ZOUBER SOTBAR, Afriques en lutte, 20 août 2020
Nous sommes le 18 août 2020 et un groupe de militaires mutins vient de mettre IBK et son régime aux arrêts. A ce stade, la prudence est de rigueur parce que nous n’en savons pas assez sur les auteurs de ce coup de force ni sur leurs motivations.
Ceci étant le Mali est dans l’impasse depuis quelques semaines et cette prise de responsabilité de l’armée malienne était inévitable. IBK est arrivé à la tête de l’Etat malien dans un contexte particulier de crise sécuritaire consécutive à la déstabilisation de la Lybie et de crise politique consécutive à la faillite de la démocratie naissante malienne. Plutôt que de démocratiser les esprits et libérer les initiatives au profit d’un développement endogène, on a libéralisé la corruption et dépossédé l’Etat sous la pression des politiques d’ajustement structurel. Si les idéaux de la démocratie ont servi de catalyseurs de la révolution de 1991, rien n’a été fait pour les ancrer durablement dans la société au point de réhabiliter les 23 ans de dictature militaire oubliant les centaines de martyrs ayant donné leur sang pour cette conquête démocratique que de nombreux pays nous ont enviée.
De tous les acteurs politiques en lice pour l’élection présidentielle de 2013 il est sans aucun doute celui qui est le plus comptable de la faillite de l’Etat malien. Sa carrière est émaillée de postes prestigieux ayant entretenu le mythe d’un Homme d’Etat qu’il n’a jamais été parce que la jouissance et les excès ont pris le dessus sur l’exercice effectif des responsabilités. Il ne s’agit pas ici pour autant de dédouaner la part de responsabilité des autres acteurs. Qu’à cela ne tienne, il a bénéficié de circonstances favorables et pas toujours légales lui ayant permis de remporter les élections présidentielles avec la caution de la communauté internationale et de la France en particulier. La France est intervenue militairement pour libérer le Nord Mali suite à une sollicitation des autorités maliennes et avec le mandat de la communauté internationale. Fort de ce succès, la France de François Hollande a œuvré pour imposer IBK à la tête de l’Etat malien et son investiture a fait l’objet d’une cérémonie digne des monarques de droit divin.
IBK avait donc toutes les clés en main pour transformer l’immense espoir suscité par son élection en nouveau départ pour le Mali. Hélas, les slogans populistes de campagne comme « Le Mali d’abord » n’ont pas résisté à la réalité de son incompétence et de son incapacité à refonder le Mali et le slogan qui s’est imposé dans la société malienne est « Ma famille d’abord » pour illustrer le népotisme ambiant. S’il faisait partie de ceux qui réclamaient une conférence nationale de refondation de l’Etat malien dans la foulée du coup d’état de 2012, il était suffisamment roublard pour se douter que cette initiative aurait mis en évidence sa part de responsabilité dans la faillite de l’Etat malien. Sauf que c’est bien de cela dont le Mali avait besoin…
Qu’à cela ne tienne, on aurait pu se tromper sur l’Homme et il aurait peut-être pu nous surprendre agréablement, mais il n’en fut rien. La crise du Nord s’est amplifiée et s’est étendue au Centre du Mali au point de réduire l’autorité de l’Etat sur moins de 20% du territoire malien avec un bilan humain catastrophique. Si la communauté internationale et la France en particulier n’ont pas été épargnés, c’est bien le Mali qui a payé le plus lourd tribut de cette crise sécuritaire avec plus de 5000 morts civils et militaires. Plus grave, la gouvernance IBK a été émaillée de scandales politico-financiers d’une ampleur inégalée allant jusqu’à entretenir de façon cynique le chaos au profit de l’effort de guerre pour accentuer les détournements. Le régime se sentant de plus en plus contesté s’est radicalisé au point de s’inscrire dans une répression de plus en plus brutale allant jusqu’à faire disparaître un journaliste dans l’exercice de sa fonction et en contraignant d’autres acteurs à l’exil.
Les signes de cette nouvelle crise politique datent de 2017, un an avant la fin de son mandat, quand le mouvement populaire « An te a bana » s’est insurgé contre le projet de réforme constitutionnel imposé par la communauté internationale via les accords de Paix d’Alger avec les rebelles Touaregs. Outre le fait que ce projet allait à l’encontre de la souveraineté populaire en écartant la représentation nationale il portait déjà les germes d’un possible 3ème mandat en jouant sur la réinitialisation du compteur des mandats comme tente de le faire Alpha Condé en Guinée Conakry et Alassane Dramane Ouattara en Côte d’Ivoire.
