Pierre Beaudet
Le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) a organisé les 29-30 novembre une conférence en appui à l’autodétermination du peuple palestinien réunissant divers experts ainsi que des représentants d’organisations civiles et syndicales, de même que Leila Shahid, ex ambassadrice de la Palestine auprès de la Communauté européenne. Plusieurs ateliers ont présenté les multiples aspects de cette lutte qui se trouve en ce moment dans une bien mauvaise posture, coincée entre les pratiques destructives de l’État israélien et des manœuvres de l’administration Trump. Et c’est sans compter l’isolement de la Palestine sur la scène arabe et les profondes divisions qui affaiblissent le mouvement national palestinien. Moins connue dans cette équation menaçante est le rôle joué par l’État canadien, tel que nous l’a expliqué le juriste Michael Lynk, rapporteur spécial de l’ONU sur les territoires occupés.
Dans son essence, la politique canadienne sur la Palestine s’est toujours trouvée à contre-courant des lois et interventions internationales, selon Lynk. Dès la création de l’État israélien en 1948, le Canada et d’autres pays ont accepté la spoliation du peuple palestinien, lorsque plus de 800 000 Palestiniens ont été forcés à l’exil. À la suite de la guerre de 1967 lorsque l’État israélien a envahi ce qui restait de territoires palestiniens, diverses résolutions de l’ONU ont demandé que soient respectés les droits reconnus par la Convention de Genève, notamment le droit de retour pour des populations expulsées par la guerre. Selon Lynk, « le Canada plus souvent qu’autrement s’est retrouvé à défendre Israël. Cette situation s’est aggravée ces dernières années, y compris sous le règne des Libéraux, donc avant l’arrivée du conservateur Stephen Harper ». Invoquant diverses excuses, les représentants du Canada à l’ONU ont voté contre plusieurs résolutions demandant le respect des droits, l’arrêt de l’expansion des colonies de peuplement et l’illégalité de l’occupation de Jérusalem-est.
Plus grave encore est le fait que le gouvernement canadien permet à des groupes de lever des fonds pour les colonies. Il diabolise la campagne de BDS en traitant ses animateurs d’« antisémites ». Parallèlement, le traité de libre-échange entre Canada et Israël a permis la croissance du commerce entre les deux pays, sans aucune considération sur les violations de droits. « Depuis 2000 a affirmé Michael Lynk, l’occupation israélienne n’a cessé d’étendre ses tentacules. Plus de 60 % des territoires sont sous l’autorité directe de l’armée israélienne (ce qu’on appelle la « zone C »). Dans le cas de la bande de Gaza, le Canada tolère le confinement très grave qui fait de ce territoire palestinien une vaste prison à ciel ouvert où sévissent la faim et la misère. « Sur presque toutes les questions, le Canada se retrouve avec les États-Unis et une poignée d’irréductibles alliés d’Israël, dès lors contre la vaste majorité des États membres de l’ONU ».
Alors que certains pensaient que cette politique allait changer avec l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, tel n’a pas été le cas,
Pour l’avocat qui a été la cible d’une campagne de dénigrement par Stephen Harper et des ex ministres libéraux dont Stéphane Dion, Ottawa est mal placé pour parler d’une politique « équilibrée » dans cette région. Par ailleurs, l’aide aux Palestiniens, qui a effectivement augmenté pendant la période Harper, a été orientée vers l’intégration des forces de sécurité palestiniennes au dispositif militaire israélien, dans le but évident de faire de l’Autorité nationale qui domine la Cisjordanie un supplétif de l’occupation.
La situation actuelle est dans une sérieuse impasse. Avec l’aide de Trump, l’État israélien cherche à accélérer le processus d’annexion, en recyclant des formules éculées sur les « droits des Palestiniens » à vivre en paix, en autant qu’ils acceptent la souveraineté israélienne, ou qu’ils se joignent au royaume hachémite en Jordanie ou à l’Égypte sous la coupe des militaires. « Cela fait 40 ans que l’on essaie d’imposer cela aux Palestiniens comme un « plan de paix », mais cela n’a jamais fonctionné », selon Lynk. Avec le déplacement de l’ambassade américaine vers Jérusalem et l’arrêt des subsides accordés à l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNWRA), c’est la fuite en avant. Présentement, le président Trump a confié à des « experts » le soin de finaliser un tel plan « de paix ». Or ce comité est rempli de partisans de l’ultra-droite israélienne et des colonies de peuplement.
Devant cette évolution, le Canda qui aspire à être réélu au Conseil de sécurité de l’ONU en septembre 2019 aura fort à faire pour retrouver une image positive. On se souviendra qu’en 2011, le Canada qui avait toujours été élu pour siéger au Conseil s’était fait montrer la porte. En vue de la prochaine élection, le Canada sera en compétition avec l’Irlande et la Norvège, deux pays qui n’ont pas eu peur d’affronter les États-Unis et Israël. « Si le Canada et la communauté internationale veulent dénouer l’impasse actuelle, il n’y a pas d’autre moyen que de condamner l’occupation, d’exiger le respect des conventions internationales et d’empêcher la politique israélienne actuelle qui met en place un inacceptable système d’apartheid ».