Tensions dans la mer de Chine

Cécilia Nantier, Hérodote Net, 23 avril 2020

La mer de Chine méridionale est devenue en ce début du XXIe siècle un foyer de tensions militaires du fait des revendications de la Chine, du Vietnam et des autres pays riverains sur les îlots et récifs qui la bordent. Pour Pékin, il s’agit d’un enjeu géostratégique majeur comme le révèle le survol de la carte : les différents archipels forment le long de la côte chinoise une barrière virtuelle susceptible de couper l’Empire du Milieu de toute ouverture vers le grand large !

 

Revendications en mer de Chine (source : Atlas géopolitique des espaces maritimes, Paris, Technip, 2010), DR

Des enjeux économiques et militaires

Selon le droit de la mer, chaque pays dispose d’une zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles marins au-delà de ses côtes. À l’intérieur de cette zone, la navigation internationale est autorisée mais l’exploitation des ressources halieutiques, minérales et énergétiques est exclusivement réservée au pays qui la possède.

Or, en mer de Chine méridionale, ces ZEE apparaissent très difficiles à délimiter du fait du grand nombre d’îlots. Et elles sont d’autant plus convoitées qu’elles contiennent de riches gisements de pétrole et de gaz, plus particulièrement aux environs des îles Spratly (ou Spratleys), et se situent sur des voies maritimes parmi les plus fréquentées du monde.

Depuis la publication d’une carte de la région en 1947, la Chine délimite unilatéralement sa ZEE par une ligne qui englobe rien moins que 85,7% de la superficie totale de la mer de Chine méridionale (1,7 million de km2).

Quelles revendications ?

Le cas des îles Spratly est particulièrement complexe puisque les revendications exprimées par les différents pays ne concernent pour certains (Malaisie, Brunei, Philippines) qu’une partie des îles et pour d’autres, à savoir la Chine, Taiwan et le Vietnam, l’archipel dans sa totalité.

Une partie de cet ensemble de plus de deux cents îlots et récifs est déjà physiquement occupée par ces pays. En effet, dès 1956, Taiwan a installé une garnison sur l’un des deux cents îlots de l’archipel et son initiative a été rapidement imitée par les autres pays riverains.

Depuis 2010, le gouvernement chinois accroît à son tour la présence de sa flotte dans l’archipel et, sans en référer à quiconque, construit des installations à usage militaire sur les îlots contestés.

En 2014, des images satellites ont montré que la Chine a commencé à remblayer le récif de Fiery Cross pour y construire une piste d’atterrissage ainsi qu’un port et qu’elle construit également une seconde piste d’atterrissage sur le récif de Subi. Enfin, elle bâtit d’autres installations militaires sur différents récifs des Spratly, créant ainsi ce que la presse compare à une « grande muraille de sable ».

Les installations chinoises sur Fiery Cross (DR)

Certains des récifs que la Chine remblaye et construit sont sous le niveau de la mer lors de la marée haute. À leur état naturel, ils ne peuvent donc pas accueillir d’habitants et avoir une vie économique propre. Or, l’article 121 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer affirme que « les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ». En aménageant des îles artificielles à ces emplacements, la Chine ne pourra pas bénéficier légalement d’une ZEE.

Il y a donc un changement significatif dans le comportement de la Chine qui, au début des années 2000, mettait en avant une politique de bon voisinage. Dans ce cadre, elle avait signé un accord de bonne conduite en mer de Chine méridionale en 2002 avec les pays de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), suivi l’année suivante d’un traité d’amitié et de coopération visant à instaurer un règlement pacifique des différends. Ses travaux d’aménagement montrent que cette période est bel et bien révolue.

Les autres pays riverains en ont pris acte. Ils sont entrés à leur tour dans la course aux armements avec le soutien des États-Unis et du Japon.

Outre le cas des Spratly, les différends en mer de Chine méridionale concernent également l’archipel des Paracels sous souveraineté chinoise mais revendiqué par le Vietnam, ainsi que les Pratas qui sont un ensemble de trois îles occupées par Taiwan mais revendiqué par la Chine, et le récif de Scarborough revendiqué par Taiwan, la Chine et les Philippines.

Ces dernières années, les incidents tendent à se multiplier dans la région. Déjà en 1988, une confrontation entre navires chinois et vietnamiens avait occasionné la mort d’environ 70 marins vietnamiens aux Spratly. On reste aujourd’hui à la merci d’un nouvel incident de ce type.

Notons que la Chine n’est pas seulement engluée dans des différends en mer de Chine méridionale mais aussi en mer de Chine orientale où elle est au cœur d’un conflit territorial avec le Japon pour les îles connues en chinois sous le nom de Diaoyu et en japonais sous le nom de Senkaku.

Quelle perspective de règlement ?

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a été signée en 1982 à Montego Bay en Jamaïque. Cette convention a établi un Tribunal international du droit de la mer pour traiter les différends relatifs à l’interprétation et à l’application de la Convention. Les Philippines l’ont signée en 1984, le Vietnam en 1994, la Malaisie, Brunei et la Chine en 1996. Taiwan, n’étant pas membre de l’ONU, ne l’a pas signée.

En janvier 2013, les Philippines ont ouvert une procédure auprès de ce tribunal contre les revendications excessives de la Chine établies sur la base de sa ligne aux neuf points. Néanmoins, la Chine a fait savoir en décembre 2014 qu’elle estimait que le tribunal d’arbitrage n’avait pas la juridiction nécessaire et qu’elle n’accepterait donc pas cet arbitrage.

La décision est tombée le 12 juillet 2016 : les cinq juges de la Cour permanente d’arbitrage ont estimé que la Chine n’a « aucune base légale » pour revendiquer des droits historiques sur les ressources maritimes de la Mer de Chine du Sud ou plus précisément sur la zone dite de la « ligne des 9 traits » qui recouvre 90% de cette mer. Pékin n’entend en aucune façon se soumettre à leur décision. Les îlots inhabités de la mer de Chine ne sont sans doute pas près de quitter les feux de l’actualité.

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