Océane Leroux-Maurais, collaboration spéciale et adjointe à la direction de Katalizo
Quand le vent tourne à droite, dressons nos voiles à gauche — c’est sous ce titre que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a présenté un panel lors de son Assemblée générale politique, le 22 février dernier. Face à une polarisation croissante et à la montée des discours d’extrême droite, les panélistes Amal Elsana-Alhjooj, Maïka Sondarjee et Gracia Kasoki Katahwa ont échangé sur les stratégies de riposte féministe.
Un climat hostile aux luttes féministes et sociales
L’extrême droite, en progression mondiale, s’attaque de front aux droits des femmes, aux communautés marginalisées et aux acquis sociaux. Au Québec, des mesures comme le projet de loi 84 sur l’intégration nationale et la montée de l’austérité budgétaire fragilisent directement les populations les plus vulnérables. Parallèlement, les discours antiféministes et racistes gagnent du terrain, souvent en détournant des concepts progressistes pour les discréditer.
Maïka Sondarjee explique comment la fenêtre d’Overton — c’est-à-dire l’éventail des idées jugées acceptables dans l’espace public — s’est déplacée vers la droite, rendant les discours progressistes et féministes moins audibles. Elle ajoute par ailleurs que le terme woke est aujourd’hui utilisé comme une étiquette fourre-tout pour discréditer toute revendication en faveur de la justice sociale. Quand même Justin Trudeau est qualifié de woke, cela en dit long sur l’instrumentalisation du terme pour délégitimer tout ce qui se situe à gauche du centre. Elle dénonce que dans un tel climat, aller à la télévision, à la radio, prendre la parole publiquement en tant que personne de gauche est devenu un exercice périlleux, voire violent.
Diviser pour mieux régner : une stratégie dénoncée
Les panélistes s’accordent sur un point : la stratégie de la droite repose sur la division. Amal Elsana-Alhjooj a exposé comment la peur et la politique identitaire sont utilisées pour fragmenter les mouvements sociaux. On accuse les immigrant.es, les demandeurs et demanderesses d’asile, les femmes, et on nous enferme dans des silos identitaires qui nous empêchent de lutter ensemble contre les discriminations systémiques.
Gracia Kasoki Katahwa a abondé dans le même sens en soulignant que la rhétorique eux contre nous est maintenant intériorisée par une partie de la population. Ce n’est plus seulement les politicien.nes qui l’emploient, mais aussi des citoyen.nes, ce qui creuse davantage les divisions sociales.
Construire une riposte efficace
Devant ce constat, quelles stratégies adopter ? Selon Amal Elsana-Alhjooj, il faut apprendre à communiquer de manière claire et percutante, sans se perdre dans des nuances excessives. La droite tranche et impose ses idées avec force. Nous devons aussi structurer nos messages et revendiquer haut et fort nos positions. Maïka Sondarjee a, quant à elle, insisté sur l’importance d’une solidarité active entre les différents mouvements sociaux.
Gracia Kasoki Katahwa a ajouté que les féministes doivent investir les institutions pour provoquer des changements de l’intérieur. Elle mentionne l’importance de la présence de femmes, de personnes racisées et de représentant.es de la diversité dans les milieux décisionnels. Elle souligne toutefois qu’il faut les y amener pour les bonnes raisons, et non pour servir au à bien paraître des institutions.
Au-delà des ponts : franchir des seuils
Face à une opinion de plus en plus polarisée, Maïka Sondarjee préconise une approche basée sur la discussion et la compréhension mutuelle. Elle remet en question l’expression « construire des ponts » entre différentes perspectives, qui suggère un lien figé, une connexion rigide entre deux rives opposées. Or, les dynamiques sociales et politiques sont bien plus complexes. Plutôt que de voir le dialogue comme un pont à ériger entre des camps distincts, elle propose de le concevoir comme un seuil à franchir.
Un seuil, qui se veut un espace de passage, une ouverture qui invite à entrer sans imposer une fusion totale. Il ne s’agit pas de forcer l’adhésion à une vision unique, mais plutôt de créer des espaces où les discussions peuvent avoir lieu, où les différences ne sont pas forcément gommées, mais où elles deviennent des points de rencontre.
Ensemble, dressons nos voiles à gauche
Dans un contexte où l’extrême droite impose ses idées avec force, ce panel a rappelé l’urgence d’une mobilisation coordonnée et déterminée. Se réapproprier l’espace public, construire des solidarités réelles et occuper les lieux de pouvoir : voilà les voies tracées pour résister à la montée des extrêmes et affirmer un projet de société plus juste et inclusif.