Marie-Michaelle Vadeboncoeur, correspondante en stage

Anciennement surnommé « la Perle des Antilles », le monde s’est enrichi grâce aux richesses naturelles d’Haïti, et ce au détriment de ce pays condamné à payer l’ignoble « dette de l’indépendance ». 200 ans plus tard, le lourd traumatisme de la rançon pèse encore sur les épaules d’Haïti qui figure aujourd’hui comme l’un des pays les plus pauvres d’Amérique latine, des Caraïbes et même du monde.

La première nation noire issue d’une révolte d’esclaves

En 1791, les esclaves haïtien.nes entament une révolution en chassant brutalement les maîtres esclavagistes français qui dominaient le pays. C’est en 1804, après le renversement des troupes de Napoléon par les esclaves, que ce pays des Caraïbes proclame officiellement son indépendance. La Révolution haïtienne gagnée au prix du sang marquera à jamais l’histoire moderne, puisqu’Haïti est la première nation noire indépendante issue d’une révolte d’esclaves.

Or le pays se retrouve divisé en deux, entre les « anciens libres » et les « nouveaux libres ». Les « anciens libres » sont les fils et filles de colons au sein de l’élite politique du pays, contrairement aux « nouveaux libres » qui sont des esclaves maintenant affranchi.es. Révoltes et coup d’État sévissent au pays pendant deux décennies illustrant la volonté de l’élite haïtienne de rétablir l’esclavage contre les affranchi.es qui défendent leurs droits et leur liberté.

La punition des vainqueurs

Par crainte qu’Haïti devienne un symbole de résistance pour les pays colonisés, il était plus que primordial pour les puissances coloniales de ne jamais reconnaître son indépendance. En 1825, le roi Charles X émet une ordonnance qui changera à jamais la trajectoire du pays. La punition se traduit par l’instauration d’une dette où finalement la France reconnaîtrait l’indépendance d’Haïti à condition que le pays s’engage à payer la somme de 150 millions de francs pour indemniser les colons et leur perte de propriété.

C’est ainsi que la flotte française de navires de guerre a livré cet ultimatum à Haïti : la dette ou la guerre ? Le président Jean-Pierre Boyer succombera à cette cruelle rançon après quelques jours de négociations. « Ce sont les esclaves qui ont lutté pour avoir leur indépendance. La France se présentait comme être supérieur qui donne le statut de la liberté. 1825 s’inscrit dans un processus contre-révolutionnaire des événements de 1804 qui ont mis fin à l’esclavage », indique l’auteur, chercheur et professeur Georges Eddy Lucien.

Le piège de la « double dette »

Le fait qu’Haïti soit dans l’incapacité de rembourser les premiers paiements de la rançon est une opportunité en or pour la France pour imposer une « double dette ». Celle-ci est doublée par le fait que « […] l’État haïtien devait effectuer des emprunts auprès des banques françaises. Le montant représentait dix années de recettes fiscales d’Haïti », témoigne l’auteur Alain Saint-Victor.

C’est ainsi qu’en 1880, la Banque Nationale d’Haïti est créée. Celle-ci est plutôt une extension de la banque française de l’époque, le Crédit Industriel et Commercial. Contrôlée depuis Paris, chaque transaction au sein du pays enrichit les coffres forts d’outre-mer où l’État haïtien doit payer des commissions sur chaque transaction effectuée à la Banque Nationale d’Haïti. Commence ainsi, le siphonnage du Trésor public d’Haïti, l’endettement majeur du pays prit au sein du piège de la double dette et l’entrave de la construction de la nation pourtant indépendante.

L’instrumentalisation de la paysannerie

La présidence de Boyer met alors en place le Code rural d’Haïti de 1826, une « […] conséquence immédiate de l’ordonnance de 1825, afin d’organiser le pays et d’utiliser la paysannerie pour payer la dette et s’enrichir »,rappelle Georges Eddy Lucien. Cette nouvelle réforme agraire répressive réduisait la vie de la population paysanne à son devoir instrumentalisé de production.

90 % des « nouveaux libres », ainsi qu’était désignée la population à l’époque, étaient issus de la paysannerie. C’est grâce aux exportations du café produit par la classe agricole « […] avec des niveaux de taxations de plus de 42 %, qu’e » Haïti va payer la dette. […] La paysannerie haïtienne produit de la valeur comme l’abeille produit du miel. C’est [elle] qui a payé cette dette », explique l’historien et auteur Frantz Voltaire.

Au fil du temps, plusieurs mouvements de résistance seront mis en échec, un grand nombre de la paysannerie perdront la vie au prix du travail forcé, pendant que l’élite du pays se remplissait les poches aux côtés de la France.

La domination écrasante de Wall Street

Le prix de l’indépendance d’Haïti depuis l’ordonnance française de 1825 positionne ainsi le pays au sein d’un État néocolonial où le pays se retrouve à la merci des intérêts économiques de l’ancienne métropole. « Donc ce n’est pas un État qui travaille pour le développement du pays, mais c’est un État qui a été dominé par l’extérieur et qui satisfait les besoins de l’extérieur », martèle l’auteur Alain Saint-Victor. C’est sans oublier les cicatrices au sein de la population haïtienne de la domination américaine qui a perduré pendant 19 ans.

Lors de l’invasion américaine en 1914, huit Marines s’approprient 500 000 dollars de la réserve d’or de la Banque Nationale d’Haïti afin de les déposer dans les banques de Wall Street. Sous prétexte de réaliser une mission civilisatrice, les États-Unis occupent militairement le pays de 1915 à 1934 où la rançon bascule maintenant sous l’administration de la National City Bank.

Au cours de cette période, extorsion, corruption, travail forcé, assassinats, famine et plus encore ont renforcé la domination coloniale française et américaine au pays. « Il n’y a rien au monde qui peut remplacer ce que Haïti a perdu pendant la période coloniale […] après l’ordonnance de 1825 et lorsqu’on a pris la réserve d’or pendant l’occupation américaine […] », souligne Georges Eddy Lucien.

Une plaie ouverte

C’est en 1947 que la population haïtienne s’est enfin libérée des chaînes de la rançon. Ayant « […] passé son temps à payer la dette, Haïti a mis plus de 120 ans à payer la dette. On parle aujourd’hui de l’équivalent de plus de 22 milliards de dollars », explique Frantz Voltaire.

Haïti fut ainsi le seul pays à payer pendant plusieurs générations le prix de son indépendance à ses anciens esclavagistes dans l’histoire de l’humanité. Marqué au fer rouge par ces siècles d’extorsion économiques, le pays sous-développé subit encore les conséquences radicales de la rançon qui ont mutilé la construction de la nation haïtienne ainsi que sa population.

Deuxième partie : L’heure de la réparation et de la restitution