Refaat Alareer a publié en ligne ce poème le 1er novembre 2023, cinq semaines avant d’être assassiné par l’armée d’occupation israélienne, dans une attaque délibérée et ciblée contre lui. Il avait reçu plusieurs menaces de mort, en ligne et par téléphone, dans les semaines et jours précédant son assassinat. Réfugié dans l’appartement de sa sœur, avec son frère et avec ses neveux et nièces, l’appartement a été ciblé «chirurgicalement» . Toustes y ont été tué.es le 6 décembre 2023.
Depuis, «If I must die» est devenue une ode internationale contre le génocide accéléré en cours à Gaza et pour la libération de la Palestine. Traduit dans des dizaines de langues, le poème nous appelle à raconter l’histoire de Refaat Alareer, mais aussi de toustes les Palestinien.nes qu’on réduit à des numéros ou des «dommages collatéraux».
Il vous appartiendra de vivre
pour raconter mon histoire
Alareer était poète, écrivain, doctorant et professeur de littérature à l’Université de Gaza (maintenant détruite par Israël). Papa de six enfants, conférencier, mentor, militant, bénévole au Zoo de Gaza, Alareer adorait cueillir des fraises et faire des jeux de mots, raconte son ami Mosab Abu Toha. D’ailleurs, Abu Toha est lui aussi poète et professeur de Gaza. En novembre, celui-ci fuyait vers le sud avec son fils. Sur sa route, il a été enlevé, détenu et battu puis relâché par l’armée israélienne. Il fait aujourd’hui partie des rares Gazaouis ayant pu fuir le génocide, mais il rejoint des millions à subir l’exil forcé.
Des mots, pas des numéros
Refaat Alareer a cofondé et dirigé plusieurs projets qui redonnent la parole aux jeunes de Palestine, dont le recueil de nouvelles «Gaza Writes Back» en 2014, ou le projet We Are Not Numbers. En 2015, il codirige le livre «Gaza Unsilenced», une collection d’essais sur l’offensive israélienne de 2014 contre Gaza qui avait fait 2400 morts. Ses projets ont toujours été portés par le pouvoir des histoires pour résister à l’occupation israélienne, à la déshumanisation et à l’effacement.
Né à Gaza en 1979, il a grandi pendant la première Intifada. Dans sa jeunesse, les livres sur la Palestine étaient interdits par l’occupation israélienne. Dans une entrevue en 2018, il se remémorait avoir eu un livre interdit, un livre de poésie qu’il lisait, caché dans sa chambre. «C’était comme si je cachais une bombe». Il raconte que toutes les décisions qu’il a prises dans sa vie, toutes ont été «influencées par l’occupation israélienne».
Pour raconter l’histoire de Refaat Alareer, il faut raconter l’histoire de la Palestine
Trois jours après le début des bombardements sur Gaza en octobre, il était en entrevue à Democracy Now.
Il témoignait déjà des horreurs des bombardements israéliens sur Gaza, des familles entières réduites en poussière, des menaces d’extermination et de génocide qui étaient déjà dites au grand jour par des officiels israéliens.
Il nous rappelait l’histoire : «Pourquoi tout ceci est en train de se produire? Parce qu’on refuse de vivre sous occupation. Nous refusons de vivre dans la soumission totale. Nous voulons la liberté. Nous voulons la fin de l’occupation. Ce n’est pas une guerre. C’est une occupation qui a commencé il y a 75 ans, et tout a commencé quand l’Empire britannique a donné la Palestine au mouvement sioniste en 1917».
Écouter Alareer, lire et relire son poème m’a fait penser à Edward Saïd, un universitaire américano-palestinien dont l’œuvre s’est penchée sur le pouvoir des récits (et de leur négation).
Questionné en 1986 sur l’épuisante nécessité pour les Palestinien.nes de toujours réexpliquer leur histoire, Saïd répondait :
«Oui [c’est fatigant]. On se retrouve à toujours devoir le faire, à chaque fois. Mais on le fait quand même. (…) C’est très dur à faire parce qu’on doit tout démêler et passer par-dessus beaucoup d’information propagée dans les médias, comme quoi les Palestinien.nes seraient des fouteurs de trouble, etc. (…) C’est comme s’il n’y avait rien dans le monde pour soutenir l’histoire, pour qu’elle reste là. À moins que vous ne la racontiez, elle va juste tomber et disparaître.» (Traduction libre).
Frappant que de réécouter Alareer, sous les bombes, en plein nettoyage ethnique, devoir nous réexpliquer l’histoire de son territoire volé. Comme de regarder tous ces Gazaouis nous raconter en temps réel le génocide qu’iels subissent — pour ensuite voir les gouvernements occidentaux continuer de financer l’État qui veut les annihiler.
Ton cerf-volant bien haut
Refaat Alareer, nous continuerons à raconter ton histoire et celle de ton peuple en lutte pour sa libération.
Nous ne tomberons plus dans les pièges du discours visant à vous déshumaniser, à justifier le génocide. Nous ne goberons plus les prémisses visant à nous faire oublier la colonisation et l’impérialisme, la Nakba, l’occupation militaire et le vol des terres, les meurtres quotidiens, les arrestations et les détentions arbitraires sans procès, le blocus, le mur de la honte, le régime d’apartheid et les checkpoints, les colonies illégales et la répression sanglante des mouvements sociaux.
Nous ne devons plus oublier.
Parce que votre libération nous libérera toustes.