Dulce Vivar, membre du collectif Jeunesse du FSMI 2025
Dans une salle universitaire au bout d’un long couloir, entre tables rondes et projecteurs discrets, quelque chose de rare s’est passé : on a parlé vrai. Il ne s’agissait pas de dresser un bilan ou de réciter des diagnostics. Il s’agissait de faire surgir du vécu, du ressenti, de l’indicible parfois. Ce panel n’a pas seulement évoqué des méthodes de participation citoyenne : il en a incarné l’essence même. Et cette essence, ce n’est pas un PowerPoint bien ficelé ou une formule innovante. C’est une posture. Celle d’un regard humble, d’une écoute active et de gestes concrets qui relient.
Nourrir les corps pour ouvrir les cœurs
La nourriture est revenue comme un fil rouge. Pas seulement pour combler un besoin primaire, mais pour créer un espace : celui de la confiance. « Quand on met de la nourriture sur la table, on dit : tu es la bienvenue ici », a dit Barbara Rufo.
Ce détail, souvent considéré comme accessoire, devient un levier central pour tisser les liens nécessaires à toute transformation collective. Cuisiner ensemble. Manger ensemble. Se parler franchement. C’est ainsi que nous avançons.

La parole comme matière vivante
Bochra Manaï debout comme toujours — « je n’aime pas parler assise » — a fait le récit d’un combat municipal, territorial et profondément humain : celui d’une mobilisation citoyenne qui a mené à une reconnaissance du racisme systémique à la Ville de Montréal.
Un exemple fort de comment, quand beaucoup parlent, les institutions ne peuvent plus détourner le regard. Mais au-delà du récit, c’est l’art de le raconter : avec humour, avec tendresse, avec fermeté. L’empathie devient outil stratégique. Le rire, une résistance douce. Et le récit collectif, un antidote aux récits politiques aseptisés.
Des outils, oui, mais enracinés dans la vie
Ce que les panélistes ont partagé n’étaient pas de simples suggestions méthodologiques. C’étaient des réponses vivantes à des besoins vécus. Leurs propositions naissent de l’expérience, de l’écoute du terrain, du désir de faire autrement pour que les espaces de participation soient enfin à la mesure de ceux et celles qu’on prétend inviter.
Plutôt que de consulter les citoyen·nes comme on extrait des données, il s’agit ici de construire un monde partagé, habité ensemble, dès les premiers pas. Non pas à leur place, mais avec eux et avec elles, dans la complexité de leurs récits et la richesse de leurs aspirations.
Cela signifie :
- Des cercles plutôt que des rangées, pour qu’on se voie vraiment, pour rappeler que chacun·e a une voix égale dans le partage.
- Du temps long, lent, sincère, où la parole peut émerger, se déposer, se transformer loin des injonctions à répondre vite ou à performer une opinion.
- Des espaces d’intimité et de confiance, entre pairs d’abord, pour laisser résonner les vécus, puis des ponts tissés avec d’autres pour croiser les savoirs, les réalités, les vérités multiples.
- Le droit d’être sensoriel, d’être une personne entière : d’apprendre avec les mains, les yeux, le cœur. D’apporter son enfant, son voisin, sa langue, sa fatigue.
De se sentir accueilli·e dans ce que l’on est, et pas seulement dans ce que l’on peut dire.
Ces propositions ne sont pas accessoires. Elles sont essentielles pour que la participation cesse d’être un mot vide et devienne un ancrage réel, humain et transformateur.
Faire place aux récits, pas seulement aux statistiques
Quand la parole citoyenne devient un tableau Excel, il faut de la traduction. Bochra l’a été. Elle a permis de faire entendre ce que la rue murmure à ceux et à celles qui l’écoutent d’en haut. « Humaniser les cases Excel », disait-elle. Voilà peut-être l’un des plus beaux paradoxes à embrasser.
Et après ? Qui reste ?
Une question, pourtant, reste en suspens. Au sortir de la salle, chacun repart vers ses obligations, ses coins, son téléphone. Pas de cercle d’échange spontané. Pas de moment pour digérer ensemble ce qui vient d’être partagé. On se quitte un peu comme on quitte un cours : enrichi·es, mais esseulé·es.
Et pourtant, l’envie d’un espace informel, doux, accueillant, persiste. Un endroit pour dire « moi aussi, ça m’a touché », pour rêver un peu, pour construire des liens au-delà du contenu.
Une parole précieuse : Malorie
Dans cet élan collectif, Malorie Flon, de l’Institut du Nouveau Monde, a rappelé avec justesse une chose essentielle : la participation, pour être juste, ne peut être pensée en vase clos. Elle doit tenir compte des rapports de pouvoir, des inégalités systémiques, du droit à la lenteur, et du respect de la dignité de chacun·e. Elle a nommé avec clarté la nécessité de revoir nos cadres, d’oser repenser les processus et les postures, pour que l’inclusion ne soit pas une étiquette, mais une réalité vécue. Ne pas juste inclure des gens dans un processus, mais inclure leurs façons d’être, de parler, de proposer, de créer.
Au fond, c’était une grande classe de sociologie

Une classe riche d’outils, de récits et d’alliances. Une classe où les allié·es sont aussi celles et ceux qui portent la parole dans des institutions parfois rigides, hiérarchisées, déconnectées. Mais une classe qui montre que c’est possible de faire autrement, si on accepte de changer la forme autant que le fond. La participation citoyenne n’est pas un luxe démocratique.C’est une nécessité humaine.
Mais encore faut-il qu’elle soit ancrée dans le réel, dans le collectif, dans le soin. Et dans cette conviction : ce n’est pas juste ce qu’on fait qui compte, c’est comment on le fait, et avec qui.