Les BRICS+ ne seront pas l’alternative à l’hégémonie américaine

15e sommet des BRICS @ Domaine public via Wikicommons

Nina Morin

« Le système [international est semblable à] l’Afrique du Sud de l’apartheid où la minorité décide pour la majorité, rien n’a changé aujourd’hui sur la scène mondiale ». Anil Sooklal, ambassadeur d’Afrique du Sud auprès des BRICS

L’alliance des pays du Sud global « BRICS » a, pour la première fois, accueilli cinq nouveaux membres et compte doter sa Nouvelle Banque du Développement d’un capital de 100 milliards de $US. Le groupe, désormais appelé BRICS+, souhaiterait s’imposer comme alternative à l’hégémonie en déclin des États-Unis et du dollar, sur fond de tensions internationales grandissantes.

C’est sur cette comparaison grossière que les BRICS ont annoncé l’ajout de cinq nouveaux membres, une première depuis l’officialisation du groupe en 2011. Alors que 23 pays avaient postulé pour faire partie des BRICS, seuls l’Arabie Saoudite, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran et les Émirats arabes unis ont été retenus pour se joindre aux BRICS le 1er janvier 2024.

Les aspirations des BRICS+

Les BRICS ont tiré parti du déclin de l’hégémonie américaine, amorcé avec l’échec de la guerre contre le terrorisme et la crise financière internationale. Ce déclin se poursuit aujourd’hui, alors que les États-Unis s’enlisent dans leur relation avec Israël et que l’Europe peine à repousser la Russie en Ukraine. Les BRICS+ ont sauté sur l’occasion pour étendre et consolider leur front, qui se présente comme plus uni que jamais et déterminé à s’imposer sur la scène mondiale.

L’ambassadeur sud-africain pour le bloc résume ces ambitions, à la veille du sommet d’août 2023 : « Nous ne voulons pas qu’on nous dise ce qui est bon pour nous, nous voulons que les lignes de faille de l’architecture de la gouvernance mondiale actuelle soient redessinées, réformées, transformées. […] nous voulons participer au processus de création d’une communauté mondiale plus équitable, inclusive et multipolaire […] » (Ismail, 2023)

Objectif commun ou mise en commun d’objectifs nationaux ?

Si les critères formels pour devenir membre des BRICS+ exigent que le pays candidat soutienne le multilatéralisme et une réforme globale de l’ONU, pour Christophe Ventura, les BRICS+ ne sont pas encore une plateforme contre l’hégémonie, mais plutôt un instrument de négociation avec les puissances occidentales. Il ne cherche pas à rompre le système, mais plutôt à le moderniser afin qu’il lui profite aussi. « Les BRICS+ souhaitent avant tout obtenir une place plus importante dans le système actuel et que leurs demandes soient prises en considération », affirme le directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Paris) et journaliste au Monde diplomatique.

Une étude réalisée sur 47 questions politiques entre 2009 et 2021, révèle une convergence croissante entre les politiques des BRICS et des États-Unis (Papa et al., 2023). « Tous ont fait le choix du capitalisme et du libre-échange », ajoute Martine Bulard, journaliste à Orient XXI, ex-rédactrice en chef adjointe au Monde diplomatique. « Ce qui motive chaque pays, ce sont leurs intérêts nationaux. Dans ce cadre, certains peuvent s’allier, mais il n’est pas possible de dépasser certaines limites » conclut-elle. Elle décrit le groupe comme un système d’alliance fluide dans lequel chacun peut s’allier sur ce qu’il veut, quand il veut.

Un nouvel impérialisme en Afrique

La Russie et la Chine se positionnent depuis plusieurs années déjà comme deux des plus gros investisseurs en Afrique, et pendant un certain temps, une partie de la population et des dirigeants africains ont cru à leur discours d’émancipation. Mais, avec notamment les résistances comme la domination française, la contestation contre l’hégémonie occidentale devient de plus en plus forte et la présence de la Russie et la Chine est vue davantage comme une forme de néo-colonialisme.

Pour James William Gbaguidi, journaliste et porte-parole de l’Assemblée nationale du Bénin : « Les BRICS aspirent à remplacer les grandes puissances occidentales, mais pas nécessairement en adoptant une approche différente. Leur objectif est de dominer le marché international. ». Pour les pays africains, il y a peu à gagner, car cela reviendrait à chasser un impérialisme pour le remplacer par un autre.Gbaguidi nuance tout de même son propos : « La Chine représente une opportunité d’investissement pour les pays africains, à condition qu’ils s’en servent pour lancer un vrai processus de développement. Si l’État en profite réellement, l’endettement n’est plus un si grand problème. ».

Le plus important, pour lui, est la crédibilité des institutions, il faut pouvoir leur faire confiance afin de mettre en place des politiques de développement efficaces. « Mais les pays africains ne sont toujours pas assez bien gouvernés et sont trop instables pour qu’il soit possible de faire confiance aux gouvernements », dit Gbaguidi.


Références

Ismail, S. (2023, août 22). BRICS : A ‘stalled acronym’ or champion of the Global South? Al Jazeera. https://www.aljazeera.com/economy/2023/8/22/can-brics-end-apartheid-against-the-global-south

Papa, M., Han, Z., & O’Donnell, F. (2023). The dynamics of informal institutions and counter-hegemony : Introducing a BRICS Convergence Index. European Journal of International Relations, 29(4), 960‑989. https://doi.org/10.1177/13540661231183352


Article écrit à l’occasion du webinaire organisé par le Centre Tricontinental (CETRI) en parallèle à la sortie du numéro BRICS+: une alternative pour le Sud global? dans la collection Alternatives Sud, avec comme panélistes Martine Bulard: journaliste à Orient XXI, ex-rédactrice en chef adjointe au Monde diplomatique; Agnès Adélaide Metougou: consultante et militante camerounaise (PFIAD), CADTM Afrique; Christophe Ventura: directeur de recherche à l’IRIS (Paris) et journaliste au Monde diplomatique; James William Gbaguidi: journaliste, Assemblée nationale du Bénin; Modération : Laurent Delcourt, CETRI, qui a coordonné BRICS+ : une alternative pour le Sud global ?