Tous les observateurs étaient unanimes sur le fait que les électeurs maliens étaient bien décidés à sanctionner le régime IBK dans le cadre des élections présidentielles de 2018. Il est passé en force avec le soutien de la communauté internationale et de la France, qui ont fermé les yeux sur les irrégularités du scrutin et l’ampleur de la contestation. Le malaise était d’autant plus profond que la responsabilité des autorités maliennes était directement engagée dans l’exacerbation des tensions ethniques et certaines exactions directement imputables à l’armée malienne. C’est ainsi que la société civile a pris le relais de la contestation des acteurs politiques en avril 2019 avec une mobilisation gigantesque pour réclamer la démission du 1er ministre Soumeylou Boubeye Maiga considéré comme l’artisan du hold up électoral et du chaos entretenu dans le Centre du Mali où la conflictualité y est devenue plus préoccupante que dans le Nord du Mali.
IBK et son régime s’en sont sortis de justesse à la faveur d’un accord politique avec une partie des acteurs de l’opposition politique. Les autres acteurs de l’opposition politique se sont abstenus parce que les termes de l’accord n’étaient pas conformes aux discussions préalables auxquelles avaient pris part quelques Chefs d’Etat de la CEDEAO déjà. Il s’agissait de ramener le régime à l’exigence initiale de refondation de l’Etat malien à travers la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, l’organisation d’un dialogue national inclusif et l’engagement de réformes structurelles, notamment en matière électorale pour éviter une nouvelle crise en vue des élections législatives.
Persuadé d’avoir divisé l’opposition politique et la société civile, le régime s’est inscrit dans la continuité des scandales politico-financiers avec un mépris et une arrogance insoutenable vis-à-vis de la souffrance du peuple dont une part de plus en plus importante vit de façon préoccupante dans l’extrême pauvreté. Le dialogue national inclusif a été une farce et les élections législatives de mars 2020 se sont inscrits dans un nouveau contexte de fraude électorale qui a relancé la contestation qui couvait depuis 2017. L’élection du Président de l’Assemblée Nationale Moussa Timbiné, battu dans sa circonscription et battu lors de l’investiture du parti présidentiel puis élu par une très large majorité de députés dans le cadre d’une corruption à ciel ouvert n’est pas passé inaperçu. La légitimité de la Première Institution de la République qu’est le Président de la République a été remise en cause et désormais, c’est la légitimité de la Deuxième Institution de la République qui est mise en cause à travers le Président de l’Assemblée Nationale, et tout ça avec la complicité coupable d’une Cour Constitutionnelle qui légitime le viol de la souveraineté nationale : cela s’appelle un coup d’état constitutionnel. Cette fraude au sein de l’Hémicycle et ciel ouvert n’aurait pas été possible en présence du Chef de l’Opposition. Tout porte à croire que le Chef de file de l’opposition malienne a fait l’objet d’une tentative d’assassinat politique maquillé par une prise d’otage improbable et toujours pas revendiquée. Nous avons donc affaire à un Etat voyou qui était en train de préparer la succession du Père au profit du Fils comme cela s’est passé dans quelques pays.
C’est pour mettre fin à toutes ces dérives précipitant chaque jour un peu plus le Mali dans le précipice qu’est né le M5-RFP à l’issue d’une mobilisation grandiose réclamant la démission d’IBK et de son régime. Sous la pression de la communauté internationale et pour rassurer l’opinion publique nationale et internationale, le M5-RFP a proposé un mémorandum permettant à IBK de se maintenir de façon symbolique en cédant l’essentiel de ses prérogatives à un gouvernement de Transition et une Charte de la Transition. Fidèle à son mépris du peuple, IBK et son régime n’ont même pas jugé utile de répondre en ouvrant ainsi la voie à une radicalisation de la contestation qui s’est de nouveau mobilisée le 19 juin en élargissant sa base populaire provoquant le déplacement d’un émissaire de la CEDEAO, en la personne de l’ancien président du Nigeria Jonathan Good Luck.
Conforté par le soutien de la communauté internationale s’étant permis de faire des propositions qui violent une nouvelle fois la Constitution malienne issue des événements de 1991 et pour laquelle des centaines de maliens ont donné leur vie, IBK et son régime ont cru qu’ils pouvaient faire usage de la force en toute impunité. C’est ainsi que le régime IBK a fait usage de la force létale contre des manifestants dans l’exercice de leur droit constitutionnel en provoquant 23 morts et plus de cent blessés lors de la mobilisation du 10 juillet, où le régime a sérieusement vacillé. La communauté internationale s’est vue interpellée par la mobilisation de la Force Anti Terroriste n’étant pas habilitée pour le maintien de l’ordre et il semble que cette unité est bien à l’origine des tueries, dont certaines ont été opérées jusque dans un lieu de culte traduisant la volonté explicite de TUER. Plus préoccupant, le SMS de la Secrétaire Générale de la Présidence à l’attention des chancelleries occidentales démontre l’existence d’une planification de ces tueries qui seraient légitimées par un mensonge d’Etat évoquant la présence de terroristes.
