Les cinq défenseurs de l'eau après leur acquitement - crédit photo Marvin Diaz pour CISPES

John Cavanagh et Olivia Alperstein — 4 février 2025, mise à jour de la part de Institute for Policy Studies basé à Washington – Traduction Johan Wallengren.

Cinq éminents défenseurs de l’eau au Salvador refusent de se présenter en cour et dénoncent le manque d’indépendance judiciaire, une situation qui leur fait craindre pour leur vie. 

Les cinq de Santa Marta, visés par des accusations motivées par des considérations politiques et faisant intervenir des dispositions remontant à la guerre civile, sont visés par un nouveau procès, malgré le verdict unanime confirmant leur innocence en octobre 2024.

San Salvador et WashingtonAlors que le président Nayib Bukele a proposé de sous-traiter aux États-Unis une partie du système carcéral meurtrier du Salvador lors de la visite du secrétaire d’État américain Marco Rubio, un groupe citoyen à la défense de l’environnement salvadorien connus internationalement a publiquement contesté la légitimité du système judiciaire du pays en refusant de se présenter en cour en tant qu’accusés pour subir un procès aux arrière-pensées politiques.

En janvier 2023, la police a arrêté cinq éminents défenseurs de l’eau de la communauté rurale de Santa Marta qui ont été accusés d’infractions alléguées au regard de dispositions remontant à la guerre civile du pays, puis ont été détenus au secret pendant plus de huit mois. Les cinq ont joué un rôle déterminant dans la lutte héroïque menée avec succès dans leur pays, qui a mené à l’adoption en 2017 d’une loi historique interdisant l’extraction de métaux toxiques au Salvador, interdiction qui a récemment été annulée par Bukele et son parti.

Lorsqu’ils ont finalement subi leur procès en octobre 2024, toutes les accusations portées contre eux ont été rejetées par le tribunal, faute de faits probants. Toutefois, dans une décision qui a été largement décriée comme une parodie de justice, une cour d’appel a annulé ce verdict d’innocence, permettant ainsi au bureau du procureur général de juger à nouveau les cinq sur la base des mêmes chefs d’accusation, à partir du 3 février.

Le matin du procès, en l’absence des cinq défenseurs de l’eau, un membre du corps enseignant de l’université d’El Salvador a lu aux personnes rassemblées dans un élan de solidarité devant le tribunal une lettre ouverte rédigée par ceux-ci commençant ainsi : « Nous nous adressons aux organisations environnementales, au mouvement social salvadorien, aux églises, aux universités et universitaires, ainsi qu’à la société en général. »

Dans leur lettre, les cinq de Santa Marta, comme on les désigne désormais sur la scène internationale, poursuivent : « Nous avons décidé de ne plus nous prêter au jeu poursuivi par les [magistrats de la cour d’appel] et le gouvernement visant à manipuler cette affaire ». Les cinq ont assimilé le nouveau procès à une « décision politique et non juridique », écrivant que les magistrats de la cour se sont « livrés » à une « manipulation du processus judiciaire symptomatique de la dépendance totale du système judiciaire par rapport au pouvoir exécutif ». En conséquence, ont-ils également écrit, « il n’y a aucune garantie de procès équitable et conforme à la loi et nous ne saurions nous soumettre à une décision politique mettant nos vies en danger ».

« La décision que nous avons prise, ont-ils poursuivi, est un acte de résistance contre les abus et l’arbitraire judiciaire. Nous sommes innocents et nous ne voulons pas valider la farce d’un système judiciaire coopté par le régime en place qui n’offre aucune garantie que le procès sera équitable ni que notre sécurité et notre santé seront préservées, et c’est pourquoi nous avons décidé de nous protéger nous-mêmes, pour assurer notre sécurité. »

Avant l’audience prévue, plus de 300 organisations et 180 universitaires de 44 pays ont appelé le gouvernement à abandonner les poursuites et à lever l’autorisation de poursuivre des activités minières d’extraction de métaux permises par une nouvelle loi adoptée en décembre 2024 qui autorise le retour de l’exploitation minière dans le pays, omet les évaluations d’impact environnemental, génère insuffisamment d’informations transparentes sur les activités minières et passe outre la consultation et le consentement des communautés qui seront impactées.

