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Entrevue avec Sébastián Vielmas par Laila Abed Ali, correspondante en stage
Le Chili s’apprête à vivre un second tour décisif le 14 décembre, après un premier scrutin marqué par la montée de la droite et l’arrivée massive d’un électorat additionnel grâce au vote obligatoire. Dans ce contexte en changement, mais porteur de possibilités, nous avons rencontré Sébastián Vielmas*, militant du Frente Amplio installé au Québec, afin d’analyser les espoirs que porte encore la gauche chilienne.
Un nouveau contexte électoral
Un élément fondamental distingue cette élection des précédentes. Pour la première fois, la présidentielle se déroulait avec un vote obligatoire. Environ six millions de personnes, soit près de 40 % de l’électorat, qui ne votaient pas auparavant, ont été ramenées aux urnes. Ce changement modifie profondément le paysage politique et explique en grande partie certains résultats inattendus, selon Sebastian.
Depuis 2019, le Chili vit les effets des grandes mobilisations qui avaient dénoncé les fortes inégalités du modèle économique. Ces protestations ont lancé un processus constitutionnel qui a d’abord laissé croire à un virage à gauche. Cependant, lorsque la droite a proposé à son tour une nouvelle Constitution, qui fut aussi rejetée, il est devenu évident que la population ne voulait ni d’un projet très progressiste ni d’un projet conservateur. Selon l’intervenant, cela traduit surtout une fatigue générale face à ces débats.
En parallèle, beaucoup ont l’impression que la sécurité publique se détériore. La présence plus visible de réseaux criminels venus de l’international renforce cette inquiétude, même si le phénomène n’est pas nouveau. Les crises sécuritaires dans des pays voisins, comme l’Équateur, contribuent aussi à augmenter la peur au Chili.
L’ascension d’une figure antisystème
Le vote obligatoire a également ouvert la porte à un autre phénomène important. Le troisième candidat, Franco Parisi, a obtenu un soutien significatif. Sébastián le décrit comme un populiste antisystème qui ne répond pas aux catégories traditionnelles de gauche ou de droite, même si ses positions penchent plutôt vers la droite. Il attire un électorat très diversifié, particulièrement parmi les nouvelles personnes votantes.
Le gouvernement de Gabriel Boric souffre également d’une popularité limitée, autour de trente-cinq pour cent. Les attentes étaient immenses lorsqu’il a été élu dans un contexte de refondation constitutionnelle. Le gouvernement a dû s’adapter au cadre institutionnel actuel, ce qui a rendu irréalistes certaines ambitions initiales. Même s’il n’a pas échoué, il n’a pas répondu à toutes les attentes en matière de sécurité, de santé ou d’habitation, ce qui a contribué à un certain mécontentement du peuple.
L’activiste a également évoqué un sentiment répandu selon lequel les personnes immigrantes bénéficieraient de traitements préférentiels pour accéder à certains droits sociaux. Il précise toutefois que, dans les faits, les migrants sont souvent les principales victimes de la criminalité. Leur précarité les rend vulnérables à des réseaux criminels provenant parfois de leurs pays d’origine. Pour lui, la droite instrumentalise ces situations, alors que les explications sont plus complexes.
Une gauche affaiblie, mais toujours capable de se mobiliser
La gauche n’est pas divisée, mais plutôt affaiblie, pour Sébastián. La clé pour relancer une dynamique populaire réside selon lui dans la capacité à écouter l’électorat de Franco Parisi et à comprendre les raisons profondes de leur insatisfaction. Cette colère n’est pas idéologique. Elle exprime un décalage entre les attentes sociales et les réponses institutionnelles. Adapter le discours et renouer avec cette population constitue une piste prometteuse pour l’avenir.
Une résistance solide en cas de victoire de Kast
La capacité du Chili à résister à un éventuel gouvernement de Kast reste entière pour l’analyste. Le pays possède un tissu social organisé et une société civile dynamique. S’il arrivait au pouvoir, une opposition institutionnelle et une mobilisation populaire se mettraient rapidement en place. Le cadre institutionnel chilien ne permet pas des changements radicaux sans passer par le Parlement, où une minorité de gauche peut bloquer des transformations trop profondes.
L’enjeu principal n’est pas seulement de résister dans l’immédiat, mais plutôt de trouver le moyen d’éviter cette alternance constante où les gouvernements se succèdent sans réussir à répondre aux attentes de la population.
Le principal enjeu de cette élection pour la gauche est de revoir sa lecture du pays. On aurait pu croire, après 2019, que le Chili était devenu un pays de gauche, alors que les mobilisations reflétaient plutôt un moment d’opportunité politique. On peut penser que la droite fasse la même erreur aujourd’hui en interprétant une éventuelle victoire comme un virage idéologique définitif. Sebastián rappelle que la majorité de la population ne se reconnaît plus dans les étiquettes traditionnelles. Les attentes sont élevées et les réponses doivent être adaptées à ces nouvelles réalités.
Des défis, mais aussi de réels motifs d’espoir
La sécurité reste l’un des enjeux les plus difficiles pour les gouvernements progressistes. Pourtant, l’adepte de la gauche estime que le gouvernement actuel a mis en œuvre les mesures nécessaires pour s’attaquer sérieusement à la criminalité, notamment par la coopération internationale et les enquêtes financières approfondies. Le défi consiste désormais à rendre visibles ces avancées et à lutter contre l’attrait de solutions expéditives comme celles du Salvador, qui ne correspondent pas à la réalité chilienne.
Malgré les difficultés, l’intervenant demeure optimiste. Pour lui, la société civile reste forte, les avancées sociales sont solides et certains sujets, autrefois des terrains de bataille culturelle, ne le sont plus aujourd’hui. Il insiste également sur la capacité de la gauche à se renouveler en tenant compte de l’électorat qui s’était éloigné de la politique.
Le second tour représente un moment important pour réfléchir à ce que la gauche peut proposer pour rassembler plus largement. Ce que vit le Chili est aussi un miroir pour d’autres sociétés en quête de nouvelles formes politiques plus inclusives. Il invite aussi à se questionner ici au Québec sur les dynamiques de faible participation électorale, alors que la population ne se sent plus interpellée par les propositions progressistes.
* Sébastián Vielmas travaille en coopération internationale au Québec. Il milite au sein du Frente Amplio, parti de Gabriel Boric, le président sortant.









