Haïti, le scandale sexuel d’Oxfam, un tournant pour l’humanitaire
Gotson Pierre, AlterPresse, 22 février 2018
Le scandale sexuel qui éclabousse l’Organisation non gouvernementale (Ong) Oxfam, suite aux abus commis contre les femmes par les employés de la branche britannique de l’organisation en Haïti à la suite du séisme de 2010, représente un tournant pour l’humanitaire.
Des prostituées avaient été engagées, par des employés d’Oxfam, pour participer à des moments de débauche, dans des logements et des hôtels, payés avec l’argent de l’Ong, selon un rapport d’enquête interne datant de 2011, et remis le 19 février au gouvernement haïtien, avec des excuses à l’endroit de la population.
Il est vrai que la prostitution existe depuis la nuit des temps et partout, mais cette dernière ne saurait être perçue comme un rapport d’égal à égal. Dans la prostitution, il y a toujours un dominant et un dominé. Surtout dans le contexte historique et culturel haïtien.
Au lendemain du tremblement de terre, étant donné la détresse et la vulnérabilité des centaines de milliers de sinistrés, il est inacceptable que la main qui distribue l’aide humanitaire soit aussi celle qui entraine les femmes vers la prostitution, une situation totalement dégradante.
En fait, c’est un cas typique où la prostitution exprime un rapport de pouvoir, où l’aide humanitaire elle-même constitue un instrument de domination d’un individu sur un autre.
Après cet épisode, faut-il mettre à la porte les Ong ?
Il ne s’agit pas, tout au moins pour le moment, de rejeter la présence des Ong, dans un pays comme Haïti où l’État ne montre pas la volonté de prendre ses responsabilités. L’aide humanitaire et, surtout, l’aide au développement sont utiles, même si la réalité montre qu’aucune aide n’a jamais développé aucun pays.
En fait, il faut beaucoup plus pointer du doigt la manière dont les ONGs s’insèrent dans notre réalité, leur niveau de respect ou non de l’éthique de l’humanitaire ou du développement, que leur présence elle-même.
Ce qu’on critique, c’est que trop souvent la pratique de certaines Ong s’aligne sur les mécanismes de domination du Nord sur le Sud, fait abstraction du contexte socio-culturel local et ignore l’expérience et les compétences locales, comme on l’a vu avec beaucoup plus d’emphase au lendemain du séisme en Haïti. Le résultat a été catastrophique.
Quelle prise en compte de la dimension de genre dans l’humanitaire ?
Depuis quelque temps, le respect de l’égalité entre hommes et femmes est devenu un baromètre de bonnes pratiques au niveau de l’action de la plupart des Ong. On évalue la place des femmes au niveau de la hiérarchie institutionnelle, leur niveau de participation dans la mise en oeuvre des projets et le bénéfice qu’elles tirent des programmes réalisés.
Force est de reconnaître que la démarche est limitée et même cosmétique si elle ne promeut pas ou n’impose pas une éthique des relations humaines égalitaires et justes, basée sur des normes dont le respect peut être vérifié à tout instant et dont la violation entraine des conséquences.
L’indignation à la dimension de la notoriété d’Oxfam
Suite à la révélation des abus sexuels des employés d’Oxfam en Haïti en 2010, la déception et l’indignation sont d’autant plus grandes que les rapports, plaidoyers et programmes d’Oxfam faisaient autorité. Il faut se rappeler l’accompagnement fourni à des campagnes, comme celles sur la souveraineté alimentaire, le trafic des armes légères, la question des mines, qui sont des problématiques cruciales en Haïti.
Oxfam aura fort à faire pour rétablir sa crédibilité et assurer que les employés qui agissent sous son label sont ceux et celles qui respectent la philosophie institutionnelle. Ceci exige, bien entendu, une capacité à sanctionner les dérives, qui est loin d’être – on s’en rend compte maintenant – celle que nous avons constatée après le séisme de 2010 en Haïti.