Réagissant à la nouvelle depuis l’extérieur du palais de justice, l’organisation International Allies against Mining in El Salvador (Alliés internationaux opposés à l’exploitation minière au Salvador), qui a grandement contribué à faire circuler la pétition, a déclaré : « Bien que nous soyons surpris par la nouvelle, nous comprenons la décision des défenseurs de l’eau, au regard de l’énormité des risques encourus au cas où ils se seraient exposés à ce simulacre de procès. Bien qu’ils aient déjà prouvé leur innocence au tribunal, ils auraient pu être immédiatement emprisonnés pour un crime qu’ils n’ont pas commis et se voir refuser une fois de plus l’accès à un traitement équitable. Compte tenu de leur âge avancé et de leur état de santé précaire, une nouvelle incarcération équivaudrait à une condamnation à mort. Ces cinq personnes ne sont pas seulement des défenseurs de l’eau, ce sont des défenseurs de la justice. »

Les organisations salvadoriennes de défense des droits de la personne ont documenté la mort de plus de 300 personnes en détention depuis que Bukele a suspendu les droits constitutionnels et les procédures légales normales dans le cadre d’un « état d’exception» renouvelé tous les mois depuis mars 2022.

Comme l’ont clairement indiqué les défenseurs de l’eau dans leur lettre ouverte lue à la foule qui s’était rassemblée devant le palais de justice hier matin, « depuis le début de cette persécution politique à notre encontre, il y a plus de deux ans, nous avons lancé une mise en garde pour signaler que le véritable motif [des incarcérations] était l’intention de réactiver l’exploitation minière métallique. Le fait que le président a annoncé l’abrogation de la loi interdisant l’exploitation minière dans le pays quelques jours après le jugement qui a été à l’origine de notre libération ne laisse aucun doute sur le fait que les intérêts extractifs sont derrière cette criminalisation que nous subissons… Notre véritable crime est de nous opposer à la pollution et à la destruction environnementale engendrées par les projets miniers qui menacent l’eau, la santé et la vie de la population du département de Cabañas et de notre pays tout entier. »

Lors d’une conférence de presse tenue en janvier, un porte-parole de l’Association pour le développement économique et social de Santa Marta a dénoncé la présence militaire accrue dans les zones précédemment repérées par les intérêts miniers, ce dont ont fait état des personnes des communautés voisines.

« Nous sommes extrêmement inquiets pour le maintien de la sécurité des cinq personnes de Santa Marta, mais aussi pour celle de toutes les communautés qui montent au créneau pour protéger les fragiles cours d’eau du Salvador », a déclaré John Cavanagh, de l’Institut d’études politiques. « Nous demandons au gouvernement salvadorien de ne pas exercer de représailles contre la communauté de Santa Marta pour la décision prise par cinq personnes de protéger leur propre vie et nous lançons un appel à la communauté internationale et aux gouvernements du monde entier pour qu’ils soient vigilants et attentifs à la sécurité des communautés de cette région dans les jours, semaines et mois à venir ».

Relations de presse :

  • John Cavanagh, de l’Institut des études politiques (IPS), co-auteur (avec Robin Broad) de The Water Defenders : How Ordinary People Saved a Country from Corporate Greed, (202) 297-4823, johnc@ips-dc.org
  • Pedro Cabezas, Alliance centraméricaine pour l’exploitation minière (ACAFREMIN), (503) 7498-4423, stopesmining@gmail.com
  • Christie Neufeldt, Église unie du Canada, cneufeldt@united-church.ca
  • Aideé Irina Tassinari Azcuaga, Universidad Autónoma de la Ciudad de México (université autonome de la ville de Mexico), aidee.tassinari@uacm.edu.mx