Les répercussions de la Covid-19 sur la région Moyen-Orient Afrique du Nord ont conduit le secrétaire général des Nations Unies António Guterres à publier un rapport dans lequel il tire la sonnette d’alarme. Avant lui déjà, le Fonds monétaire international (FMI) a publié son rapport avec trois mois d’avance, inquiet de voir les indicateurs économiques tomber brutalement « à leur plus bas niveau depuis cinquante ans ». Ce n’est pas le virus lui-même qui mobilise l’attention, mais plutôt ses retombées économiques (effondrement des cours du pétrole, récession économique). Celles-ci sont en effet venues renforcer l’impact des graves dysfonctionnements structurels sur le système économique, et les modèles de développement défaillants des pays exportateurs de pétrole aussi bien que des pays importateurs. Elles ont également aggravé le caractère particulièrement néfaste de l’influence des régimes autoritaires sur le développement économique et la productivité, dans les Républiques comme dans les monarchies. Une situation que le printemps arabe avait déjà mise en lumière il y a bientôt dix ans.
Conséquence de ces défaillances structurelles, 17 millions d’emplois devraient disparaître, ce qui fera grimper le nombre de chômeurs à 30 millions. Plus de quatorze millions de personnes appartenant à la classe moyenne rejoindront les pauvres, dont le nombre s’élèvera alors à 115 millions, soit le quart des habitants de la région. Cela ne signifie pas forcément qu’un troisième printemps arabe se profile à l’horizon. Mais l’apparition de millions de nouveaux chômeurs et de nouveaux démunis ne manquera pas d’alimenter les « protestations sociales » et « l’instabilité politique », avec les risques de chaos et de déstabilisation de l’État de droit que cela implique. Une situation qui devrait favoriser « l’essor de la radicalisation, ainsi qu’un recrutement et un embrigadement renforcés des terroristes ». Un désastre politique majeur marqué par l’apparition d’États en faillite devrait donc suivre cette tragédie sociale, qui coïncide avec une crise aiguë de « la confiance verticale entre les citoyens et l’État » et horizontale entre les différentes catégories de citoyens dans une région marquée par « les plus fortes disparités du monde ».
UNE INFORMATION HORS D’ACCÈS
L’un des principaux aspects de cette crise de confiance est l’impossibilité pour les citoyens et les économistes d’accéder à l’information. Selon la Banque mondiale, la région est la seule au monde à connaître une « baisse absolue de la transparence ». Le problème ne concerne pas seulement le volet politique ou celui des droits humains, il est avant tout économique. Car les vieilles restrictions à la circulation de l’information induisent en erreur les responsables de la planification économique, au niveau de l’État comme au niveau des investissements publics et privés, contribuant par là au recul constant du taux de croissance : la région est ainsi devenue « moins riche de 20 % par rapport aux prévisions » avec « une diminution du revenu per capita comprise entre 7 et 14 % ». La limitation de la circulation de l’information dans le monde arabe aurait donc conduit à une aggravation de la paupérisation.
Au XIXe siècle, le tsar Nicolas Ier avait qualifié d’« homme malade » un empire ottoman en plein déclin, dont les zones d’influence tombaient les unes après les autres aux mains des pays voisins. L’expression a depuis été souvent utilisée pour désigner un pays d’Europe faisant face à de grandes difficultés, souvent du point de vue économique. Premier importateur d’armes, c’est le monde arabe qui est pourtant devenu, en raison du contexte économique et politique qui a conduit au déclenchement des printemps arabes, « l’homme malade » du XXIe siècle dont les autres pays déchiquètent le corps à belles dents. Et c’est à son détriment que s’opère l’expansion économique et militaire de la Turquie, dont les troupes, accompagnées de mercenaires syriens transfrontaliers, sont présentes en Syrie, en Irak et en Libye.
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