Devant la gravité de la situation quelques Chefs d’Etat de la CEDEAO se sont déplacés à Bamako et un sommet extraordinaire des Chefs de l’Etat de la CEDEAO dédié au Mali a été organisé à Niamey au Niger. Au lieu de faire profil bas, ne serait-ce qu’en mémoire des martyrs du 10 juillet, IBK s’est permis de tenir des propos irresponsables à l’égard des leaders du M5-RFP, en particulier son autorité morale l’Imam Dicko accusé de vouloir faire un putsch pour installer une République islamique. Ces propos ont été relayés par RFI avec preuve à l’appui pour confondre une nouvelle fois le régime devant ses mensonges. Il oublie au passage que c’est bien lui IBK qui a sollicité le soutien de cet Imam pour tenir des prêches politiques en sa faveur dans les mosquées et c’est encore lui qui est à l’origine d’une immixtion dangereuse de la religion musulmane dans la gestion de l’Etat. Tout ça relève d’une vaste fumisterie méprisant une nouvelle fois le fond des revendications populaires s’inscrivant entièrement dans la préservation de la forme républicaine et laïc de l’Etat malien comme cela a d’ailleurs été dit publiquement par l’Imam Dicko.
Devant le nouveau refus d’IBK et de son régime de tenir compte des revendications du M5-RFP dont l’unité n’a pas été entamée par les tentatives de déstabilisation, même s’il y a des dissensions témoignant de la liberté d’expression des opinions divergentes, et mieux l’élargissement à de nouvelles composantes de la société civile et la mobilisation ne faiblissent pas comme on a pu le constater le 11 août marquant sans aucun doute la plus forte mobilisation populaire au Mali depuis les événements de 1991.
Conscient des limites de ce type de mobilisation pour la suite le M5-RFP a décidé d’accroître la pression en planifiant une série Evènements devant conduire inexorablement à la démission du régime. Ce coup de force s’inscrit donc complètement dans la continuité des actions menées par le M5-RFP même si ce dernier s’est toujours défendu d’évoquer cette alternative. Face à une mobilisation qui ne faiblit pas et un régime décidé à se maintenir par tous les moyens, il n’y a hélas pas d’autres issues que ce coup de force qui aurait pu être évité n’eut été l’entêtement du régime IBK à violer méthodiquement la souveraineté populaire. Le dernier rapport de l’ONU incriminant les autorités maliennes et une partie de la hiérarchie militaire, notamment le Général Diawara, patron de la sécurité d’Etat et neveu d’IBK, a clairement précipité l’intervention de l’armée malienne et ce d’autant plus qu’il est considéré comme étant à la base de bien des détournements du budget de l’armée malienne en plus d’être le fournisseur officiel en carburant de l’Armée malienne ; et je ne vous parle même pas de la célébration de son anniversaire en présence de la star de musique africaine Faly Ipoupa à coup de centaines de millions de francs CFA qui avait choqué le monde entier sachant que le pays est en guerre et qu’il y avait régulièrement des morts au front. C’est scandaleux et indécent à l’image de ce régime et de son chef IBK.
C’est la raison pour laquelle j’ai appelé à une prise de responsabilité de l’armée malienne dans l’optique d’une transition politique civile et non militaire. Il appartient donc aux auteurs de ce coup de force de prendre attache rapidement avec les forces vives de la Nation et discuter des modalités de conduite de la Transition politique civile à laquelle ils peuvent être partie prenante en vue de la refondation de l’Etat malien. Il s’agira donc de convoquer une conférence nationale souveraine qui permettra de se doter d’organes légitimes : un Président de la Transition, un Gouvernement de Transition et une Assemblée Constituante afin de poursuivre la gestion des affaires publiques, relire les Accords d’Alger, rédiger une nouvelle Constitution, mener les réformes structurelles de l’Etat (décentralisation – fonction publique – élection – …) puis organiser le référendum constitutionnel et les élections présidentielles qui marqueront la fin de la Transition. Fort de cet agenda malien consensuel, la communauté internationale n’aura d’autre choix que de se plier à la souveraineté populaire malienne. Il va de soi que j’invite les mutins à faire preuve de retenue dans le traitement des personnalités arrêtées dans le respect de la dignité humaine à laquelle les maliens sont profondément attachés, puis de préserver les biens publics et privés. C’est à la justice de décider de leur sort.
Toute autre agenda serait suicidaire. Le Mali est capable de relever le défi de la refondation de façon pacifique. Nous devons collectivement et individuellement répondre à l’appel du peuple malien pour la Refondation de l’Etat dans le cadre d’une Transition qui sera gravée dans les annales de l’Histoire.