Marie Nassif-Debs (présidente d’Egalité – Wardah Boutros pour l’action féminine), 14 mars 2021)
Présentation à l’occasion d’une rencontre pour célébrer à Beyrouth la Journée internationale des Femmes,
Le problème du travail domestique n’est pas nouveau, ni au Liban ni à travers le monde ; et les violences subies par les travailleurs, les femmes notamment, a été, depuis l’antiquité, un des points repères d’un grand nombre d’historiens et d’écrivains éclairés qui ont attiré l’attention sur ce problème… Tantôt appelé esclavage ou, encore, travail contre salaire, il n’en reste pas moins que ce genre de travail a toujours été lié en particulier aux peuples du Sud de la planète qui en ont pâti depuis les premières colonisations et qui continuent à en pâtir à cause de la pauvreté dans laquelle ils vivent parce que leurs ressources naturelles leur sont soutirées par ce même colonialisme revenu sur le terrain sous forme de sociétés multinationales et transnationales.
Le Liban, il faut le dire, n’entre pas dans le club de ces pays riches et conquérants. Cependant, et bien qu’il soit un petit pays, une grande partie de sa population avait pris, depuis la seconde moitié du XIXème siècle, le chemin de l’émigration vers les Amériques, mais aussi et surtout vers l’Afrique et, plus tard, le Golfe arabique; et cette population d’émigrants a rapporté des fortunes au pays, ce qui a permis, à partir de la seconde guerre mondiale, aux familles riches (de la bourgeoisie et des restes de la féodalité) de se procurer l’aide de travailleuses et travailleurs domestiques venus surtout des pays voisins. Ce n’est que durant la deuxième moitié du XXème siècle, et plus précisément durant les années quatre-vingt-dix, que le recours au travail domestique s’est propagé, notamment parmi les familles appartenant à la classe moyenne, puisque les statistiques du Ministère du travail au Liban rapportent, pour la période de 1991 et 2014, la venue de 245000 travailleurs domestiques, des femmes en majorité.
Des Sri Lankaises, d’abord, mais aussi des Philippines, suivies bientôt par des femmes africaines, venues surtout de l’Ethiopie et de Madagascar, et d’autres femmes asiatiques, telles les Népalaises… Sans oublier les travailleuses syriennes et palestiniennes. Un commerce lucratif s’est installé autour de cette main – d’œuvre sous – payée, maltraitée pour la plupart, et qui avait besoin d’un « garant » pour avoir le permis de résidence au Liban. « Garantie » qui se vendait cher parfois…
Il faut dire que l’article 7 de la Loi du travail dans notre pays, promulguée en 1946, interdit aux travailleurs et travailleuses domestiques, ainsi qu’aux maçons, aux ouvriers agricoles et aux pêcheurs le droit de se syndicaliser et, surtout, de profiter du code du travail. Ce qui fait que ces quelques centaines de milliers de femmes, venues de loin pour travailler et subvenir aux besoins de leurs familles, se trouvaient dans des situations insupportables, tant sur le plan de la loi que sur le plan de la vie de tous les jours.
Cette situation a poussé, à partir de 2010, la Fédération nationale des ouvriers et employés au Liban (Fenasol) à prendre contact avec ces travailleurs, surtout les femmes, les poussant à former des comités de coordination selon les nationalités différentes. Puis, à la suite de la centième conférence générale de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et de la promulgation par cette conférence de la Convention n° 189 qui s’applique à tous les « travailleurs de genre féminin ou masculin exécutant un travail domestique dans le cadre d’une relation de travail » et qui appelle à la protection de ces travailleuses et travailleurs, la Fenasol a contacté, en 2014, des organisations de femmes (dont l’association Egalité – Wardah Boutros) et d’autres ONG œuvrant dans le domaine des droits des femmes afin de l’aider à organiser ce secteur et, surtout, à développer les capacités de ces femmes et à les former à l’activité syndicale. Il faut aussi dire que le bureau de l’OIT à Beyrouth a été et est toujours très coopératif à ce propos.
Durant les quatre années suivantes, et les réunions nombreuses ont abouti à former des centaines de femmes de tous les pays, dont 300 ont été choisies afin de constituer un Comité fondateur du syndicat des travailleuses domestiques, suite à quoi une demande fut présentée au Ministère du travail libanais suivie de la tenue, le 25 janvier 2015, d’un congrès fondateur auquel ont assisté les représentants de l’OIT ainsi que des représentants d’organisations syndicales arabes et internationales. Le gouvernement libanais fut représenté par le directeur général de la sureté nationale.
Et ainsi, malgré les menaces du ministre du travail d’interdire la tenue du congrès, celui –ci a pu élire un comité directeur, comme il a pu aussi promulguer les statuts et le programme de lutte du syndicat, ou plutôt du Premier syndicat regroupant des femmes exécutant un travail domestique dans le Monde arabe.
Cependant, il nous faut dire que, contrairement à la Convention 87 de l’OIT, ratifiée par le Liban, et qui garantit le droit des travailleurs de s’organiser, le ministère du Travail refuse jusqu’à maintenant de légaliser ce syndicat. Ce qui ne nous empêche pas de poursuivre la lutte que nous avions commencée avec la Fenasol il y a de cela 7 ans.
Durant cette lutte, nous avons, surtout, mis en avant le problème de la « garantie » qui impose aux femmes étrangères pratiquant le travail domestique d’être dépendantes d’une personne responsable de leur présence au Liban ; et, à cet égard, nous avons reçu des visites de représentants officiels et syndicalistes des pays tels que l’Ethiopie et le Népal. De plus, nous avons eu gain de cause en ce qui concerne la possibilité de voyager et de revenir au Liban sans avoir besoin de la présence du « garant » de toute travailleuse domestique possédant un permis de séjour des autorités qualifiées.
Et, aujourd’hui, avec la pandémie du Covid 19 et les problèmes économiques et financiers qui secouent notre pays, dont la fermeture de dizaines de milliers d’entreprises et les licenciements nombreux qui en ont découlé, la Fenasol et les associations féminines n’ont pas lâché prise, continuant à soutenir ces travailleuses qui ont eu à pâtir de cette situation de crise aiguë. Ainsi, elles ont aidé des centaines d’entre elles à retourner dans leurs pays d’origine, comme elles continuent à soutenir autant que possible celles qui sont restées au Liban.
Nous pensons que cette forme de violence faite à des femmes obligées de s’expatrier pour subvenir aux besoins de leurs familles, surtout des enfants en bas âge qu’elles délaissent, est devenue un fléau généralisé avec les centaines de millions de déplacé-e-s tant à cause des guerres que de la pauvreté et de la famine. Voilà pourquoi elle doit être parmi les priorités de l’ONU, mais aussi du mouvement syndical international et du mouvement des femmes dans le monde durant cette année dominée par la lutte pour entériner la Convention 190.