La résistance à l’oppression est le droit à avoir des droits

Didier Epsztajn. Entre les lignes, 2 janvier 2020

 

Dans la préface Regis Meyran aborde, entre autres, l’affaiblissement des démocraties, l’omniprésence de la violence, les nouvelles formes de terrorisme, les émeutes et les mouvements de population, le droit international, le dépassement des « conceptions procédurales de la démocratie », l’inévitabilité et la nécessité de « la conflictualité entre divers groupes sociaux », le refus de la pluralité par l’Etat, l’attribution de la nationalité et la souveraineté, « Obligeant tous les citoyens à se reconnaître dans le « Un » de l’Etat, la souveraineté se révèle incompatible avec la nature plurielle de la démocratie », le droit de résistance à l’oppression, des institutions libératrices, un nouveau droit international à imaginer…

Le livre est divisé en trois parties :

  • Les sociétés sont-elles vouées à l’échec dans la régulation de la violence ?
  • La violence dans l’Etat moderne
  • La violence au plan internationale

Je n’aborde que certaines analyses développées par Monique Chemillier-Gendreau.

L’autrice discute du couple démocratie/droits des êtres humains (formule préférable à celle employée de droits de l’homme), des nouvelles formes de violence, de politique et de conflictualité, « Une société est politique lorsqu’en son sein, la pluralité est acceptée et respectée. Alors se joue dans la diversité, un espace proprement démocratique dans lequel la violence à l’état brut se déplace vers ce qui peut-être de l’ordre de la conflictualité », des mécanisme qui fixent « le curseur entre la violence légitime et la violence illégitime », de « roman national » et du mythe de l’identité nationale, de la loi comme « l’expression de la confiscation du pouvoir par ceux qui gouvernent, plutôt que comme point d’équilibre atteint suite à la confrontation entre tous », de dissensus et d’identités, « quand on réduit les identités multiples pour former un peuple unique, dominé par un seul chef, on n’obtient ni la démocratie, ni la paix », de liberté et d’« opposition tumultueuse entre des groupes qui conservent leurs spécificités », de communauté politique reconnaissant la pluralité de ses membres, de conflictualité assumée, de la souveraineté « qui fait obstacle à la pluralité », de dissensus, du glissement « au cours de la Révolution de la souveraineté du peuple vers celle de la nation »…

Monique Chemillier-Gendreau aborde la violence de l’Etat moderne, la nécessité du « contrôle et de la limitation du pouvoir souverain de l’Etat », l’invention d’une continuité historique « par une double référence, à la terre et aux ancêtres », la conception ethnique de la Nation, le refus de l’hétérogénéité du social, « du repli sur un groupe formé par ceux qui sont supposés « identiques » », la transformation de la souveraineté populaire en souveraineté nationale, la nécessaire résistance à l’oppression, l’amnistie sans le refus de la conflictualité, la démocratie pour assumer le dissensus au sein d’une société, la/le citoyen·ne versus la nationalité, le fondement politique du droit (« rien n’est naturel en droit »), les assemblées citoyennes « pour définir et déclarer leurs droits », le débordement des droits existants, « La démocratie est le droit aux droits, la possibilité de déborder des droits existant vers d’autres droits », la si peu démocratique constitution de 1958, le peuple comme fiction, « La démocratie est l’expression du peuple dans sa pluralité, mais encore faut-il que cette expression soit libre. Parler du peuple est une fiction lorsque les conditions de la liberté ne sont pas réunies », les paniques identitaires (en complément possible aussi cité par l’autrice, Laurence De Cock, Régis Meyran : Paniques identitaires. Identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences sociales, identites-fantasmees-ou-figees-le-refus-de-legalite-et-de-la-liberte/), la langue natale, « il y a une grande violence à refuser à quelqu’un le parler de sa langue natale », la police comme force qui s’exerce « sur le corps des individus », la perte du statut de citoyen·ne et la violence policière, la violence fiscale de l’injustice, la sanction dominante de l’incarcération (voir les différents textes de l’OIP), les droits régaliens dont le droit d’attribuer la nationalité, l’abstraction de la « volonté générale » qui n’existe pas dans la réalité, les lois d’exception comme « avant tout l’auto-conservation de l’Etat comme puissance souveraine », l’ambivalence de l’exception, « Mais dans les révolutions on crée de fait un état d’exception qui suspend le droit habituel pour pouvoir créer un nouveau droit, plus démocratique »…

La société mondiale comme société inter-étatique et non aujourd’hui comme « communauté internationale ». L’autrice plaide pour la construction d’un droit commun international, « la meilleure protection ne peut venir que d’un droit international renforcé ayant autorité sur les souverainetés ». Elle discute de la soi-disant souveraineté des Etats au temps de la globalisation néolibérale et de la déstructuration de certaines sociétés, « La montée des trafics (d’armes, de drogue, de migrants), les conflits interethniques, le djihadisme et enfin, les interventions des grandes puissances menées dans une incompréhension stupéfiante des réalités locales, tous ces facteurs ont abouti à la déstructuration profonde de certaines sociétés », de l’échec de l’ONU, « le principe de l’interdiction du recours à la force posé par l’article 2 de la Charte des Nations Unies », des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, de droit et de contradictions sociales, « Pour être socialement accepté, tout texte de droit doit correspondre au dépassement des contradictions sociales, mais ces contradictions doivent être actuelles, vivantes, et non des contradictions anciennes et mortes », de la délégation de la guerre à des sociétés privées de sécurité, des armes nucléaires, « La quatrième Convention de Genève vise la protection des civils, elle interdit les moyens de la guerre touchant les populations civiles de manière indiscriminée », de la violence comme question politique, des conceptions purement procédurales de la démocratie, du combat pour la démocratie incluant la résistance au capitalisme, de la diversité du social et le tissage de liens politiques au-delà des frontières nationales, des normes de droit international comme « normes protectrices des sociétés locales et non libératrices pour les investisseurs », de « rendre la justice obligatoire », de résistance « à l’échelle où se déploient les problèmes », de la liberté débordant « toujours la règle qui prétend la garantir », du droit des peuples à disposer d’eux-même…

Au terme de ces conversations, Monique Chemillier-Gendreau souligne quatre leçons à retenir, un nouveau sens à la démocratie, « une prise en compte de la pluralité et de la conflictualité inhérentes à l’essence de la démocratie », les « formes d’organisations non souveraines » contre la souveraineté comme concentration et personnalisation du pouvoir contredisant « le principe de pluralité », l’incompatibilité du capitalisme avec la démocratie, « Le capitalisme est incompatible avec la démocratie, comme il l’est avec la restauration de l’environnement », les nécessaires réponses au niveau de la question, à savoir le caractère mondialisé du système…

Je regrette l’absence de développement sur l’égalité, dont la puissance subversive reste sans commune mesure avec les autres « opérateurs » politiques, sur la délégation contre la représentation, sur des institutions de chambres multiples permettant à chaque groupe minoritaire ou minorisé de ne pas rester minoritaire en tout.

Souveraineté populaire contre souveraineté étatique, dissensus et pluralité des expressions contre la fantasmatique fusion en un « un », démocratie et conflictualité sociale, assemblées de citoyen·nes, dépassement des contradictions sociales, droit de résistance à l’oppression, « La résistance à l’oppression est ce droit qui supasse tous les autres, car il est le droit à avoir des droits »… Le droit sans le fétichisme du droit. Des sujets de grande actualité contre les ordres néolibéraux ou populistes.

Monique Chemillier-Gendreau : Régression de la démocratie et déchainement de la violence

Conversation avec Regis Meyran

Editions Textuel, Paris 2019