Alors que la population sénégalaise souffre d’une intense répression politique, une enquête parue dans StreetPress revient sur la provenance de cet armement. Fruit d’entreprises françaises largement soutenues par l’Etat français, l’armement de la police sénégalaise cache mal la marque de l’impérialisme français.
Antoine Weil, Révolution permanente, 19 mars 2021
Depuis le 3 mars, des milliers de sénégalais sont sortis dans la rue contre le gouvernement pour demander la libération de Ousmane Sonko, opposant politique. Dans un pays où la population souffre gravement du chômage et de la pauvreté, la colère s’est rapidement portée contre les signes de l’impérialisme français, en grande partie responsable de leurs conditions. Aussi les manifestants s’en sont pris aux enseignes Auchan, lesquelles ont remplacé les boutiques locales, mettant à la porte les petits commerçants et licenciant massivement leurs employés. Mais face à l’intense répression qu’ils ont subi, au point qu’Amnesty International juge la situation particulièrement préoccupante, la population sénégalaise a justement dénoncé la provenance française de l’armement des forces de répression. Signe de l’implication de la France pour soutenir le régime de Macky Sall, elle est la marque d’un impérialisme français omniprésent au Sénégal, comme dans le reste de l’Afrique de l’Ouest.
Une répression made in France
Une enquête de StreetPress revient sur le détail de ces armes, leur provenance, et les entreprises qui les fabriquent. On y retrouve une grande partie des armes que l’Etat français a utilisé en France pour réprimer les manifestants : des grenades lacrymogènes et des lances-grenades notamment.
Certains équipements sont encore plus perfectionnés : en France l’entreprise Alsetex vend des modèles « cougars », des lances-grenades très utilisés au moment des Gilets Jaunes et responsables de nombreuses mutilations, comme lors du 16 novembre 2019, où un gilet jaune a perdu son oeil par un tir tendu, Place d’Italie à Paris. Au Sénégal, elle permet aux forces de répression de disposer d’un Cougar 12, une arme très impressionnante qui permet de lancer 12 grenades simultanément. Ce dernier modèle avait été également été aperçu au Liban, lors de la répression d’émeutes au début de l’année 2020
Au Sénégal comme au Liban, deux pays sous l’influence des intérêts impérialistes français, il y a une constante : la provenance des armes ainsi que le zèle de l’Etat et des entreprises françaises pour leur fournir.
En plus de l’entreprise Arquus, qui vend donc le Cougar 12, on trouve aussi Nobel sport et SAPL , entreprises françaises qui ont vendu des balles en caoutchouc de calibre 12 à la police sénégalaise. Street Press, qui révèle cette utilisation en s’appuyant sur des images transmises par le photographe Thibaut Piel et le journaliste Tom Becques, explique avoir identifié des douilles comparables à celles tirées en forêt par des chasseurs. Ces dernières semaines, elles ont été utilisées pour viser à la tête des manifestants, et ont par exemple blessé une jeune fille de 14 ans.
La France au Sénégal : armer un régime aux ordres de l’impérialisme français
Pour soutenir la répression intense que subit la population sénégalaise, ces entreprises peuvent compter sur le soutien de l’Etat français. Alors que Macky Sall est un relai efficace des intérêts français dans la région, la France a pu, grâce à la politique d’endettement du président, faire profiter ses grandes entreprises, elle a donc tout intérêt à le maintenir au pouvoir.
Au Sénégal presque toutes les activités économiques sont gérées par des entreprises françaises : on y compte plus de 250 sociétés tricolores qui génèrent 2 000 milliards de francs CFA de chiffres d’affaires , soit 3 milliards d’euros, comme l’a confirmé au début de février Philippe Lalliot, ambassadeur de France au Sénégal, sur une radio sénégalaise.
Alors que le gouvernement sénégalais a opté pour une politique d’endettement, la France y gagne sur tous les tableaux. A titre d’exemple : le Sénégal s’endette auprès d’elle à hauteur de 230 millions d’euros pour financer un projet de train reliant l’aéroport Blaise-Diagne, à la capitale Dakar, il fait appel pour construire cette ligne à Alstom et à la SNCF.
Avec un client comme le Sénégal de Macy Sall, la France a tout intérêt à maintenir la stabilité du régime, et avec lui, les intérêts de ses multinationales, en équipant la police locale.
Ce même constat s’étend à toute la région d’Afrique de l’Ouest : en 2009, on apprenait que la formation des forces de police et des gendarmerie africaines coûtait environ 18 millions d’euros par an à l’Hexagone.
La formation des policiers africains par l’Etat français, s’accompagne de l’appui direct du gouvernement aux entreprises qui vendent des armes.
Déjà bien renfloués par le gouvernement Macron pour réprimer les manifestants grâce à une commande de 2 millions d’euros à Alsetex pour 450 « super flash-balls » et 1280 LBD 40., les leaders du secteur que sont Asletex, Arquus et Nobel Sport peuvent compter sur le volontarisme de Jean Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères depuis 2017, après avoir occupé le poste de ministre de la défense sous le quinquennat Hollande.
Grace à lui, la France a pu devenir le 2e vendeur d’armes au monde, proposant aussi bien des blindés militaires au Cameroun, utilisés par une unité d’élite accusée d’assassinat arbitraires et de tortures, des avions de chasses Rafales vendus à l’Égypte en 2015, après que le gouvernement ait réalisé le plus grand massacre en zone urbaine des trente dernières années, ou encore des navires de combat qui participent au blocus maritime qui touche le Yémen, comme le révélait il y a quelques mois une enquête du média Disclosure.
Cette promotion des armes françaises dans les régimes autoritaires aux quatre coins du globe, est permise par le travail d’accompagnement du gouvernement, mais parfois c’est lui qui impulse directement les projets de développement de l’industrie de l’armement.
Ainsi le groupe Nobel sport, le même dont on retrouve ses balles calibre 12 au Sénégal, a pu par exemple bénéficier de l’appui direct du ministre pour relancer sa production de poudre destinée à des armes de guerre, tandis qu’il se concentrait auparavant seulement sur les armes de chasse.
La défense de l’industrie militaire française comme le soutien aux régimes alliés des intérêts français : la France forme des policiers et vend des armes aux forces de répressions sénégalaises pour empêcher la population de se lever contre les intérêts de Total, de Auchan et de Alstom, responsables de la pauvreté et de l’endettement de leur pays. Face à cette situation et pour soutenir la mobilisation du peuple Sénégalais, il est urgent se battre contre l’impérialisme français, contre Arquus, Alsetex, Nobel Sport, et toutes ces entreprises de l’armement qui servent à réprimer, au Sénégal comme en France.