Soudan: la guerre la plus horrible, la plus oubliée

L’oubli dans lequel sombre l'horreur au Soudan est, en soi, une seconde forme de complicité.

Les maladies et le désespoir règnaient déjà en 2004 dans cette ville immense de tentes alors que 40000 personnes réfugiées y vivaient à l'extérieur d'El Fasher en 2004 @ Le général Sean Woo ou le chef d'équipe John Scandling - Domaine publique via Wikicommons
Serigne Saar, correspondant
Il y a des guerres dont on parle, et il y a celles que le monde choisit d’enterrer dans le sable chaud de l’indifférence. Au Soudan, ce n’est plus une guerre. C’est une tumeur qui dévore l’âme d’une nation, et son épicentre, El Fasher, est le théâtre d’une monstruosité que nos consciences refusent de voir.
Ici, la notion de « conflit » est une insulte. Au Soudan, le Front de Soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo a troqué l’uniforme du soldat pour le masque du bourreau. Leur ennemi n’est pas une armée, mais une identité.

Quand la guerre cesse d’être une confrontation militaire pour devenir un nettoyage ethnique et identitaire, le monde a le devoir de se lever. À El Fasher, ce n’est plus un conflit : c’est une tentative d’extermination au nom d’une idéologie raciale et religieuse dévoyée.

C’est une tragédie qui se déroule dans l’indifférence générale, comme si les vies que l’on y broie ne comptaient pas. Une horreur si monstrueuse que l’on voudrait croire à un cauchemar, mais dont les images, désormais virales, nous giflent par leur réalité insoutenable.

Plus de 1 300 personnes désarmées — des hommes, des femmes, des enfants — ont été exécutées de sang-froid par la milice des Forces de soutien rapide (FSR), sous les ordres de Mohamed Hamdan Dagalo. Et l’on voudrait nous faire croire qu’il s’agit de guerre ? Non. Leur seul crime, l’unique raison de leur mort, est d’être nés avec une certaine couleur de peau.

« Le sang de ces Noirs ne vaut rien »

Ce qui nous écœure jusqu’à l’âme, ce sont les paroles des bourreaux, d’un cynisme à glacer le sang : « Le sang de ces Noirs ne vaut rien », affirment-ils. Ils « ne méritent pas de vivre. »

Il y a une amertume particulière, une tristesse nauséeuse, à savoir que ces assassins sont eux-mêmes Africains. Ils sont nés de cette même terre qu’ils souillent de sang et partagent les mêmes racines que ceux qu’ils massacrent. Aveuglés par une haine qu’on leur a inoculée, ils en viennent à renier leur propre humanité, se croyant les élus d’un pouvoir étranger et fantasmé.

Les témoins et les journalistes les qualifient désormais d’« anges de la mort ». Leur cruauté dépasse l’entendement. Les victimes sont forcées à s’asseoir, dociles, avant d’être abattues. Leurs corps sont mutilés, leurs organes arrachés. Leurs femmes sont battues, déshabillées, violées puis exécutées. Cette barbarie n’a rien d’un acte de guerre ; c’est le crime absolu, une plongée dans une inhumanité primitive.

Mais ce qui achève de nous emplir d’un écœurement sans nom, c’est l’outrage suprême : la justification religieuse de ces atrocités. Aucune foi véritable, aucun Dieu digne de ce nom, ne prêche un tel mépris pour la vie. Instrumentaliser le sacré pour légitimer le massacre est une profanation. C’est une trahison de toute spiritualité, un crachat au visage de la fraternité humaine.

Alors que le silence assourdissant de la communauté internationale persiste, on ne peut s’empêcher de ressentir une tristesse morne, teintée d’un écœurement violent. Car l’oubli dans lequel sombre cette horreur est, en soi, une seconde forme de complicité.