Oxfam, janvier 2021
La pandémie de COVID-19 a été comparée à une radiographie qui révélerait des fractures dans le fragile squelette des sociétés que nous avons construites. Elle fait ressortir les aberrations et les contre-vérités que l’on entend partout : le mensonge selon lequel le libre-échange peut permettre de fournir des soins de santé à toutes et à tous, la fiction selon laquelle le travail non rémunéré qui consiste à apporter des soins à autrui n’est pas un travail, l’illusion de croire que nous vivons dans un monde post-raciste, le mythe selon lequel nous sommes tous dans le même bateau. Car si nous naviguons tous dans les mêmes eaux, il est clair que certains sont dans des méga-yachts tandis que d’autres s’accrochent aux débris qui dérivent. »
– Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies1
La pandémie de COVID-19 marquera l’Histoire pour avoir emporté plus de deux millions de vies dans le monde et pour avoir plongé des centaines de millions de personnes dans le dénuement et la pauvreté.
L’Histoire se souviendra aussi probablement de la pandémie comme de la première fois où les inégalités ont augmenté simultanément dans la quasi-totalité des pays du monde depuis que ce type de données est enregistré.
Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont tous exprimé leur vive préoccupation que la pandémie exacerbe les inégalités partout dans le monde, avec des effets profondément destructeurs.
L’impact sera profond […] avec des inégalités croissantes provoquant des bouleversements sociaux et économiques : une génération perdue pour les années 2020 avec des séquelles qui perdureront pendant plusieurs décennies ». Kristalina Georgieva, Directrice générale du FMI 2
Ce point de vue est étayé par une enquête d’Oxfam menée auprès de 295 économistes dans 79 pays3, notamment certain-e-s des plus éminent-e-s économistes du monde, à l’image de Jayati Ghosh, Jeffrey Sachs et Gabriel Zucman. 87 % des répondant-e-s ont déclaré s’attendre à ce que les inégalités de revenus dans leur pays s’intensifient ou s’intensifient fortement du fait de la pandémie. Cela incluait des économistes dans 77 des 79 pays couverts par l’enquête. Plus de la moitié des répondant-e-s considéraient également probable ou très probable que les inégalités de genre augmentent, et plus des deux tiers partageaient aussi cet avis concernant les inégalités raciales. Les deux tiers ont par ailleurs déclaré avoir le sentiment que leur gouvernement n’avait pas de programme en place pour lutter contre les inégalités.
Les inégalités qui explosent :
- Les 1 000 milliardaires les plus fortunés ont retrouvé le niveau de richesse qui était le leur avant la pandémie en seulement neuf mois4, alors qu’il faudra 14 fois plus de temps aux personnes les plus pauvres pour se relever des impacts économiques du coronavirus, soit plus d’une décennie.
- Les richesses accumulées par les 10 milliardaires les plus riches depuis le début de la crise seraient amplement suffisantes pour éviter que quiconque sur notre planète ne sombre dans la pauvreté à cause du virus et pour financer le vaccin contre la COVID-19 pour toutes et tous.
- Dans le monde, les femmes sont surreprésentées dans les secteurs de l’économie les plus durement touchés par la pandémie. Si le taux de représentation des femmes était le même que celui des hommes dans ces secteurs, 112 millions de femmes ne seraient plus exposées au risque de perdre leurs revenus ou leur emplois.
- Au Brésil, les personnes afrodescendantes sont 40 % plus susceptibles de mourir de la COVID-19 que les personnes blanches. Avec un taux de mortalité identique à celui des communautés blanches, la population afrodescendante aurait déploré 9 200 morts de moins entre le début de la crise et juin 2020. Aux États-Unis, les personnes latino-américain-e-s et les personnes noires sont davantage susceptibles de mourir de la COVID-19 que les personnes blanches. Avec un taux de mortalité identique à celui des personnes blanches, les populations noires et latino-américaines auraient déploré 22 000 morts de moins depuis le début de la crise.
- D’après les calculs de la Banque mondiale, si les pays interviennent sans attendre pour réduire les inégalités, la pauvreté pourrait redescendre à son niveau d’avant la crise en seulement trois ans, contre plus d’une décennie sans action immédiate13.
La façon dont l’Histoire retiendra ce que les gouvernements ont mis en place face à la pandémie est un chapitre qui reste à écrire. Les gouvernements du monde entier ont une fenêtre d’opportunité étroite (et qui s’amenuise) pour créer une économie juste après la COVID-19. Une économie plus égalitaire et inclusive, qui protège la planète et éradique la pauvreté.
Pour cela, ils doivent réformer de toute urgence le système économique actuel qui exploite et exacerbe le patriarcat, le suprémacisme blanc et les principes néolibéraux. Un système qui a généré des inégalités, une pauvreté et des injustices extrêmes et qui n’a pas du tout préparé notre monde à affronter la crise lorsqu’elle a frappé. Plus que jamais, les gouvernements ont à leur disposition des idées réalistes et qui relèvent du bon sens pour façonner un avenir meilleur. Ils ne doivent manquer cette opportunité sous aucun prétexte.