Paul Martial, publié dans Afrique en lutte
Face aux multiples contestations sociales, le président Macky Sall tente de restreindre l’espace politique au Sénégal. Dans le même temps, il laisse planer le doute de briguer un troisième mandat pourtant interdit par la Constitution.
À maints égards la situation du Sénégal s’est dégradée. La croissance économique est négative (– 0,7 %) alors que traditionnellement ce taux était supérieur à 5 %. En effet, la pandémie a frappé des secteurs importants de l’économie comme le tourisme qui représente près de 8 % du PIB. La crise a entraîné une augmentation du coût des transports pour l’industrie et des difficultés accrues pour l’écoulement des produits agricoles. De source syndicale, les suppressions d’emplois se chiffrent par dizaines de milliers. Les activités de l’économie informelle ont été elles aussi mises à mal sans aucun filet de protection sociale. En parallèle, les attaques contre le foncier continuent avec son lot d’expropriations comme en témoigne l’affaire des 18 hectares de Nianning.
Troisième mandat et autoritarisme
C’est peut-être sur le terrain des libertés que la situation est la plus préoccupante. On se souvient de la terrible répression au début du mois de mars envers les manifestantEs. Ils et elles protestaient contre l’arrestation du principal opposant Ousmane Sonko accusé de viol. Une dizaine de personnes furent tuées, du jamais vu depuis des décennies dans le pays.
Le président Macky Sall tente de se servir des menaces terroristes pour initier deux lois liberticides. Elles permettent de sanctionner toute personne qui encouragerait des actes de terrorisme. Une formule vague ouvrant la voie à l’arbitraire. N’est-ce pas Abdoulaye Diome, ministre de l’Intérieur, qui considérait les manifestations en faveur d’Ousmane Sonko comme des « actes de nature terroriste » ? Elles permettent également de juger pénalement les dirigeants pour des délits commis par leur parti. Des peines pouvant aller jusqu’à la confiscation de leurs biens privés. Sans parler de la possibilité pour la police de surveiller n’importe quel citoyen suspecté de terrorisme sans aucun contrôle de l’autorité judiciaire.
Le pays va connaître, le 23 janvier 2022, les élections municipales. Elles seront un test pour l’ensemble des forces politiques et particulièrement la majorité présidentielle.
Macky Sall fait planer le doute sur ses intentions de briguer une troisième mandature en dépit de la Constitution qu’il pourrait changer en sa faveur. Encore faut-il avoir la possibilité politique de le faire. La tentative d’Abdoulaye Wade d’imposer à la nation un troisième mandat s’est soldée par un retentissant échec au profit d’un certain… Macky Sall.
Une opposition qui se réorganise
Le pays connaît une multitude de mobilisations sociales avec l’émergence d’organisations comme le mouvement « Frapp-France Dégage » (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine). Ses militanEts mettent en évidence la soumission des élites sénégalaises aux entreprises françaises, qu’il s’agisse par exemple de la grande distribution avec l’entreprise Auchan, de l’agro-industrie avec le groupe Mimran, des télécommunications avec Orange, etc.
Ces luttes doivent trouver une traduction sur le terrain politique, c’est en tout cas la volonté de quatorze organisations dont certaines sont issues de la gauche radicale. Elles ont décidé de s’intégrer dans le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), l’organisation d’Ousmane Sonko. Ce parti lutte contre la corruption et pour l’indépendance du pays vis-à-vis de la France.
On peut espérer que la venue de militants expérimentés de la gauche radicale dans cette organisation lui permettra de mieux prendre en considération certains thèmes qui semblaient être délaissés comme le panafricanisme, la lutte contre le sexisme, la justice sociale et l’écologie.
Autour du PASTEF s’est construite une coalition électorale pour les élections municipales, Yewwi Askan Wi, qui se heurte à l’administration pour l’enregistrement de leurs listes.
La semaine dernière les autorités ont convoqué Barthélémy Dias candidat de Yewwi Askan Wi à la mairie de Dakar pour une affaire datant de 2011. Cela a occasionné des heurts avec les forces de l’ordre et l’emprisonnement pour quelques heures des dirigeants de la coalition.
La stratégie du pouvoir vise l’affaiblissement de l’opposition en instrumentalisant la justice. En effet les principaux rivaux Karim Wade, Khalifa Sall, Barthélémy Dias et Ousmane Sonko ont tous des procédures à leur encontre.
Au vu des mobilisations, pas sûr que ces tentatives de bâillonnement s’avèrent efficaces.