« Sumud » (tenir bon en arabe palestinien)

Entrevue avec Mustafa Barghouti, président de l’Initiative nationale palestinienne

Mustafa Barghouti en a vu des crises dans sa vie. Natif de Jérusalem, il a vu sa ville conquise en 1967 comme toute la Cisjordanie et la bande de Gaza. « Globalement » explique-t-il, l’occupation a mis en place un « dé-développement ». Toute notre société a été atrophiée, de l’éducation à la santé en passant par l’habitation et le logement ». Mustafa est le président de l’Union des comités de secours médicaux palestiniens (la plus grande ONG palestinienne dans le domaine) est sur la ligne de front. Également, il anime l’Initiative nationale palestinienne (rassemblement de l’opposition démocratique), qui mène un combat politique de tous les jours utilisant les « armes » de la résistance civile non violente.
La situation dans les territoires occupés, malgré les espoirs de paix à la suite des négociations dites d’Oslo, s’est aggravée. L’armée israélienne a détruit une grande partie de Gaza, où se trouve une population de deux millions de personnes parmi les plus denses du peuple et où 80 % des gens ont besoin d’aide humanitaire pour vivre. En Cisjordanie, le territoire a été divisé en saucissons ce qui empêche la circulation des personnes et des biens. D’où la clochardisation des territoires occupés avec une administration sans souveraineté et sans moyen.
La catastrophe
« Avec la pandémie explique Mustafa, on voit tous ces facteurs alignés qui indiquent qu’on s’en va vers une catastrophe ». Même en temps normal, l’infrastructure médicale est tout à fait déficiente, mais maintenant c’est beaucoup plus grave : « Il n’y a pas 200 ventilateurs dans l’ensemble des territoires. Quand il y en a, nous n’avons pas le personnel qualifié pour les utiliser. Seulement pour notre association, l’Union des comités de secours, nous avons besoin toute de suite de 20 000 masques et il y en a 400, qu’on est obligés d’acheter à un prix exorbitant ». Les pharmacies et hôpitaux disposent seulement de 50% des médicaments et fournitures essentiels. À Gaza, les centres médicaux possèdent 55 lits en soin intensifs et 50 appareils de réanimation. De plus, ces capacités sont diminuées du fait des constantes coupures d’électricité qui durent plusieurs heures par jour.
L’Autorité nationale palestinienne qui est responsable de la santé sous l’occupation, a tenté ces derniers temps de limiter la contamination par le confinement « volontaire », qui est suivi inégalement par la population. « Comment voulez-vous confiner des réfugiés qui vivent à 10 dans chaque chambre »? Faute de moyens, les services de santé ne sont pas en mesure de procéder au dépistage. « Officiellement, moins de 20 000 personnes sont censées être contaminées, mais ce chiffre est en beaucoup plus élevé ». À Gaza, les marchés publics, les mosquées, les cafés, les restaurants et tous les lieux publics sont fermés. Il est strictement interdit de sortir de chez soi après 22 heures, sauf pour les cas humanitaires et urgents.
Expulsions et répression
Chaque jour sous l’occupation, plusieurs milliers de Palestiniens vont travailler en Israël. Dans la construction, l’agriculture, les services, ils sont surexploités, souvent coincés plusieurs heures pour passer le fameux Mur (ils ne peuvent résider en Israël). Selon Mustafa, ce sont ces travailleurs qui ont apporté le virus d’abord détecté du côté israélien. « Maintenant, on les empêche de travailler, on les expulse. Malgré nos demandes, les autorités israéliennes ont refusé de leur faire passer le test ». C’est au moins 8000 personnes de Gaza qui se retrouvent maintenant de retour dans les camps de réfugiés. « Nous les avons privilégiés pour le dépistage, pour constater que plus de la moitié d’entre eux sont porteurs du virus ». À Jérusalem, dans la partie-est de ville illégalement annexée par Israël, plus de 300 000 Palestiniens vivent un couvre-feu discriminatoire. « Les Israéliens mettent en détention nos équipes médicales qui viennent porter secours ». À Bethlehem où les premiers cas ont été détectés, les agressions commises par les soldats et les colons israéliens sont quotidiennes. Les quartiers palestiniens au nord-ouest de Jérusalem sont envahis par des soldats enveloppés de tenues protectrices, alors que les habitants n’ont rien. « C’est sans compter le fait que plus de 5500 hommes, femmes et enfants, sont détenus dans des prisons israéliennes surpeuplées. Israël refuse même de libérer les personnes âgées qui sont en prison depuis 15 ou 20 ans, et qui sont les plus susceptibles de succomber à la pandémie ».
Résister
En 1987, un immense soulèvement civil avait eu lieu dans les territoires occupés, ce qu’on avait fini par connaître dans le monde comme l’intifada. La force du soulèvement était basé sur une mobilisation décentralisée, organisé dans les villages et les quartiers. « Cette expérience de l’auto-organisation nous est restée, selon Mustafa, qui constate dans la crise actuelle la prolifération de comités populaires, mis en place par les gens eux-mêmes. L’action des ONG comme les Comités de secours médicaux se concentre sur la prévention et l’éducation, en d’autres mots, donner des outils pour aider la population à mieux se protéger.
Entre-temps explique-t-il, « les tensions entre les organisations politiques ont diminué, même entre Hamas (qui domine à Gaza) et le Fatah (qui dispose du pouvoir en Cisjordanie). « On espère mettre en place un comité de salut national regroupant tout le monde », affirme Mustafa, lui-même membre élu du Conseil législatif et tête de file de la gauche palestinienne. « Mais le plus important est l’initiative populaire à la base ». Mustafa Barghouti fait cependant appel à la solidarité internationale. « À date, les dons ont été minimes, du Qatar, de l’Organisation mondiale de la santé et de quelques ONG, mais c’est loin d’être suffisant ».