Amina Diallo, correspondante
La cause palestinienne demeure un symbole central de la solidarité musulmane contemporaine. Entre responsabilité religieuse et humaine, elle incarne la lutte contre l’occupation, le colonialisme et l’injustice. Mais derrière cet élan collectif se cache une tension silencieuse : un sentiment d’exclusion ressenti par certaines communautés musulmanes, notamment les non-Arabes, face à un discours panarabe dominant qui tend à marginaliser leurs histoires, leurs douleurs et leurs luttes.
L’urgence inaliénable de la cause palestinienne
Il est fondamental de rappeler que la Palestine vit aujourd’hui l’une des crises humanitaires dans les extrêmes de notre époque. La cause palestinienne, c’est le croisement de toutes les dynamiques visant à décimer un peuple, projet colonial d’annihilation : bombardements continus, blocus, apartheid, occupation, nettoyage ethnique et crimes de guerre. Le soutien indéfectible à la Palestine n’est pas un luxe militant, mais un impératif éthique, politique et spirituel. Aucun autre peuple dans le monde musulman n’est, à ce jour, aussi systématiquement ciblé et menacé dans son existence même.
La cause palestinienne est donc à juste titre au cœur des mobilisations, car elle symbolise aussi la résistance de toute la communauté musulmane face à l’injustice globale. Elle est devenue la cause qui rassemble et est parfois considérée comme la cause Mère au sein de l’Oumma.
Un panarabisme réactivé par la cause, mais à quel prix?
Cependant, la centralité de cette cause a aussi ravivé une forme de panarabisme notamment entre Maghrébins et Maghrébines — très souvent considérés comme étant «moins arabes» — et Arabes du Moyen-Orient souvent implicite, qui structure les discours militants et religieux. Langue arabe omniprésente dans les prêches, références historiques centrées sur le Moyen-Orient et/ou le Maghreb, privilège de visibilité accordé aux leaders ou penseurs arabes : tout cela contribue à invisibiliser d’autres peuples musulmans, africains, asiatiques ou issus des diasporas, dont les luttes sont parfois reléguées au second plan.
Certaines communautés musulmanes noires, sud-asiatiques ou turques se sentent ainsi instrumentalisées : appelées à manifester pour la Palestine, mais rarement soutenues lorsqu’elles dénoncent leurs propres oppressions — que ce soit au Myanmar, au Cachemire, au Soudan ou dans le Sahel. Cette inégalité crée une frustration chez les Non — Arabes de la communauté musulmane qui peut amener à parfois délaisser la cause palestinienne pour mettre en avant celles rendues obsolètes.
Une solidarité à géométrie variable : un repli identitaire pour le reste de la communauté
Ce déséquilibre n’est pas seulement géopolitique, il est aussi symbolique. Dans certains espaces religieux ou militants, la langue arabe devient un marqueur implicite de légitimité. La douleur des Rohingyas, des Ouïghours, des Somaliens ou des Congolais musulmans est souvent absente des discours.
Pire encore, certains fidèles issus de ces communautés racontent leur invisibilisation dans les mosquées, les rassemblements, voire dans les collectes de fonds. Il arrive souvent qu’à la fin de prêche islamique des duuas — invocations directes qui s’adressent à Dieu — soient faites en faveur de la Palestine, mais rarement pour les autres peuples souffrants comme ceux du Sahel ou de la Somalie.
Mais derrière cela se dresse l’idée trop répandue que les la population musulmane ne doit encourager la Paix que lorsque cela touche notre communauté. Or, il n’y a pas que des populations musulmanes touchées par des injustices. Cela revient à hiérarchiser les causes et les combats alors que nous devrons ne faire qu’une face à la barbarie humaine.
Ce malaise se traduit par un repli identitaire ou un désengagement, car l’oumma rêvée ne se reflète pas dans les pratiques de terrain. Or, une communauté véritable ne peut exister sans reconnaissance mutuelle, sans place égale donnée à chaque voix.
Pour une oumma plurielle et véritablement solidaire
Reconnaître ce déséquilibre ne signifie en aucun cas hiérarchiser les souffrances ni dénigrer la cause palestinienne. Il s’agit au contraire d’élargir notre conception de la solidarité : une oumma authentique est celle qui soutient Gaza et le Darfour, Rafah et le Cachemire, Khan Younès et le Xinjiang.
Cela implique de créer des espaces où les récits non arabes trouvent aussi leur place; où les douleurs et les luttes de chacun ou de chacune sont écoutées avec la même ferveur; où le leadership religieux et militant est plus représentatif de la diversité musulmane mondiale.
La cause palestinienne reste une priorité vitale. Mais elle ne peut être brandie au détriment d’autres réalités. Il est temps d’interroger les formes de solidarité au sein de l’oumma : sont-elles inclusives, équitables, universelles? Le combat pour la justice en Palestine doit être le socle d’une conscience musulmane renouvelée — plurielle, décoloniale, et véritablement universelle.