Adam Khalil, Chronique palestinienne, 8 janvier 2021
Israël s’est vanté de surpasser les autres pays avec sa campagne de vaccination contre le virus Covid-19, plus de 12 % de sa population ayant reçu la première de deux injections depuis décembre.
Pfizer se vend au plus offrant
Le pays cherche à être le premier au monde à réussir à se libérer de la Covid-19, en faisant monter les enchères pour obtenir un accès prioritaire au vaccin – car des informations ont circulé indiquant qu’Israël a versé 62 dollars par dose, alors que son coût aux États-Unis ne dépasse pas 20 dollars.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a vanté cette « réussite », l’attribuant à sa relation privilégiée avec le fabricant de vaccins Pfizer.
Mais le virus continue de faire de nombreuses victimes en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza sous blocus. Mercredi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a enregistré un total de plus de 162 000 cas dans les territoires occupés, dont 1663 décès.
Israël a été critiqué par les organisations de défense des droits de l’homme pour avoir fui ses responsabilités en tant que puissance occupante – telles qu’elles sont définies par le droit international – non seulement en ne fournissant pas de vaccins aux cinq millions de Palestiniens vivant dans les territoires occupés, mais aussi en ignorant les risques encourus pour la vie des prisonniers palestiniens.
Pour les Palestiniens, le « succès » tant vanté de la campagne de vaccination israélienne est devenu un autre rappel douloureux du vaste fossé séparant les Israéliens des Palestiniens sous occupation.
Se battre pour obtenir le vaccin
Nader Abu Sharkh, professeur d’histoire à Gaza, avait initialement sous-estimé la gravité de la pandémie, jusqu’à ce que sa mère âgée de 60 ans soit diagnostiquée avec le Covid-19 il y a un mois.
Depuis lors, Abu Sharkh a suivi de près le développement des vaccins dans le monde entier, et « les chances que nous puissions en obtenir, nous les Palestiniens ».
« Israël est fier de vacciner ses citoyens, alors que nous sommes accablés par nos inquiétudes et nos divisions », dit-il à Middle East Eye. « Les pays du monde et Israël annoncent clairement leurs plans et taux de vaccination, et tout ce qui concerne les moyens de lutter contre le virus, mais malheureux que nous sommes… nous ne savons rien ».
La ministre de la santé de l’Autorité palestinienne (AP), Mai Kaileh, a annoncé il y a quelques jours à la radio la Voix de la Palestine qu’elle avait signé un contrat avec un fabricant de vaccins, mais que celui-ci était en attente d’approbation par le gouvernement.
Mme Kaileh a déclaré qu’elle s’attendait à ce que le vaccin soit disponible avant février, et que la priorité serait donnée au personnel médical, en particulier celui qui travaille dans les unités de soins intensifs, les laboratoires et les centres de détection du coronavirus.
Mais une source au ministère de la santé a déclaré que la société avec laquelle l’AP a passé un contrat pour environ deux millions de doses de vaccins n’avait pas encore obtenu le label de l’OMS, ce qui signifie que la distribution du vaccin à la date fixée par le ministre ne sera pas tenue.
L’Autorité palestinienne avait initialement parié sur l’achat du vaccin russe, mais Moscou a renoncé à vendre le vaccin à l’étranger, affirmant qu’il n’y avait pas de quantités suffisantes pour l’exportation.
Le chef du bureau de l’OMS à Gaza, Abdel Nasser Subuh, a déclaré à MEE que les premières doses à atteindre les territoires palestiniens passeraient probablement par le programme Covax de son organisation, qui fournit des vaccins pour les régions qui ne peuvent pas les financer.
Le programme Covax doit commencer après la mi-février, sans calendrier précis pour sa distribution dans les territoires occupés.
Alors que M. Subuh a déclaré que la priorité serait donnée aux personnes âgées et à celles souffrant de maladies chroniques, on estime que les personnes de plus de 65 ans ne représentent qu’environ 3% des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Cela a fait craindre à certains que seuls de petits lots de vaccins seront fournis.
Les obligations légales d’une puissance occupante
L’écart entre Israël et les territoires occupés en matière de vaccination a une fois de plus soulevé de fortes critiques.
« Le programme de vaccination Covid-19 d’Israël met en évidence la discrimination institutionnalisée qui caractérise la politique du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens », a déclaré dans un communiqué publié mercredi Saleh Hijazi, directeur régional adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Alors qu’Israël se vante d’une campagne de vaccination record, des millions de Palestiniens vivant sous occupation israélienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne recevront pas de vaccin ou devront attendre encore longtemps – on ne pourrait pas mieux illustrer la façon dont les vies israéliennes sont considérées comme ayant plus de valeur que les vies palestiniennes ».
Les organes de presse israéliens ont rejeté les accusations selon lesquelles le pays s’engagerait dans un « apartheid médical », affirmant que de telles critiques relèvent de l’antisémitisme, et prétendant que puisque l’AP ne demande pas officiellement d’aide pour obtenir le vaccin, Israël n’a aucune responsabilité dans la fourniture d’un soutien médical aux Palestiniens dans le cadre des accords d’Oslo de 1993.
