvent prendre des mesures drastiques afin d’enrayer la propagation du virus et tenter de protéger des personnes les plus à risque, nous sommes de ceux et de celles qui exigent que la crise climatique et celle des écosystèmes obtiennent la même considération, puisque cette pandémie n’est qu’un symptôme supplémentaire de la crise écologique. Nous savons notamment que 60 % des maladies infectieuses humaines sont transmises par des animaux selon l’Organisation mondiale de la santé.
Aussi, nous demandons que les orientations de nos futures politiques publiques s’appuient sur la science qui s’exprime notamment par le biais des différents rapports du GIEC et que les politiques économiques élaborées par la suite prennent la pleine mesure de l’ensemble de ces enjeux.
Rompre avec un modèle économique créateur d’injustices
Nous ne sommes pas égaux et égales face à la crise et à ses effets. Encore une fois, ce sont les personnes les plus démunies qui sont le plus durement touchées par les conséquences de la crise sanitaire. Le confinement imposé ne se vit pas dans les mêmes conditions pour une famille monoparentale dans un trois et demie au sous-sol que pour une autre dans une grande maison en banlieue. Les pertes d’emploi et l’absence de coussin financier, entre autres, ont permis de constater encore une fois à quel point une partie importante de la population demeure très vulnérable à toute déstabilisation de l’économie.
Cette épidémie est révélatrice des inégalités à une échelle locale, mais aussi internationale. La grande majorité de la population mondiale est complètement démunie face à ce genre de fléau et les infrastructures en santé ne sont pas suffisamment développées pour affronter la crise. Les personnes réfugiées, migrantes ou qui demeurent dans des zones surpeuplées et appauvries sont laissées pour compte. Pas de surprise au fond : notre modèle économique a créé des inégalités sociales exponentielles, comme le dénonce chaque année Oxfam au Forum économique de Davos. C’est avec ce monde qu’il faut rompre.
La COVID-19 exige bien sûr une réponse rapide aux soucis de celles et de ceux qui ne peuvent plus travailler et un soutien à la population par le biais de mesures économiques immédiates et généreuses qui doivent être adoptées et basées sur des conditions de vie décentes.
Pourtant, au-delà de la nécessaire gestion à court terme de la crise, nous devons penser à une sortie de crise qui, tout en pérennisant les mesures assurant un logement et un revenu décent, soit capable d’aller au-delà tout en développant des politiques visant à mettre en place une société plus juste et écologique. La présente crise, avec les failles qu’elle révèle, devrait permettre d’entreprendre une vaste réflexion démocratique visant à atteindre cet objectif.
Appel à transformer radicalement l’économie et la société
À plusieurs égards, la pandémie révèle les fragilités d’une économie de plus en plus déréglementée, mondialisée et financiarisée. Nous n’avons jamais cessé de dénoncer les grandes entreprises qui bénéficient des ressources essentielles que sont une éducation de qualité, une population en santé et de bonnes infrastructures tout en refusant de payer leur juste part d’impôts, en cachant leurs profits dans les paradis fiscaux.
Comme l’a récemment dit Edgar Morin, la crise nous montre que cette mondialisation est une interdépendance sans solidarité. Si le virus qui cause cette crise sanitaire soudaine expose bien la communauté des destins des peuples devant un même mal, il est essentiel de ne pas oublier l’urgence climatique qui exige d’entreprendre une transformation radicale de notre économie et de nos modes de vie.
Pourtant, nous entendons toujours les appels à la croissance et à la reprise économique par la consommation à tout vent afin de sauver le système. Des centaines de milliards de dollars sont déjà annoncés pour soutenir les entreprises, alors que certaines d’entre elles et certains fonds spéculent actuellement sur l’écroulement d’autres entreprises et profitent de la chute des actions selon une logique capitaliste implacable. Nous demandons que, par ces interventions massives dans l’économie, l’État et les pouvoirs publics orientent le système économique pour le rendre plus juste socialement, plus adéquat pour satisfaire les besoins essentiels des populations et compatible avec les grands équilibres écologiques. Investir massivement de l’argent public pour sauver des compagnies aériennes, des entreprises pétrolières, minières, gazières ou chimiques, des secteurs industriels polluants, sans conditionner ces aides à leur reconversion progressive, rapide et organisée serait la pire des solutions.
Il faut transformer radicalement l’économie et piloter une décroissance nécessaire, bien pensée et décidée ensemble : produire moins, consommer moins, relocaliser les activités, partager plus.
Ne doivent être soutenues que les entreprises qui acceptent d’abandonner progressivement leurs activités polluantes pour investir dans des activités socialement et écologiquement utiles et soutenables. À défaut, l’État et les pouvoirs publics doivent prendre le contrôle de ces entreprises et mettre fin à leur pouvoir de nuisance.
Dans tous les cas, les droits des travailleurs et travailleuses doivent être assurés (continuité du revenu, emploi). Cet interventionnisme public est une occasion unique d’opérer une véritable reconversion écologique et sociale dans les secteurs les plus nocifs. Ne la manquons pas ! Aucune somme ne doit être dépensée pour relancer l’insoutenable machine qui produit des inégalités sociales et qui contribue à la destruction de la planète.
Cette exigence de justice fiscale passe notamment par la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscaux, l’imposition d’une taxation sur les transactions financières et d’une taxe kilométrique sur les transports de marchandises.
Nous avons besoin d’une réelle mutation économique, d’un monde où la finance et la monnaie seraient sous la juridiction publique, au service de la population en général ; où nous limiterions nos achats de produits importés à ceux provenant d’États respectueux des droits de leur population ; où nous mettrions fin à la domination des multinationales ; où la souveraineté des peuples, la souveraineté alimentaire, l’agriculture responsable et des échanges équitables et solidaires seraient des priorités. Voilà autant de transformations majeures qui sont défendues depuis toujours par ATTAC.
Un refus de reconsidérer le modèle économique actuel serait la pire réaction à avoir, car cela ne ferait que retarder, encore une fois, les décisions nécessaires pour sauver ce qui peut encore l’être et accomplir les transformations nécessaires. La COVID-19 aura permis au moins de prouver que nous pouvons agir fortement et rapidement devant le danger, si nous le voulons.
Notre ancien monde est atteint d’une maladie mortelle. Acceptons-le.
L’histoire nous apprend que les pandémies et les crises financières peuvent modifier la trajectoire de l’histoire. À nous d’agir en conséquence.