
Bien que la campagne de financement du Fonds Jeunesse soit terminée, il est toujours possible d’aider la relève du journalisme engagé en cliquant sur le lien ici.
Toute contribution est appréciée !
Charline Caro, correspondante
« Le gouvernement de Québec est venu chez nous au Brésil et nous a dit « On a besoin de vous », se remémore Sergio, debout sur un banc, micro à la main. « J’ai commencé à étudier le français, j’ai fait une maîtrise, j’ai fait le tour du Québec pour travailler, j’ai envoyé mes enfants à l’école », raconte le père de famille. « Mais aujourd’hui, après tout ce qu’on a donné, le gouvernement nous dit de rentrer chez nous ? », s’indigne-t-il, accompagné du grondement de la foule.
Lundi dernier à midi, plusieurs centaines de personnes se sont réunies place de la Paix, devant le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, à Montréal. Ces personnes migrantes et leurs soutiens sont venus protester contre l’abolition du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), annoncée la semaine dernière par le gouvernement provincial.

Une décision brutale
Ce programme permettait à toutes les personnes immigrantes qui répondaient aux exigences d’obtenir presque automatiquement un Certificat de sélection du Québec (CSQ), en vue d’obtenir la résidence permanente. Avec un diplôme québécois et/ou deux années de travail à temps plein, ainsi qu’une bonne connaissance du français, ces personnes demanderesses pouvaient s’établir au Québec de manière permanente.
« On est venus pour avoir le PEQ, c’était ça la promesse », poursuit Sergio, sur un ton amer. Comme lui, des milliers de personnes nouvellement arrivées ont quitté leur pays pour la Belle Province en sachant qu’un programme leur permettrait d’obtenir un visa permanent après quelques années d’études ou de travail.
La semaine dernière, le gouvernement Legault a annoncé la suppression définitive du PEQ. Cette décision intervient alors que le pouvoir provincial veut réduire les seuils d’immigration de 45 000 cette année à 60 000 pour la suivante.
« Ils ont changé les règles en cours de jeu », dénonce Thibault Camara, membre de l’organisme Le Québec c’est nous aussi, qui organise la manifestation. « On avait des projets, des rêves au Québec. Tout s’écroule à cause d’une décision d’un ministère », poursuit-il.

Le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) devient l’unique porte d’entrée pour les immigrant.es économiques au Québec. C’est une voie qui présente plus d’obstacles, et aucune garantie. Celles et ceux en demande sont sélectionné.es selon un ensemble de critères comme leur secteur d’activité, leur expérience professionnelle, leur scolarité ou leur situation géographique. Certaines conditions ont, de plus, été durcies par la nouvelle réforme. Le fait d’habiter à Montréal constitue par exemple un gros désavantage, alors que le gouvernement veut régionaliser l’immigration.
« Ce qu’on leur dit, c’est que si votre permis de travail expire dans trois, quatre ou six mois, il faut partir ailleurs », estime Yamanda Bouchaala, membre de l’équipe organisatrice de la manifestation, qui témoigne en entrevue du « choc » provoqué par l’abolition du PEQ dans la communauté immigrante : « On a des centaines de témoignages de familles et d’étudiant.es qui sont dans le flou total. »
Une vie investie au Québec
« J’ai vendu tout ce que j’avais », raconte Géraldine, qui prend la parole au micro de la manifestation. Cette mère de famille a quitté la France il y a deux ans, après que du personnel du ministère de l’immigration québécois soit venu la recruter pour combler le manque de main-d’œuvre dans la province.
L’infirmière a tout quitté avec son mari et ses deux enfants, pour « s’intégrer, travailler et tisser des liens au Québec ». Avec la suppression du PEQ, c’est tout son « avenir qui s’écroule ». « On va devoir rentrer, après tout les sacrifices qu’on a faits ? », interroge-t-elle sans y croire.
Les personnes immigrantes ont « tout investi au Québec, du temps, de l’argent, tout », rappelle Yamanda Bouchaala. « On abandonne des personnes qui font déjà partie du système », dénonce-t-elle.
Au milieu de la foule, Neba brandit une pancarte sur laquelle il est écrit « Respectez vos engagements ». Cette jeune marocaine est venue étudier au Québec en dessin industriel, avec le projet de s’établir ici. Chaque session d’étude lui coûte 12 000 $, le tarif réservé à la plupart des étudiant.es de l’international. « Tout ça pour qu’au final on nous dise de rentrer chez nous », regrette l’étudiante. « Aujourd’hui, c’est comme si j’avais reçu un couteau dans le dos ».

Des soutiens politiques
Après les témoignages, c’est au tour des soutiens de se succéder au micro devant la manifestation. André Albert Morin et Guillaume Cliche-Rivard, respectivement députés pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et Québec solidaire (QS), prennent notamment la parole pour dénoncer la décision du gouvernement caquiste.
« On ne peut pas changer les règles du jeu en plein match », fustige le député libéral, rappelant que les personnes immigrantes étaient considérées comme des « anges gardiens » pendant la pandémie.
Son homologue de QS estime quant à lui que le gouvernement Legault a « trahi » ceux et celles qui arrivent , alors même que c’est une « plus-value extraordinaire pour le Québec ». Le député promet de se battre à l’Assemblée nationale pour le retour du PEQ, avant que le public s’exclame : « Merci ! Merci ! Merci ! ».

Une transition avant l’abolition
« Aujourd’hui, nous demandons une seule chose : le respect d’une promesse », avance Thibault Camara. Le mouvement citoyen réclame au gouvernement d’instaurer une clause grand-père, qui permettrait aux personnes déjà installées au Québec de bénéficier du PEQ avant son abolition définitive.
Avant d’inviter les manifestant.es à défiler sur le boulevard Saint Laurent, l’organisateur fait un rappel : « L’immigration, ce n’est pas juste des numéros dans un fichier Excel. Ce sont des vies. »

Toutes les photos sont de l’autrice, Charline Caro, pour le Journal.