Mais la quatrième Convention de Genève stipule que les puissances occupantes ont la responsabilité de maintenir « les établissements et services médicaux et hospitaliers, la santé publique et l’hygiène dans le territoire occupé, notamment en ce qui concerne l’adoption et l’application des mesures préventives nécessaires pour combattre la propagation des maladies contagieuses et des épidémies ».
Alors qu’Israël souligne souvent que l’existence de l’AP l’affranchit de ses obligations de pourvoir aux besoins des Palestiniens dans les territoires occupés, l’administration palestinienne n’a en fait qu’une autorité très limitée dans certaines zones de la Cisjordanie et reste dépendante de la coordination avec Israël pour nombre de ses fonctions les plus essentielles.
Mais plusieurs organisations palestiniennes et israéliennes de défense des droits de l’homme – dont le Centre Al Mezan pour les droits de l’homme, Adalah et Gisha – ont rétorqué qu’Israël ne pouvait pas se soustraire à ses responsabilités telles qu’elles sont définies par les Conventions de Genève.
« Israël est obligé en tant que puissance occupante et en vertu du droit international, de fournir aux Palestiniens des doses de vaccin de la même qualité que celle qu’il donne à ses citoyens », a déclaré à MEE le directeur adjoint d’Al Mezan, Samir Zaqout.
Le sort des Palestiniens emprisonnés en Israël a été une source de préoccupation particulière, car les cas de contamination se sont multipliés, et les médias israéliens ont rapporté le mois dernier que le ministre israélien de la sécurité publique, Amir Ohana, a ordonné à l’administration pénitentiaire de l’occupant de ne pas vacciner les prisonniers palestiniens.
Le 24 décembre, Ohana a lancé la campagne de vaccinations des employés de l’administration pénitentiaire, mais pas des prisonniers eux-mêmes.
« Il existe un état de peur et d’anxiété pour la vie des prisonniers, au vu de la propagation rapide du coronavirus dans les prisons », a déclaré à MEE Ahmed al-Mudallal, un porte-parole du Comité des prisonniers palestiniens. « Cette propagation est le résultat du manque de moyens de prévention et de fourniture de médicaments, en plus d’empêcher l’entrée des médecins et des spécialistes, et de ne pas permettre la vaccination à l’intérieur des prisons ».
Selon la Société des Prisonniers Palestiniens (PPS), le nombre de Palestiniens incarcérés infectés par le coronavirus dans les prisons israéliennes est d’environ 200, sur un total estimé de 4400 Palestiniens actuellement détenus.
Gaza en danger
Zaqout a accusé Israël de pratiquer la « discrimination raciale » contre les Palestiniens – Gaza étant particulièrement vulnérable.
« La responsabilité d’Israël est encore plus forte à Gaza, car ce territoire est soumis à un blocus étouffant depuis 14 ans », explique Zaqout à MEE. « Cela impose à Israël des obligations en vertu du droit international et même israélien, et il a la responsabilité de préserver la santé et la sécurité de deux millions de Palestiniens ».
Les installations médicales dans l’enclave palestinienne étaient déjà fortement mises sous pression avant la pandémie, et l’apparition du virus n’a fait qu’aggraver la situation.
Bien que le virus ait touché Gaza tardivement, il s’est largement répandu à la fin août.
Pour recevoir le vaccin, le mouvement Hamas, qui administre la bande de Gaza depuis 2007, dépend des décisions prises par l’Autorité palestinienne, elle-même basée en Cisjordanie. En attendant, toutes les marchandises entrant à Gaza par des points de passage du côté israélien doivent être autorisées par l’occupant israélien.
Le directeur adjoint des soins de première urgence du ministère de la santé de Gaza, Majdi Duhair, explique qu’il y avait une coordination avec l’AP et l’OMS, soulignant à la radio Al-Quds basée à Gaza que les responsables dans l’enclave assiégée travaillaient avec plusieurs parties pour accélérer l’arrivée du vaccin d’ici février.
Selon les données du ministère de la santé à Gaza, ses entrepôts manquent de 44% des médicaments, 35% des équipements médicaux, tandis que 65% du matériel de laboratoire est épuisé.
Zaqout a déclaré à MEE que les restrictions imposées par Israël à Gaza « affectent le système et les infrastructures de santé… les équipements médicaux et les éléments de rechange pour les appareils médicaux étant classés parmi les articles qu’Israël définit comme étant à double usage, empêchant ainsi leur entrée dans la bande de Gaza assiégée ». ***
Dans un contexte préexistant aussi désastreux, avant la pandémie mondiale, les groupes de défense des droits continuent d’appeler Israël à agir.
« Depuis plus d’un demi-siècle d’occupation et d’application d’un système de discrimination institutionnalisée dans les [territoires palestiniens occupés], dont Jérusalem-Est, Israël a privé les Palestiniens de leurs droits fondamentaux et a commis des violations massives des droits de l’homme », a écrit Amnesty International mercredi.
« La pandémie de Covid-19 et le manque d’accès équitable aux vaccins n’ont fait qu’amplifier la discrimination et l’inégalité auxquelles est confrontée la population palestinienne ».