
Claire Comeliau, correspondante en stage
Révéler les responsabilités historiques dans la dépossession des terres palestiniennes, tel est l’objectif de la soirée d’information « De la naissance du sionisme à la Nakba (1897-1949) » qui a marqué le coup d’envoi d’une série de conférences organisées par la coalition du Québec URGENCE Palestine. Dyala Hamzah, descendante d’une famille survivante de la Nakba et Yakov Rabkin, spécialiste de l’histoire du judaïsme, du sionisme et d’Israël ont déconstruit le récit dominant et persistant qui occupe l’espace public, notamment depuis le 7 octobre
Les panélistes rejoignent la réflexion que Rachad Antonius soutient dans son dernier livre « La conquête de la Palestine », leur objectif commun est de recontextualiser les dynamiques coloniales présentes aujourd’hui en Palestine qui furent, en réalité, initiées il y a plus d’un siècle, alors même que le territoire était encore une province de l’Empire ottoman. La soirée a permis de comprendre les responsabilités historiques indéniables des puissances européennes et du mouvement sioniste dans la dépossession des terres palestiniennes. L’ONU, autrice du plan de partage de la Palestine et de l’installation des premières colonies israéliennes, une institution pourtant censée préserver la paix, a en réalité contribué à l’exacerbation des violences subies par la population palestinienne.
Rappelons que l’ouvrage de M. Antonius souligne l’importance de la déclaration Balfour en 1917 qui légitima et accéléra la colonisation de la Palestine sous mandat britannique sans aucune consultation des populations locales. La conférence vient enrichir ce travail en abordant également la période pré-Balfour, nous permettant de comprendre ses tenants et aboutissants. Les débuts du sionisme en Palestine remontent effectivement à la fin du XIXe siècle.
Yakov Rabkin sur l’origine du sionisme

Yakov Rabkin s’attarde justement sur l’origine du sionisme, sa diversité et son expansion. Les premières vagues d’immigration juive furent principalement issues de l’Empire russe. En 1881 l’assassinat d’Alexandre II entraîna une vague de pogroms et l’on assista à un mouvement de radicalisation faisant émerger l’idée d’une société socialiste en Palestine. Une minorité de la population juive inspirée par le marxisme prônait alors la cohabitation entre les peuples arabes et juifs dans un même État. Ce mouvement resta très marginal et ce projet internationaliste ne vit jamais vu le jour.
Par ailleurs, un courant sioniste chrétien joua un rôle clé dans la colonisation de la Palestine. Leur interprétation de l’Ancien Testament considère le retour du peuple juif en Terre sainte comme une étape nécessaire avant la venue du Christ. Ce courant, alors largement répandu en Grande-Bretagne, permet d’expliquer en partie le soutien apporté par ce pays à la Déclaration Balfour en 1917. Aujourd’hui encore, une enquête menée aux États-Unis révèle que 82 % de ce courant sioniste singulier considère qu’Israël fût donné par Dieu au peuple juif, contre 40 % seulement parmi l’ensemble de la population juive américaine.
Les textes bibliques furent souvent réinterprétés par les sionistes pour justifier leur revendication sur la Terre sainte. Pourtant, dès le Ve siècle, une lecture rabbinique interdisait toute tentative de reconquête de la Terre sainte par la violence ou par une immigration massive, considérant que seul Dieu pouvait permettre le retour des juifs.
La déclaration Balfour de 1917 signa ainsi la consécration de l’alliance naturelle entre antisémitisme et sionisme. Balfour permit l’adoption d’une politique hostile à l’immigration de la population juive russe qui cherchait un refuge en Europe occidentale. L’adoption de l’Aliens Act limitait fortement leur entrée en Grande-Bretagne. Quant au mouvement sioniste, il voulait créer un État-nation juif. Ainsi, la déclaration Balfour qui promettait un « foyer national juif en Palestine » fit converger vers le même but les deux points de vue, malgré des raisons opposées. Dès lors, le peuple palestinien, considéré comme un groupe religieux, a disparu d’un point de vue politique.
L’impact de la Nakba pour Dyala Hamzah

Dyala Hamzah, quant à elle, se concentre sur la Nakba, processus d’effacement complet de la personne autochtone. Elle rappelle qu’avec son passé ottoman, la Palestine était une province, au même titre que ses pays voisins, qui eux eurent accès à l’indépendance, comme promis par la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, après la Première Guerre mondiale.
Bien que la Nakba décrit ce qu’il se passa en 1948 avec l’avènement de l’État d’Israël, c’est un processus qui a débuté longtemps avant. Dès la fin du XIXe siècle, les instruments de dépossession se mirent en place avec les premières vagues d’immigration juive sioniste. Mais c’est surtout la création du Fonds national juif en 1901, chargé d’acheter des terres en Palestine au nom du peuple juif, qui institutionnalisa cette dépossession.
Le peuple palestinien, de la paysannerie aux élites intellectuelles, prit immédiatement conscience de l’arrivée hostile de cette population européenne et se mobilisa instantanément. En 1911, des responsables du peuple palestinien appelèrent au secours l’Empire ottoman et exprimaient ses préoccupations quant à la colonisation sioniste qui était en train de se profiler. Mais l’empire, alors surnommé l’homme malade de l’Europe, empêtré dans ses guerres, ne fut pas en mesure de réagir…
Après la Première Guerre mondiale, des associations islamochrétiennes se formèrent encore, exprimant leur refus catégorique de la déclaration Balfour adoptée sans aucune consultation de la population palestinienne. La Commission King-Crane, envoyée en Palestine en 1919 par le président Woodrow Wilson, souligna pourtant dans son rapport que le projet sioniste était clairement réalisé au détriment des populations arabes locales.
À partir des années 20, le mandat britannique se mit en place et les éruptions de violence se multiplièrent. Entre 1936 et 1939, une grande révolte palestinienne contre la colonisation fut écrasée par les Britanniques. Après la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne admit son incapacité à gérer la situation, et le mandat fut transféré à l’ONU. À la veille du plan de partage en 1947, la communauté juive ne possédait que 5,5 % des terres de Palestine, mais elle se vit octroyer 55 % du territoire par l’ONU et en acquît en définitive 78 % lorsque Israël proclama son indépendance en 1948.
La Nakba, un processus
Contrairement au récit dominant, la dépossession du peuple palestinien n’a pas commencé avec le plan de partage de l’ONU en 1947, mais dès la fin du XIXe siècle. La Nakba n’est pas un évènement isolé, mais un processus long et systématique, dont les effets se poursuivent encore aujourd’hui.
C’est pourquoi il est nécessaire de faire connaître cette histoire, longtemps effacée, afin de préserver la mémoire et le combat du peuple palestinien. Un changement de paradigme est indispensable pour déconstruire les récits biaisés et autocentrés, et comprendre les réelles origines du conflit israélo-palestinien et de ce qui s’apparente aujourd’hui à un génocide. L’histoire dévoile ainsi une répétition des logiques de violence systémique et coloniale du Nord envers le Sud.
Prochaine soirée d’information de la Coalition du Québec URGENCE Palestine : 12 mars à 19h
« De la naissance du sionisme à la Nakba (1897-1949) » était donc la première de cinq soirées d’information présentées par la Coalition du Québec URGENCE Palestine sur l’histoire de la dépossession du peuple palestinien, les enjeux géopolitiques qui l’ont traversée, la constance de la complicité du Canada, et les mouvements de la résistance palestinienne.
Ces soirées sont offertes par webinaire ET en présentiel à la salle A-4180, Département de géographie, UQAM, Montréal.
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