Par Raúl Zibechi, traduit de l’espagnol par Robin Bonneau-Patry
Du 25 avril au 5 mai, différents peuples parcourent les régions et les communautés affectées et menacées par les mégaprojets au Mexique, cherchant à tisser des alternatives de résistance. Voici un survol de la première semaine à bord de la caravane solidaire « El Sur Resiste », marquée par la répression.
Lorsque la caravane El Sur Resiste a reçu la nouvelle de l’expulsion violente par la Marine du blocus du train transisthmique à Mogoñé Viejo, la colère a été au rendez-vous, mais pas la surprise. Depuis le début, la caravane a été harcelée de différentes manières par les autorités de l’État.
La première était l’obstruction systématique à plus de dix points de contrôle, principalement sur la côte du Chiapas et de l’Oaxaca, en particulier autour de l’autoroute internationale qui longe la côte et que des milliers de migrants empruntent à pied depuis Tapachula. Il s’est avéré par la suite qu’une voiture sans plaque d’immatriculation suivait les véhicules de près. Enfin, à chaque arrêt, des membres de la police ou de l’armée entouraient et filmaient les actions, manifestement dans un but d’intimidation.
La nouvelle de la répression du campement Tierra y Libertad a été annoncée alors que les membres de la caravane défilaient dans les rues d’Oteapan, qui signifie « rivière de la route » en nahuatl. La communauté lutte pour le respect des limites territoriales sur lesquelles il est prévu d’empiéter pour les travaux d’extraction liés au Corridor Transisthmique et aux parcs industriels qui y sont liés.
Les membres de la caravane et des organisations locales (collectif Son Altepee, Mouvement régional indigène pour la défense et le respect de la vie, Processus d’articulation de la Sierra de Santa Marta et Centre des droits de l’homme Bety Cariño pour les peuples du sud de Veracruz) ont marché pendant plus de deux heures, organisé un rassemblement devant le siège de la municipalité et se sont retrouvés devant l’autoroute Transistmico. En apprenant la nouvelle, ils ont décidé de bloquer la route pendant plus de deux heures en signe de solidarité avec le blocus.
Plusieurs communiqués ont été lus, dont celui de l’UCIZONI, l’organisateur du blocus, du CNI et de l’EZLN. Dans ces communiqués, l’action répressive orchestrée par les grandes entreprises multinationales et les appareils policiers et militaires des gouvernements est de plus en plus évidente, car la militarisation est la seule possibilité de mener à bien les mégaprojets.
Dans la ville de Villahermosa, la caravane a été accueillie par un groupe de collectifs : Colectivo Cultural Corazón de Piedra Verde, Movimiento de Comunidades de la Zona Isla en Defensa del Agua, Comité de Derechos Humanos de Tabasco, la Parroquia San José où la caravane a passé la nuit, la CNTE, Fuerza Planetaria et des personnes solidaires. Un acte a été présenté par Julio Garduño, dans lequel, en plus de l’oratoire, des artistes locaux ont été entendus.
Que naissent de nombreux ceibas
José Suárez Cuevas, prêtre jésuite de la paroisse de Nuestra Señora de los Remedios, a participé à l’événement en saluant la caravane. En aparté, il a déclaré : « Je suis ici à cause de la contagion des voix qui existent dans la paroisse et qui veulent résister, qui cherchent une vie différente. Je suis aussi ici pour encourager la route, parce que je crois que nous devons élever la voix pour dire que nous ne faisons pas bien, que nous devons changer ce qui nuit à la vie des plus pauvres ».
Interrogé sur l’apparente apathie qui règne dans ces régions, il a déclaré : « C’est un système qui fait taire les voix, qui nous fait perdre nos forces, qui nous empêche de nous concentrer sur le changement dont nous avons besoin ». Il a pris congé en espérant que « vous arriverez à bon port et que la réunion de San Cristóbal sera fructueuse, afin que les graines qui sont jetées dans différents endroits donnent naissance à de nombreux ceibas 1 ».
« il ne s’agit pas de lutter contre quelqu’un en particulier, car la tragédie qu’ils vivent est une conséquence du changement climatique qui trouve son origine dans le système dans son ensemble »
L’étape suivante était El Bosque, un exemple vivant de la destruction environnementale et sociale causée par le capitalisme. Depuis 2019, la communauté est pratiquement détruite par l’avancée des eaux de la mer. En effet, en l’espace de trois mois seulement, trois rangées de maisons ont été démolies avec une avancée de plus de 500 mètres sur le front de mer.
Ils n’ont ni électricité ni eau, l’école a été littéralement emportée par les eaux et la vie quotidienne s’est réduite à une poignée d’habitations précaires sans possibilité de continuer à vivre de la pêche. Comme l’a souligné l’une des personnes qui a accueilli la caravane, « il ne s’agit pas de lutter contre quelqu’un en particulier », car la tragédie qu’ils vivent est une conséquence du changement climatique qui trouve son origine dans le système dans son ensemble et non dans l’une de ses manifestations particulières.
À long terme, la seule issue est la relocalisation, mais ils exigent une relocalisation dans des conditions qui leur permettent de rester une communauté et non un groupe de familles sans racines ni liens. À court terme, les urgences s’accumulent, notamment en termes de santé et de qualité du logement. Ils n’ont même plus la jetée d’où ils pêchaient, aujourd’hui dominée par les vagues.
Que se passera-t-il lorsque ce ne sera plus une poignée de familles qui devront être relogées en raison du changement climatique, mais les millions de personnes qui seront inévitablement touchées ?
Saviez-vous que 60 % des 40 millions d’enfants brésiliens sont déjà exposés à plusieurs risques climatiques et environnementaux ? Il s’agit des débordements de rivières, des vagues de chaleur et des pénuries d’eau.
Selon le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), les catastrophes naturelles forcent en moyenne 21,5 millions de personnes à fuir leur foyer dans le monde. Certaines projections estiment que jusqu’à un milliard de personnes seront déplacées par le changement climatique d’ici 2050.
Ce que la caravane a vu à El Bosque n’est que le début de quelque chose de beaucoup plus grand, une tempête environnementale, couplée à la crise du système mondial, à des désastres économiques et sociaux. Face à cette situation, les gouvernements ne proposent que davantage de militarisation
Pour suivre et supporter la caravane El Sur Resiste, cliquez ici
- type d’arbre au caractère sacré pour de nombreux peuples dont les Mayas [↩]